Les sociaux-démocrates allemands se préparent à réprimer l’opposition populaire

Après sa pire défaite électorale de l’après Seconde Guerre mondiale, le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) n’a pas tardé à se repositionner. Lors de la soirée électorale, le SPD a annoncé qu’il n’était pas intéressé par la poursuite de la grande coalition avec l’Union démocrate-chrétienne conservatrice et qu’il ferait partie de l’opposition. Trois jours plus tard, le groupe parlementaire du SPD a élu l’ancienne ministre du Travail, Andrea Nahles, comme chef de file.

Nahles deviendra ainsi le nouveau guide politique du SPD. La direction du groupe parlementaire lui offre plus d’opportunités d’influence politique que la position de chef du parti, bien qu’il y ait beaucoup d’éléments qui suggèrent qu’elle sera également le successeur de Martin Schulz à ce poste. L’influence de Schulz diminue rapidement après avoir présidé au pire résultat électoral du SPD depuis 1945, avec 20,5 pour cent du vote. La seule raison pour laquelle il n’a pas été immédiatement limogé, c’est que le parti l’a élu à l’unanimité à sa tête en mars.

Les décisions du SPD d’entrer dans l’opposition et de choisir Nahles ont un contenu politique clair. Il ne s’agit pas d’un « processus de renouvellement », d’un « rôle combatif dans l’opposition » ou d’un défi à la Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite, comme le disent publiquement Nahles et le SPD. En tant que plus grand parti d’opposition, le SPD assumera la tâche de réprimer l’opposition populaire au militarisme, au renforcement de l’appareil d’État et aux coupes dans les budgets sociaux. Ce faisant, le SPD adopte toujours plus ouvertement les slogans de l’AfD.

Face à l’opposition sociale et politique croissante, le SPD ne participe pas au gouvernement pour couvrir les politiques de droite développées avec une participation majeure du parti depuis 1998, pour une période de quatre ans seulement. La coalition entrante « Jamaïque », des démocrates-chrétiens, libéraux et verts va poursuivre ces politiques. Les sociaux-démocrates s’appuient sur des dizaines de milliers de bureaucrates dans les syndicats, le SPD et l’appareil d’État, où le SPD continue d’exercer une influence considérable à l’échelon des lander.

Nahles, âgée de 47 ans, est mieux équipée pour jouer ce rôle que presque tout le monde. Contrairement à Martin Schulz, qui a passé les 23 dernières années de sa carrière politique dans la politique européenne, Nahles dispose d’un réseau étroit de contacts à l’intérieur et à l’extérieur du SPD.

Elle est membre non seulement du SPD, mais aussi du syndicat IG Metall, d’Attac et du Comité central des catholiques allemands. Elle a également été membre de Denkfabrik pendant plusieurs années, un groupe de réflexion au sein du SPD qui évalue les perspectives d’une collaboration plus étroite entre le SPD, le Parti de gauche et les Verts. Angela Marquardt, chef d’opérations de Denkfabrik, est la secrétaire de Nahles à Berlin. Jusqu’en 2002, Marquardt était un membre de premier plan du prédécesseur du Parti de gauche, le Parti du socialisme démocratique (PDS).

En tant que chef de file de l’opposition, Nahles s’efforce d’établir une coopération avec le Parti de gauche. « Nous avons maintenant devant nous quatre ans d’opposition et nous devons nous entendre d’une manière ou d’une autre sur notre responsabilité commune pour notre démocratie. J’y suis

prête », a-t-elle déclaré lors d’un entretien avec Der Spiegel après son élection en tant que chef de groupe parlementaire.

Dans ses différents postes dans le parti et au gouvernement, Nahles a perfectionné la technique consistant à combiner des phrases démagogiques avec des politiques de droite. Après avoir rejoint le SPD à l’âge de 18 ans, elle a dirigé les Jusos, l’organisation de jeunesse du SPD, de 1995 à 1999. Elle était une protégée du leader du SPD, Oskar Lafontaine, qui l’a décrite comme un « don de Dieu ». Nahles fut élue au parlement (Bundestag) pour la première fois en 1998. En 2009, elle est devenue secrétaire générale du SPD et, en 2013, elle est devenue ministre du Travail dans le gouvernement de la grande coalition d’Angela Merkel.

Elle a collaboré étroitement avec les syndicats dans ce rôle. Elle est responsable de la Loi sur l’unité de contrat, qui a créé un monopole effectif pour les syndicats alignés sur l’Alliance syndicale allemande (DGB) et a empêché les grèves de syndicats plus petits et professionnels tels que Cockpit (pour les pilotes), le Marburger Bund (médecins) et le Syndicat des conducteurs de trains.

En 2003, Nahles a critiqué publiquement l’Agenda 2010 du chancelier du SPD, Gerhard Schröder, ce qui lui a valu une réputation « de gauche ». Mais elle n’en a tiré aucune conclusion politique concrète, autre que la promotion de sa propre carrière. Au cours de son mandat en tant que ministre du Travail, l’Agenda 2010 a pris plein effet : l’Allemagne est devenue un pays à bas salaire où 40 % des travailleurs salariés travaillent dans des conditions précaires.

Les projets propres à Nahles, le salaire minimum, les retraites d’entreprise et la Loi sur la convention collective unique visaient à renforcer l’Agenda 2010. Ils visaient à réduire les critiques sans imposer même les restrictions les plus minimes sur la chasse aux profits prédatrice des sociétés et des banques allemandes. En outre, ils avaient le but de consolider l’influence des syndicats dans l’économie.

La pièce maîtresse de la politique sociale de Nahles est le salaire minimum, qui est entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2015. Il s’élève actuellement à 8,84 € de l’heure, si bas qu’il est impossible d’en vivre dans une grande ville. Et il y a plus de trous dans la réglementation du salaire minimum que dans un fromage suisse. Les nombreuses exceptions visent les jeunes, les travailleurs saisonniers et les aides pour les récoltes, les chômeurs de longue durée, et d’autres. Des conditions supplémentaires qui minent le salaire minimum ont été ajoutées.

C’est la même histoire avec la loi sur les retraites d’entreprise, qui profite principalement aux fonds de pension et aux compagnies d’assurance. Les retraites d’entreprise sont financées par une « rémunération différée », c’est-à-dire des cotisations tirées des salaires des employés. Les entreprises sont rémunérées avec des subventions fiscales et la retraite de l’État a encore été réduite. Dans la pratique, ce type de retraite d’entreprise contribue à une augmentation de la pauvreté des personnes âgées. Depuis 2006, le nombre de personnes qui doivent travailler après avoir atteint l’âge de la retraite a doublé.

L’entretien accordé par Nahles dans le dernier numéro de Der Spiegel ne laisse aucun doute du fait que le SPD continuera ces politiques de droite dans l’opposition.

« Nous devons maintenant prendre la responsabilité de notre démocratie dans l’opposition », a déclaré Nahles à Der Spiegel. Le SPD n’interprète pas « la responsabilité de la démocratie » comme signifiant la défense des droits démocratiques : il a joué un rôle majeur dans la détérioration systématique de ces droits au cours des dernières années. Il s’agit plutôt de renforcer l’appareil de répression de l’État bourgeois. « C’était juste de notre part d’exiger 15 000 policiers de plus dans notre campagne », a déclaré Nahles dans cet entretien.

Elle a adopté le ton de l’AfD sur la politique des réfugiés et a préconisé la création d’un État fort. « Nous ne sommes pas naïfs », a-t-elle dit. « Quand un million de personnes vient ici, elles ne vont pas toutes être gentilles. Et quiconque ne joue pas selon les règles doit faire face à des conséquences sévères. »

Interrogée sur la question de savoir si l’État doit être capable de fermer ses frontières, Nahles a répondu : « Oui, parce qu’un état doit pouvoir être fort. C’est une force de réglementation, d’organisation, de création d’opportunités, mais aussi de sanctions et de restrictions. Si cela est remis en question, ce ne sera pas bon à long terme. »

Nahles a insisté sur la poursuite des politiques de l’Agenda 2010 de Schröder. En réponse à la remarque de Der Spiegel selon laquelle, « L’Agenda 2010 a été une erreur », elle a déclaré, « Non, l’Agenda était une impulsion nécessaire à la réforme ». Elle a rejeté la politique du leader du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn avec la remarque : « Les choses fonctionnent différemment ici. En Allemagne, nous avons une bonne tradition de culture de la consultation, par exemple entre les employeurs et les syndicats. »

Surtout, Nahles a insisté pour que l’Allemagne respecte les objectifs de la politique étrangère fixés par la grande coalition il y a quatre ans. Sur la base de sa position dominante en Europe, l’Allemagne devrait de nouveau devenir une puissance militaire. Pour ce faire, elle a appelé à une coopération étroite avec la France.

Nahles a déclaré qu’elle était très reconnaissante envers le président français Emmanuel Macron pour « avoir présenté cette semaine sa vision de l’Europe avec un État fort et constructif, une union de défense, un salaire minimum unifié et un État social harmonisé. » L'« État fort » de Macron se voit dans l’état d’urgence permanent qu’il maintient en France. Et le discours de Nahles sur un « État social harmonisé » se voit dans les réformes du marché du travail droitières de Macron, qui ont déclenché des manifestations orageuses des travailleurs français.

Nahles et le SPD sont bien conscients de l’opposition généralisée des travailleurs et des jeunes au militarisme, au renforcement de l’appareil d’État et aux réductions sociales – politiques que tous les partis établis sous une forme ou autre soutiennent. L’AfD a pu diriger cette colère refoulée vers les canaux de droite avec ses slogans démagogiques.

Mais il y a des millions de gens qui s’opposent à l’arrangement politique actuel autant qu’ils s’opposent à l’AfD et cherchent une sortie progressiste de l’impasse capitaliste. Le SPD considère que sa tâche la plus importante est de contrôler et de supprimer cette opposition.

(Article paru en anglais le 3 octobre 2017)

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