La prise de Kirkouk aux Kurdes par les Irakiens risque de déclencher une guerre plus large

Le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi a ordonné l’offensive des unités de l’armée irakienne et des milices chiites favorables au gouvernement lundi pour capturer la ville riche en pétrole de Kirkouk et les régions avoisinantes du gouvernement régional kurde. L’attaque, qui aurait provoqué des affrontements dans certaines zones entre les unités irakiennes et les combattants peshmergas, menace non seulement de déstabiliser davantage l’Irak, mais pourrait déclencher un conflit catastrophique plus large qui pourrait rapidement engloutir la Syrie voisine, attirant les puissances régionales et impérialistes.

La reprise de Kirkouk a eu lieu après que Bagdad a négocié le retrait volontaire des forces peshmerga alignées sur la faction de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), hostile au président du KRG (Gouvernement régional kurde), Masoud Barzani, et opposée au référendum sur l’indépendance kurde de septembre. Le référendum, qui a donné une majorité substantielle en faveur de l’indépendance, a été condamné par les puissances régionales et impérialistes, et dénoncé par Bagdad comme inconstitutionnel.

Barzani a déclaré que l’avancée irakienne était un acte de guerre et a ordonné aux peshmergas sous son commandement d’utiliser toutes les ressources disponibles pour riposter. Les responsables du KRG ont accusé l’UPK d’une « trahison » pour n’avoir pas résisté à l’avance irakienne.

La perte de Kirkouk sera un revers dévastateur pour les projets d’indépendance de Barzani. Le contrôle des réserves de pétrole de la région représentait une importante source de revenus pour le KRG, qui a établi un pipeline vers la Turquie pour contourner Bagdad et vendre du pétrole sur le marché mondial.

Alors que les forces peshmerga contrôlaient les champs de pétrole à l’extérieur de Kirkouk lundi, Erbil aurait dû interrompre les livraisons de pétrole à la Turquie, les ingénieurs ne se rendant pas au travail. Le Groupe Eurasie a estimé que sur les 600 000 barils par jour expédiés par le KRG à la Turquie, 450 000 barils tomberaient sous le contrôle du gouvernement central irakien s’il établissait une emprise stable sur Kirkouk et les régions environnantes.

Bien que les responsables de l’armée américaine et les médias bourgeois cherchent à minimiser l’ampleur des affrontements de lundi, l’avancée de l’armée irakienne aura des conséquences explosives et risque une nouvelle vague de saignées sectaires qui pourrait rapidement engloutir toute la région. Les deux camps n’ont pas seulement été armés jusqu’aux dents et entraînés par les États-Unis et leurs alliés impérialistes ces dernières années, mais ils se battent pour des régions qui ont une importance économique et géostratégique majeure. En outre, la situation en Irak et dans tout le Moyen-Orient est extrêmement fragile, avec les puissances impérialistes américaines et européennes qui se bousculent pour faire avancer leurs intérêts et les puissances régionales comme la Turquie, l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite qui sont de plus en plus étroitement liées à des alliances de plus en plus mouvantes. L’ampleur réelle du danger qui pèse sur la population de la région depuis longtemps devient évidente.

Kirkouk était le joyau du KRG. La ville riche en pétrole et les champs de pétrole environnants sont sous domination kurde depuis 2014, lorsque les forces irakiennes ont fui devant l’avancée de l’État islamique. Lors du référendum du mois dernier, Barzani a inclus de manière controversée cette ville ethniquement diversifiée dans la zone considérée comme faisant partie d’un État indépendant, espérant ainsi prendre le contrôle de sa richesse pétrolière. Bagdad a répondu avec fureur, promettant d’utiliser l’armée pour rétablir son contrôle.

La responsabilité première de ce conflit ethnique et sectaire incombe à l’impérialisme américain et à ses alliés qui ont systématiquement encouragé les ambitions régionales kurdes dans le nord de l’Irak depuis l’invasion illégale dirigée par les États-Unis en 2003. Parallèlement, Washington a aidé à établir un régime fantoche à Bagdad, qui a mené une répression brutale contre les zones sunnites d’Irak, tout en refusant de tolérer un mouvement des Kurdes vers l’indépendance.

Après avoir détruit la société irakienne, créant les conditions politiques et sociales dans lesquelles les conflits régionaux et ethniques pourraient prendre des formes aussi malignes, l’impérialisme américain cherche maintenant hypocritement à se poser en arbitre neutre entre Bagdad et Erbil. Son but principal est d’empêcher une guerre civile totale en Irak, car cela entraverait le programme plus large de Washington au Moyen-Orient de repousser l’influence iranienne et de consolider une alliance avec les États du Golfe et Israël pour assurer la domination américaine sur la région riche en énergie et stratégiquement importante.

Cependant, les actions américaines sont le facteur le plus déstabilisant. Tout en soutenant à la fois le KRG et le gouvernement central irakien avec des ressources financières et militaires, ainsi que du personnel sur le terrain, Washington compte principalement sur ses alliés kurdes en Syrie pour évincer l’État islamique de son territoire qui fond déjà à vue d’œil, mais, de manière bien plus importante aux yeux de Washington, ces mêmes alliés doivent empêcher les forces loyales à l’Iran et au gouvernement syrien de Bachar al-Assad de prendre le contrôle de l’est de la Syrie. Cela permettrait à Téhéran d’établir un pont terrestre vers Damas, le Liban et la côte méditerranéenne, ce qui constituerait un coup stratégique majeur contre les États-Unis et Israël, son principal allié au Moyen-Orient.

Bien que les Kurdes syriens ne soient pas en bons termes avec Barzani et s’alignent plutôt sur le Parti ouvrier kurde (PKK) en Turquie, pour Ankara, Bagdad et Téhéran, l’émergence de zones autonomes kurdes renforcées dans le nord de la Syrie et l’Irak est intolérable, quelle que soit leur allégeance. Ces derniers jours, la Turquie a de nouveau envoyé des troupes dans le nord de la Syrie pour bloquer l’émergence d’un territoire kurde contigu à sa frontière sud, provoquant de vives protestations du gouvernement syrien contre la violation de sa souveraineté. L’armée de l’air israélienne a effectué une frappe sur une batterie de missiles près de Damas lundi matin, affirmant qu’elle avait tiré sur des avions de reconnaissance israéliens au-dessus du Liban.

Ankara a condamné le référendum d’indépendance de Barzani et s’est entretenu avec l’Iran sur une possible intervention militaire. Il s’est engagé à remettre les frontières entre la Turquie et le KRG au gouvernement de Bagdad. Avec une base militaire turque dans le nord de l’Irak, non loin de Mossoul, Ankara pourrait également être entraîné dans les combats s’ils se propagent.

Une déclaration du gouvernement turc a fait l’éloge de l’offensive irakienne, affirmant qu’il était nécessaire de chasser les forces du PKK qui auraient été hébergées par le KRG. Dans ce qui constituait une menace d’invasion militaire directe, Ankara était : « prête à toute forme de coopération avec le gouvernement irakien afin de mettre un terme à la présence du PKK sur le territoire irakien. »

Cela fait suite à la déclaration provocatrice du président turc Recep Tayyip Erdogan à la suite du référendum kurde selon laquelle les actions d’Erbil pourraient déclencher une « guerre ethnique ».

L’offensive irakienne intervient quelques jours après que le président américain Donald Trump ait promis de sabrer l’accord nucléaire de 2015 avec Téhéran, à moins que le pacte ne soit renégocié pour répondre aux exigences de Washington. Non seulement l’annonce de Trump a aggravé les tensions entre les États-Unis et l’Iran à travers tout le Moyen-Orient, puisque Washington a pris l’engagement de cibler les opérations des Corps des gardiens de la révolution iranienne (IRGC) en Syrie et au Yémen, mais elle a mis en exergue la rupture grandissante entre la politique impérialiste américaine et celle de ses rivaux européens.

Si les combats en Irak se propageaient, l’Iran ferait face à la perspective immédiate d’être entraîné dans le conflit. Un nombre considérable de militaires iraniens, y compris des membres des gardiens de la révolution, ont été incorporés dans l’armée irakienne pour renforcer ses opérations contre l’État islamique (ÉI), ce qui aurait empêché Trump de désigner l’IRGC comme une « organisation terroriste » dans son discours sur l’Iran vendredi.

En outre, les milices chiites qui ont rejoint l’armée irakienne entrant dans Kirkouk sont sous influence iranienne. Le Guardian britannique a rapporté que Qassem Suleimani, chef de la force Quds (forces spéciales) de l’IRGC, a aidé à diriger l’offensive.

Des informations non confirmées indiquaient lundi que les conflits ethniques avaient déjà commencé. Les commandants kurdes ont affirmé que les forces irakiennes en marche avaient incendié des villages au sud de Kirkouk. Un grand nombre de personnes auraient fui la ville, tandis que le gouverneur kurde de la région a appelé tous ceux qui avaient des armes à résister à l’offensive de Bagdad.

Le gouvernement irakien a affirmé que les milices chiites, appelées Unités de mobilisation populaires (UMP), notoirement connues pour leurs attaques anti-sunnites et kurdes, ont accepté de ne pas entrer à Kirkouk, une ville multiethnique et multi-religieuse comprenant des Arabes, des Turkmènes et des Kurdes. Mais déjà lundi après-midi, il y avait des informations indiquant que les deux hauts commandants des UMP entrant dans la ville pour voir les drapeaux irakiens hissés au-dessus des bâtiments du gouvernement.

Lundi, le Premier ministre irakien, Al-Abadi, a publié une déclaration proclamant que l’opération militaire visait à « protéger l’unité du pays » et a exhorté les Kurdes à ne pas résister.

Une indication de la violence dans la région est donnée par le fait que l’avancée irakienne a été dirigée par les Forces antiterroristes de Bagdad (des forces spéciales) qui ont mené l’assaut meurtrier contre Mossoul conjointement avec les frappes aériennes américaines. L’assaut a laissé une grande partie de la ville en ruines et a fait des dizaines de milliers de morts civiles.

(Article paru d’abord en anglais le 17 octobre 2017)

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