Le chef de la police anti-drogue française mis en examen

La mise en examen le 25 août du numéro un de la police anti-drogue en France jette une lumière crue sur les forces de police auxquelles on a donné, avec l’imposition de l‘état d‘urgence par le gouvernement PS de Francois Hollande en novembre 2015, d’énormes pouvoirs.

L‘ex-chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), François Thierry, déjà placé en garde à vue en mars de cette année suite à une enquête de l‘Inspection générale de la police nationale (IGPN), a été mis en examen pour « complicité de détention, transport et acquisition de stupéfiants et complicité d’exportation de stupéfiants en bande organisée. »

Il a pourtant été laissé libre sans contrôle judiciaire par les juges d’instruction chargés de l’enquête. Il peut rester en fonction à la Sous-direction antiterroriste de la police judicaire (SDAT), où il avait été muté en mai 2016 sur fond d‘accusations de trafic de drogue par un de ses anciens « indics ». Selon la presse, Thierry bénéficierait toujours de la confiance et du soutien de sa hiérarchie. Il fait en tout l‘objet de trois enquêtes judiciaires différentes.

Sa mise en examen par le parquet de Paris vient après deux ans d’une enquête déclenchée après la saisie, le 17 octobre 2015, par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) de sept tonnes de résine de cannabis. Celles-ci se trouvaient dans des camionnettes garées Boulevard Exelmans dans le 16e arrondissement à Paris, en bas de l‘appartement de luxe de Sofiane Hambli, un des principaux trafiquants de drogue en Europe.

Cette marchandise faisait selon Liberation, partie d‘un convoi transportant 40 tonnes de cannabis, réparties entre Vénissieux, Mulhouse, Nantes, et Paris et acheminées sous le contrôle de l‘Ocrtis, qui accusa ensuite la douane d’avoir torpillé sciemment l'une de ses opérations.

Dans cette affaire, Hambli fonctionna comme principal informateur de la police anti-drogue. Selon le Figaro, « À 42 ans, il est considéré comme l'une des chevilles ouvrières de l'importation de drogue vers l'Europe mais aussi comme l'un des plus gros informateurs ayant jamais travaillé pour l'Office des stups. »

En mai 2016, sous le titre « Révélations sur un trafic d‘Etat », Liberation avait carrément accusé l‘Ocrtis d‘organiser lui-même le trafic de drogue. L’enquête ayant entraîné la récente mise en examen se concentrerait sur les « méthodes » de la direction de l‘Ocrtis, à présent mises en cause par l‘appareil judicaire, c’est à dire l’étroite collaboration entre la police anti-drogue et les grands trafiquants.

Pendant longtemps, ces « méthodes spéciales » avaient été vantées comme étant particulièrement efficaces dans la lutte contre les trafiquants de drogue, et la police et les médias présentaient Thierry comme le nec plus ultra de la lutte contre la drogue.

Selon Libération du 23 août, Hambli aurait permis « l’identification de plusieurs dizaines de malfaiteurs chevronnés, l’interpellation d’une centaine d’individus et même la transmission d’informations relatives à des islamistes radicalisés. »

On reproche à Thierry d‘avoir par ses opérations de « livraisons surveillées » censées infiltrer les milieux de la drogue, surtout aidé Hambli à éliminer ses concurrents sur le marché français des stupéfiants. Ceci lui a permis, toujours de selon Libération, de « s'imposer comme le plus gros trafiquant de l'Hexagone grâce à la protection de l'ex-patron de l'Office central des stups. »

Les juges, qui n’ont pas retenu contre lui la question de l’enrichissement personnel, lui reprochent de n‘avoir pas informé les juges compétents des quantités énormes de drogue ainsi acheminées. Thierry insiste pour dire que les juges étaient complètement et systématiquement informés.

L‘affaire Thierry n‘est pas la seule a avoir secoué l‘establishment policier ces derniers temps. En mai de cette année c‘est tout le service national d’enquêtes des douanes qui a été décapité, de nombreux cadres de ce service étant limogés pour cause de « graves événements » selon la direction des douanes. Une des responsables avait été mise en examen en avril pour « complicité d’importation et de détention en bande organisée de marchandises contrefaites ».

Selon Mediapart, le service était alors « touché par une demi-douzaine d’enquêtes judiciaires qui mettent à mal ses méthodes. » Une des enquêtes portait entre autre « sur une saisie de kalachnikovs au péage de Reims, en novembre 2013 », trafic dans lequel était impliquée l‘antenne des douanes du Havre. Là on avait saisi 800.000 euros, et le 5 janvier 2017 un agent des douanes s‘y était suicidé.

En mai dernier, c‘était le numéro deux de la PJ de Lyon, Michel Neyret, un autre « super-flic » à qui il était reproché de protéger et d‘entretenir en grand des relations amicales avec des membres de la pègre, qui était condamné à deux ans et demi de prison ferme.

Indépendamment des motivations de l‘appareil judiciaire et de sections de l‘establishment politico-policier dans ces affaires, celles-ci lèvent en partie le voile sur la collusion en France entre la police et les trafiquants en tout genre. Cela montre le caractère hostile à l’État de droit de forces de police à qui on a donné des pouvoirs extraordinaires dans le cadre de l‘état d‘urgence.

Alors que dans les banlieues françaises, des policiers imposent aux jeunes des contrôles brutaux et humiliants sur des soupçons qu’ils pourraient « dealer», les hautes sphères de la même police organisent avec des gangsters l‘approvisionnement en grand de ces mêmes banlieues en drogue.

L’affaire Thierry soulève des questions graves. Les dirigeants de la police anti-drogue allant superviser personnellement le bon déroulement de ces « opérations », comme le second de Thierry, l’ex procureur anti-terroriste Patrick Laberche au Maroc, et l‘enrichissement personnel n‘ayant pas été retenu, la drogue acheminée ainsi en France a-t-elle servi à financer d‘autres activités?

En raison de quelles qualités Thierry, l‘ex-numéro un de l‘Ocrtis (et chargé de la Siat de 2006 à 2010, la section chargée des « opérations délicates » et des infiltrations) est-il passé directement en mai à la Sous-direction anti-terroriste de la PJ dont il est, selon le Parisien, le « numéro trois »?

Finalement, les réseaux islamistes responsables des attaques terroristes sont souvent liés au trafic de drogue, et les terroristes des gens ayant fait de la prison pour trafic de drogue. On peut citer l‘imam marocain Abdelbaki Es Satty, cerveau présumé de la cellule terroriste responsable de l‘attentat de Barcelone, en prison pour trafic de drogue entre 2010 et 2014. On peut donc demander s'il y aurait un lien entre la collaboration de Hambli avec l'Etat, en tant que trafficant ou indic dans les milieux islamistes terroristes, et des actes terroristes en France, en Espagne ou ailleurs en Europe?

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