Facebook installe un nouveau centre de censure en Allemagne

Mercredi 9 août, Facebook a annoncé vouloir ouvrir un nouveau centre de contrôle à Essen qui emploiera 500 collaborateurs. En conséquence, le nombre de travailleurs chargés de censurer et de filtrer les contenus en Allemagne va quasiment doubler. La société ne dispose jusqu’à présent que d’un seul centre de ce genre à Berlin.

Facebook a fait de gros efforts pour dissimuler le travail des centres de contrôle. Alors que les documents de formation et les directives internes destinés aux travailleurs ont été tenus secrets, la société a organisé il y a un mois une parfaite mise en scène d’une visite du centre de Berlin réservée à des médias sélectionnés.

La radio publique allemande WDR, Die Zeit et Spiegel Online ont pu voir des écrans figés et poser des questions à des travailleurs spécialement formés à cet effet dans les bureaux d’Arvato, une division du groupe de communication Bertelsmann qui effectue les suppressions de contenu pour Facebook. Les trois organes de presse ont par la suite concentré leurs comptes rendus sur les difficiles conditions de travail des employés en faisant comme si ces derniers n’étaient chargés que de supprimer des vidéos de décapitations brutales et des fichiers de pornographie juvénile.

En fait, dans ces locaux hermétiquement fermés, des millions d’internautes sont systématiquement censurés. Les informations concernant la suppression de messages critiques et le blocage d’auteurs de gauche et progressistes ont connu une forte hausse ces derniers mois.

En décembre dernier, par exemple, un commentaire mis en ligne par l’auteur satirique Leo Fischer avait été supprimé. Fischer avait positionné à la « Une » du journal de droite Bild, le titre xénophobe : « Le grand débat sur l’image de la femme dans le regard des réfugiés », à côté des photos de femmes en bikini figurant régulièrement dans ce même journal et en avait pris une photo. Non seulement de nombreux extrémistes de droite s’étaient insurgés mais Facebook supprima l’article pour avoir prétendument enfreint le règlement de la communauté.

Pour les mêmes raisons, Facebook a bloqué pendant 30 jours l’écrivaine autrichienne Stephanie Sargnagel. Lors d’une campagne concertée, son compte avait été massivement signalé par de nombreux utilisateurs de droite et d’extrême-droite. Sargnagel avait pris position contre la xénophobie et le racisme en postant des commentaires satiriques ; elle s’était ainsi retrouvée dans le collimateur de l’extrême droite et de cette société d’Internet.

Le blogueur berlinois Jörg Kantel a également indiqué que certains de ses messages critiques ont été supprimés. Après que Bild ait profité des bagarres qui avaient éclaté lors du sommet du G-20 à Hambourg pour publier des photos non floutées de prétendus émeutiers de Hambourg, Kantel avait commenté entre autres, « l’Allemagne, un pays de dénonciateurs et de surveillants de quartier (Blockwart). Au moins depuis 1933 ! » Selon ce blogueur, Facebook a supprimé le message.

La liste des auteurs censurés pourrait être allongée à volonté. Il y a en outre ceux dont les suppressions passent inaperçues parce que ce ne sont pas des célébrités comme les personnes impliquées dans les cas cités. Le 21 mai, le journal britannique The Guardian avait divulgué que Facebook procédait systématiquement ainsi. Le journal a obtenu une centaine de documents de formation destinés aux travailleurs des centres de contrôle et en a conclu qu’ils sont alarmants pour les défenseurs de la liberté d’expression.

Alors que les publications qui préconisent la violence extrême et le meurtre brutal ou qui contiennent des insultes sont considérées comme ne posant aucun problème, les employés sont tenus de supprimer immédiatement des messages tels « Quelqu’un devrait abattre Trump », car en tant que chef de gouvernement, Trump fait partie d’une « catégorie protégée ». La liberté d’expression ne vaut donc chez Facebook que tant que le gouvernement, qui est considéré comme digne d’être protégé, n’est pas attaqué.

C’est une violation flagrante de la liberté d’expression, qui protège avant tout le droit de la population de critiquer le gouvernement.

Les liens étroits entre le gouvernement et l’appareil de censure de la grande entreprise sont particulièrement visibles en Allemagne. Même si au 1ᵉʳ juillet, 1,5 pour cent seulement des utilisateurs de Facebook venaient d’Allemagne, 16 pour cent des 7500 censeurs de Facebook y commenceront à travailler d’ici la fin de l’année, lorsque le nouveau centre sera opérationnel. Fin juin, le Parlement fédéral a adopté la « Loi sur l’application de la législation sur les réseaux sociaux » qui oblige des entreprises comme Facebook à assumer les responsabilités de censeur. Sans qu’une décision judiciaire ait été rendue, la société doit supprimer dans les 24 heures « un contenu manifestement illicite » sous peine d’encourir une amende pouvant atteindre 50 millions d’euros [59 millions de dollars]. La tâche incombera donc aux grandes entreprises Internet de décider de ce qui est « manifestement illicite ».

La censure de l’Internet exercée par le gouvernement et les entreprises est loin de se limiter à Facebook. Google, le monopole des moteurs de recherche, a fait disparaître des sites entiers de ses pages de résultats de recherche, ce qui les rend inaccessibles à des millions de lecteurs.

Cette démarche avait également été mise en œuvre en étroite concertation avec les milieux gouvernementaux allemands. Le 25 avril, l’ingénieur en chef du moteur de recherche de Google, Ben Gomes, a annoncé que Google réduirait dorénavant les informations de « faible qualité » telles « les théories du complot » et les « fausses nouvelles ».

Trois semaines auparavant, Gomes avait rencontré les représentants de tous les gouvernements des Länder allemands pour discuter du fonctionnement des moteurs de recherche.

Les mesures de censure de Google ont pour effet que de nombreux sites anti-guerre et publications de gauche ont été massivement rétrogradés. Le World Socialist Web Site a été tout particulièrement ciblé, le trafic en provenance de recherches sur Google a chuté de 67 pour cent.

Le recours à une telle censure agressive de la part du gouvernement et des grandes entreprises ne peut s’expliquer que par des conflits sociaux croissants. La politique militariste et de destruction des acquis sociaux se heurte à l’opposition de la grande majorité de la population active. La guerre et le capitalisme sont incompatibles avec les droits démocratiques fondamentaux.

C’est pourquoi tous les partis représentés au parlement allemand réclament dans leurs programmes électoraux le renforcement de l’appareil d’État et la censure de l’Internet. Dans ce contexte, des termes tels « fake news » ou « discours de haine » servent à justifier la répression de l’État. Par contre les mensonges des grands médias et la propagande faite par tous les partis traditionnels à l’encontre des réfugiés, sont disséminés sans entraves.

Dans son programme, le Parti social-démocrate (SPD) décrit les « fausses nouvelles » comme étant « un grand danger pour la coexistence pacifique et une société libre et démocratique ». En conséquence, il exige « une amélioration de la formation et un meilleur équipement des autorités policières et du système judiciaire dans ce domaine. » Le SPD veut maintenir la Loi sur l’application de la législation sur les réseaux sociaux et réduire davantage les « délais de réponse ». « Tous ceux qui ne respectent pas les dispositions s’exposent à de lourdes amendes. »

Le parti Die Linke (La Gauche) demande également plus de policiers et de mesures prises contre les « agressions verbales » sur les sites Internet. « Nous voulons protéger la sécurité des citoyens dans l’espace public au moyen de plus de personnel », précise son manifeste électoral. « Sur les réseaux sociaux, comme dans les espaces publics en général, la protection contre les agressions verbales, le discours de haine et la diffamation doit être mise en œuvre. »

Ce n’est pas un hasard si le choix de mots rappelle la campagne que des médias de premier plan ont mené contre le World Socialist Web Site et l’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE). Ils ont été accusés d’intimidation et de dénigrement pour avoir critiqué publiquement des déclarations d’extrême-droite, qui furent par la suite confirmées comme telles par un tribunal, émises par le professeur Jörg Baberowski de l’Université Humboldt de Berlin. Des accusations de « harcèlement » et de « diffamation » avaient été soulevées contre eux.

Juste avant la visite de Gomes à Berlin, le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung s’était plaint de « l’efficacité considérable qu’a le groupe scissionniste trotskyste » en demandant de censurer le WSWS – exigence que Google a satisfait depuis.

(Article original paru le 11 août 2017)

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