Selon Libération, la police française collabore avec un ex-tueur des GAL

Peu après que le Parquet de Paris a demandé la semaine dernière le retrait de l‘habilitation d‘officier de police judiciaire pour l‘ancien chef de la police anti-drogue François Thierry, mis en examen fin août, le journal Libération publiait un article révélant qu‘il collaborait avec un ex-recruteur des GAL (Groupes antiterroristes de libération), les escadrons de la mort utilisés par Madrid dans les années 1980 pour assassiner des indépendantistes basques en France.

Les juges qui ont interrogé Thierry mi-septembre l‘avaient accusé d‘avoir « délibérément caché à l’autorité judiciaire des informations essentielles qui auraient permis de juguler le trafic de stupéfiants » et de l‘avoir « ainsi facilité ». On ne lui avait cependant pas imposé de contrôle judiciaire et il restait en poste à la sous-direction antiterroriste de la PJ.

Selon l‘agence Reuters le parquet justifie sa demande par « de très sérieuses entorses à la déontologie, en particulier un manque de loyauté à l’égard de l’autorité judiciaire ». La mesure peut effectivement mettre l‘ex-patron des « stups » sur la touche.

Les informations de Libération ajoutent cependant une autre dimension à une affaire qui avait déjà révélé l‘hostilité de sections de l‘appareil d‘Etat vis-à-vis d’un État de droit. Le journal pointe la collaboration étroite non plus seulement avec un gros trafiquant de drogue, Sofiane Hambli, mais encore avec une « pointure redoutée » du milieu, surnommée « le Chacal », appelé encore Alain David Benhamou , un ancien membre et recruteur des commandos utilisés par Madrid pour éliminer physiquement en France les membres de l‘ETA avec l‘acquiescement de l’État français.

Ces commandos, dirigés et payés par le ministère de l‘Intérieur espagnol ont commis en France, entre décembre 1983 et juillet 1987, une trentaine d’assassinats, y compris ceux de huit personnes n‘ayant rien à voir avec l‘ETA ou son entourage.

Selon Libération, ils étaient surtout recrutés dans les milieux d’extrême-droite du renseignement, les ex de l’Algérie française et les sbires du Service d’action civique, le notoire service d’ordre gaulliste dissous en 1982. « Mais les GAL s’appuient aussi sur des équipes de voyous venus de Bordeaux, Marseille ou Cannes, comme le Chacal, rompus au maniement des armes et attirés par les primes accordées à chaque assassinat d’un 'etarra' (militant d’ETA) ciblé par l’organisation. »

En 1995, au cours du procès des GAL en Espagne, l'instruction menée par le juge Garzon avait montré le rôle de policiers français, payés par Madrid, dans l'organisation de ces attentats. Selon un article de 2001 du journal stalinien L‘Humanité, « Les commandos des GAL disposaient, pour agir, de documents officiels français. Des photos extraites des dossiers administratifs des réfugiés politiques, une liste des barrages routiers que la police organisait après chaque attentat, des fiches de renseignements policiers sur des Basques ‘militants’».

Une bonne partie des principaux dirigeants du ministère de l'Intérieur furent alors accusés d'organisation d'assassinats et d‘avoir mené une « sale guerre » en France avec des commandos terroristes contre les réfugiés basques liés à l'ETA. Garzon avait fait incarcérer les principaux responsables de la lutte contre l'ETA des années 1980.

Cette politique d‘attentats avait été mise en œuvre par le gouvernement du Parti socialiste espagnol (PSOE) dirigé par Felipe Gonzalez, qui a gouverné l'Espagne de 1982 à 1995. Quelques semaines avant son début, Gonzales avait déclaré à Bilbao qu‘il fallait « attaquer les terroristes avec leurs propres armes : le terrorisme ».

Libération rapporte qu’en échange de leurs « services », Benhamou et ses associés furent « autorisés » à organiser le trafic de drogue autour de Marbella, au sud de l‘Espagne, nouvelle plaque tournante de la drogue en Europe. L‘opération officiellement terminée, une partie des tueurs avaient été « recyclés » par les services de police français. « Vingt ans plus tard, la police française a recyclé les vieux réseaux du GAL pour monter ses propres opérations secrètes » écrit le journal.

L’État espagnol n‘était pas un novice en fait d‘escadrons de la mort. Sa collaboration avec des secteurs de l’État français n‘était pas nouvelle non plus.

Depuis la fin de la Guerre civile espagnole (1936-1939), le régime franquiste les lançait contre l‘opposition politique intérieure. En 1972, l‘espionnage franquiste avait monté une opération semblable à celle des GAL, en s‘appuyant sur des mercenaires liés à l‘organisation terroriste pro-Algérie française OAS (Organisation armée secrète), l‘opération « Doble E ». Son but était déjà de commettre des assassinats au pays basque français. L’OAS avait alors recruté de nombreux éléments dans la pègre d‘Oran, Alger, Bordeaux et Marseille.

L’OAS avait des liens étroits avec l‘État fasciste de Franco. Elle a été fondée à Madrid en 1961 avec la bénédiction du régime. Le site espagnol intereconomia écrit à propos des GAL: « Ainsi furent recyclés de nombreux ex-membres de l‘Organisation Armée secrète française qui à partir de 1983 passèrent au service de l‘Etat. Ces mercenaires – qui avaient une expérience accréditée des attentats, enlèvements et dynamitages – avaient déjà été d‘accord pour participer à l‘opération Doble E, organisée 11 ans auparavant pour en finir, au moyen d‘attentats, avec les terroristes sans impliquer les forces de l‘ordre. »

Le site ajoute: « Déjà en contact direct avec les français de l‘OAS, le Parti socialiste espagnol peut les recycler et convient avec eux que comme mercenaires et en échange d‘argent, ils commettront des attentats contre les membres de l‘ETA et les personnes liées à la gauche nationaliste basque. »

Les informations concernant Benhamou ne sont pas vraiment nouvelles. Il avait déjà été question de cette figure, qui était un étroit collaborateur de divers services de renseignement français lors d’une enquête en mars 2016. Il n‘était pas seulement « traité » par François Thierry mais encore par Jean-Michel Pilon, ancien chef du groupe Stupéfiant, devenu un des responsables de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes de la douane (DNRED). Toujours selon Libération, un ancien haut responsable du renseignement douanier avait alors « levé un coin de voile » sur le personnage qu‘on appréciait parce qu‘il avait ‘un carnet d’adresses très étoffé qui nous a valu, pour ce qui nous concerne, d’être mis en relation, notamment avec des autorités étrangères’ ».

Ces informations témoignent de l‘état avancé du pourrissement de la démocratie en France et des dangers menaçant la classe ouvrière. Ce qui apparaît en particulier ici c’est une collusion complète sur fond de trafic de drogue entre le haut personnel des agences de police et de renseignement et des forces fascistes comme l’OAS, liées uu Front national néofasciste.

Elles soulèvent un certain nombre de questions: A quoi ont servi les quantités de drogues disparues dans la nature? Avec combien d‘autres éléments du même acabit que Benhamou les polices françaises collaborent-elles ? Servent-ils à recruter des trafiquants de drogue dans les milieux islamistes qui servent de truchements de l'Otan dans les guerres en Libye et en Syrie? Quelles sont les « opérations secrètes » dont parle Libération ?

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