L’Espagne suspend la loi d’indépendance catalane et aggrave le conflit avec les séparatistes

La Cour constitutionnelle espagnole a annoncé la suspension de la loi de « transition » vers l’indépendance adoptée par le Parlement régional de Catalogne vendredi dernier. Cela survient après qu’environ 1 million de personnes ont défilé à Barcelone lundi dernier lors de la fête nationale de la Catalogne et moins de trois semaines avant le référendum sur l’indépendance catalane prévu pour le 1ᵉʳ octobre.

La loi de transition a été adoptée par les partis séparatistes bourgeois au parlement catalan, la coalition Ensemble pour le oui composée du Parti démocrate européen catalan (PdeCAT), de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et des Candidatures de l’unité populaire (CUP). La loi constitue la base d’une constitution après une déclaration d’indépendance, si le vote « oui » remporte le référendum.

Avec le référendum sur l’indépendance catalane et la campagne juridique et policière de Madrid pour l’arrêter, une crise profonde a éclaté dans le système d’État espagnol tel qu’il a émergé de la Transition vers la démocratie parlementaire après 1978. Cela fait partie de l’effondrement de l’Union européenne (UE) illustré par le vote de la Grande-Bretagne pour quitter l’UE l’année dernière. Après une décennie d’austérité profonde et de chômage de masse en Europe depuis le krach de Wall Street en 2008, l’élite dirigeante en Espagne est violemment divisée.

Le gouvernement du parti populaire (PP) du Premier ministre Manuel Rajoy, dont le patrimoine politique s’étend au régime fasciste de Francisco Franco avant 1978, est déterminé à prendre une ligne dure avec les nationalistes catalans. Le PP n’a aucune illusion quant au caractère de classe de la coalition Ensemble pour le Oui, dont les partis constituants ont soutenu ou dirigé des gouvernements pro-austérité en Catalogne.

Au milieu de l’escalade de la colère sociale en Europe, cependant, le PP voit toute initiative qui pourrait déclencher par inadvertance une opposition politique dans la classe ouvrière – dans une région qui était un centre de l’opposition à Franco pendant la guerre civile espagnole de 1936-1939 – comme une menace mortelle. Malgré les avertissements de la presse internationale et de sections de la classe dirigeante espagnole selon lesquelles il devrait négocier une solution avec les séparatistes catalans, le PP poursuit des mesures agressives qui menacent de provoquer des conflits armés à l’intérieur de la machine d’État.

Des sections du PP proposent maintenant d’invoquer l’article 155 de la Constitution, qui suspendrait le gouvernement catalan et imposerait le gouvernement directe de Madrid. Mardi, le porte-parole du groupe parlementaire PP, Rafael Hernando, a souligné que l’article 155 « est une disposition constitutionnelle toujours sur la table », et le ministre de la Justice, Rafael Catalá, a déclaré que « c’est un outil qui peut être appliqué ».

Le procureur général José Manuel Maza a ordonné aux quatre procureurs en chef des provinces catalanes d’enquêter sur les 712 maires qui ont exprimé leur soutien au référendum. Il s’agit des trois quarts du nombre total de maires en Catalogne. S’ils ne comparaissent pas devant le bureau du Procureur de leur propre gré, a averti Maza, la police aura ordre de les arrêter. La CUP a déclaré que ses maires désobéiraient aux tribunaux.

Les procureurs de l’État ont également ordonné à la Police nationale, aux gardes civiles paramilitaires et à la police régionale catalane de saisir tout matériel contribuant à préparer ou à organiser le « référendum d’autodétermination illégale, y compris les urnes, les imprimés et le matériel informatique ». Il y a eu des fouilles d’entreprises d’imprimerie à la recherche de bulletins de vote et des centaines de policiers supplémentaires ont été envoyés dans la région.

Les réunions organisées à l’appui du référendum ont également été ciblées, dont une organisée pour le 17 septembre à Madrid par Madrileños por el Derecho a Decidir (Résidents de Madrid qui soutiennent le droit de décider), qui a été interdite. Le juge responsable a affirmé qu’il « n’est pas possible qu’un événement qui est ouvertement contre la Constitution et les résolutions de la Cour constitutionnelle soit aidé par une municipalité qui, comme cela a été exprimé, a également le devoir de respecter la loi ».

Malgré les menaces de Madrid, les séparatistes catalans persévèrent avec le référendum, mettant les bourgeoisies espagnoles et catalanes sur une trajectoire de collision dans un conflit qui échappe rapidement à tout contrôle

Le gouvernement régional catalan sous le Premier ministre Carles Puigdemont (PDeCAT) refuse de reculer, affirmant que « face aux procédures judiciaires et aux menaces », il « est plus déterminé que jamais » à organiser ce référendum. La campagne a été lancée jeudi soir à Tarragone sous les slogans « Bonjour nouveau pays », « Bonjour République ». « Bonjour l’Europe » et « Bonjour le monde ». Les partis séparatistes ont demandé au Président, Carme Forcadell (ERC), de suspendre le parlement régional pendant la campagne.

Des inquiétudes se développent dans la classe dirigeante en Espagne et à l’étranger de peur que le conflit entre Madrid et Barcelone ne déclenche une crise qui pourrait engloutir rapidement l’Espagne et l’UE. La plupart d’entre eux reprochent au premier ministre du PP, Rajoy, son intransigeance, arguant que son PP devrait pouvoir négocier avec les nationalistes catalans.

L’organisation patronale espagnole, CEOE, a averti qu’alors qu’elle soutient l’État de droit et « toutes les actions » que le gouvernement pourrait prendre pour le faire respecter, la « coexistence sociale et la prospérité économique » de l’Espagne sont en jeu. La CEOE a déclaré qu’une solution politique à la crise devait être conclue « avec la plus grande urgence possible ».

Le Financial Times, sous le titre « Le temps presse pour un compromis catalan », a accusé Rajoy d’être « inflexible » et a appelé le gouvernement espagnol à voir le référendum « comme un problème politique à résoudre plutôt qu’[un problème] de sédition à écraser ». Il a exprimé son dégoût pour le spectacle « peu édifiant des « forces de sécurité espagnoles qui font la chasse aux urnes et aux bulletins de vote illicites », en le comparant à cet « apparat de protestation civique » des nationalistes catalans.

Le référendum n’est pas tellement populaire parmi les travailleurs. Alors que la plupart des sondages révèlent l’opposition à la répression de Madrid contre le référendum, que 70 % des Espagnols voudraient voir avoir lieu, le soutien en Catalogne à la séparation est également faible, de 30 % à 40 %. Le soutien à la séparation en Catalogne semble augmenter en raison de la colère populaire contre la répression de Madrid, cependant.

La question critique dans cette situation explosive est l’intervention politique indépendante de la classe ouvrière en opposition à l’élite dirigeante à Madrid et aux séparatistes bourgeois en Catalogne. Ni la division de l’Espagne par l’émergence d’un nouvel État bourgeois en Catalogne, ni la croissance d’un appareil de police répressif centré sur Madrid, n’offrent quoique ce soit aux travailleurs.

Les forces de la « gauche » petite-bourgeoise ont consacré des ressources considérables à la promotion d’un référendum dirigé par les partis bourgeois, pro-austérité et pro-OTAN comme un pas en avant radical. Les Anticapitalistas pablistes ont décrit le référendum comme une « révolution politique » qui, selon leur chef Jaime Pastor, pourrait « aider à démocratiser l’Espagne, en aidant à stopper les tendances autoritaires du régime. »

Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Le soutien des séparatistes catalans à l’austérité et leur indifférence à la guerre impérialiste qui se déploie au Moyen-Orient, ou même à tout ce qui se passe en dehors des frontières de leur région, n’est finalement pas moins réactionnaire que les politiques de Madrid.

Ils parlent pour des sections de la classe dirigeante catalane qui, consciente du fait qu’alors que la Catalogne ne représente que 16 pour cent de la population espagnole, elle représente un cinquième de la production économique et un quart des exportations espagnoles, cherche une plus grande part des bénéfices. En colère du fait que leurs impôts financent les dépenses sociales dans les autres régions plus pauvres d’Espagne, ils espèrent qu’en utilisant la richesse de la Catalogne, ils pourraient conclure de meilleurs accords sur le marché mondial si leur région était autonome ou indépendante. Ils se sont révélés être violemment hostiles à la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 15 septembre 2017)

 

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