Le Premier ministre catalan fait appel à l’UE alors que l’opposition à la répression de Madrid monte

De Bruxelles, où il a fui pour échapper aux poursuites des autorités espagnoles, le Premier ministre catalan destitué, Carles Puigdemont, a appelé hier l’Union européenne à intervenir dans la crise de la sécession. La semaine dernière, Madrid a invoqué l’article 155 de la Constitution espagnole pour imposer un régime non élu en Catalogne en réponse au référendum catalan du 1ᵉʳ octobre sur l’indépendance. Maintenant, Puigdemont demande à l’UE de négocier un accord entre le gouvernement du Parti populaire à Madrid et les autorités catalanes évincées.

Les travailleurs de Catalogne et d’Espagne font face à une tentative de l’élite dirigeante espagnole de s’emparer de l’appareil régional catalan, de purger la fonction publique et d’écraser toute opposition au programme d’austérité et de militarisme de l’UE en mobilisant des dizaines de milliers de soldats et de membres de la Guardia Civil. Le danger d’une répression policière et militaire sanglante en Catalogne est imminent.

L’appel de Puigdemont à Bruxelles exprime la banqueroute politique et le rôle réactionnaire du nationalisme bourgeois catalan dans cette situation explosive et dangereuse. Il y a des protestations de masse contre l’article 155 en Catalogne, des craintes au sein de l’élite dirigeante européenne d’une mobilisation de la classe ouvrière et une opposition populaire à l’article 155 à travers l’Espagne. La réaction de Puigdemont à cette opposition populaire grandissante est de rechercher un accord avec Madrid et l’UE, qui a clairement affirmé son soutien à la politique autoritaire de Madrid en Catalogne.

Parlant depuis Bruxelles, Puigdemont a déploré : « le grave déficit démocratique qui existe dans l’État espagnol » et a exhorté Bruxelles à intervenir « pour protéger les valeurs de l’UE ». Il a dit qu’il voulait installer le gouvernement régional catalan en partie à Bruxelles pendant un certain temps afin d’échapper à « la violence et l’agressivité » de Madrid. Appelant à la défense des « institutions et [de] la souveraineté » catalanes, Puigdemont a en même temps approuvé l’appel lancé par le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy en faveur d’élections anticipées en Catalogne le 21 décembre.

Bien que ces élections se dérouleront sous la menace des fusils, au milieu d’un déploiement militaire massif à la suite de la répression brutale des électeurs pacifiques lors du référendum du 1ᵉʳ octobre, Puigdemont affirme néanmoins que l’organisation d’élections le 21 décembre à Madrid constitue un « plébiscite démocratique ».

Des sondages du Centre d’Estudis d’Opinió montrent qu’une élection tenue aujourd’hui donnerait un parlement indépendantiste à Barcelone pratiquement indiscernable du parlement qui était à la base du gouvernement de Puigdemont avant d’être destitué par Madrid.

La coalition « Junts pel Sí » (JxS – « Ensemble pour le Oui ») recevrait 60 à 62 sièges, et les candidatures petites-bourgeoises de l’unité populaire (CUP) en recevraient entre huit et neuf. Cela donnerait la coalition « JxS-CUP » une majorité dans le parlement catalan de 135 sièges.

Puigdemont a fait tout ce qu’il pouvait pour suggérer que les élections du 21 décembre de Rajoy seraient une expression véritablement démocratique de la volonté de la population catalane. « J’accepterai les résultats, mais le gouvernement espagnol les acceptera-t-il s’ils ne sont pas favorables à Madrid ? » Puigdemont, a-t-il demandé, ajoutant que Rajoy pourrait accepter une déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne si le vote du 21 décembre donnait la majorité aux sécessionnistes.

Les appels de Puigdemont pour un accord avec l’UE et l’establishment politique à Madrid visent à promouvoir des illusions absurdes. L’UE n’interviendra pas en Espagne pour préserver les « valeurs démocratiques », pas plus que Madrid ne cherche à obtenir une consultation « démocratique » de la population catalane en organisant le scrutin du 21 décembre. Les dirigeants de l’UE et du gouvernement en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France ont maintes fois insisté sur le fait que Rajoy est la seule personne en Espagne avec laquelle ils vont négocier.

Madrid a invoqué l’article 155 pour suspendre les pouvoirs du parlement catalan. Quelle que soit la majorité rendue par l’élection du 21 décembre elle sera impuissante du point de vue de la loi espagnole pour nommer un gouvernement, adopter des lois ou prendre des mesures de fond. Les tentatives de Puigdemont de présenter les élections parlementaires catalanes comme « démocratiques » reviennent à appliquer une couverture « démocratique » à la politique dictatoriale de Madrid.

La seule manière de progresser dans la lutte contre le tournant de la classe capitaliste espagnole et européenne vers la dictature est une mobilisation révolutionnaire indépendante, de la classe ouvrière s’appuyant sur une perspective socialiste et internationaliste. La défense des droits démocratiques et sociaux élémentaires de la classe ouvrière à travers l’Espagne et l’Europe exige une lutte contre la tentative de Madrid et de l’UE d’imposer un gouvernement de force à toute une région de l’Espagne. La répression contre la Catalogne doit être arrêtée, et les troupes espagnoles et la police doivent se retirer de la région.

Une telle lutte ne peut être menée qu’en opposition à toutes les factions de l’élite politique espagnol, y compris ses factions dites « de gauche » comme le parti de la classe moyenne Podemos, et les nationalistes catalans. Malgré le conflit acharné entre les élites dirigeantes de Madrid et de Barcelone, elles réagissent à l’opposition populaire croissante à la répression en Catalogne en fermant les rangs contre la classe ouvrière et en se déplaçant vers la droite.

Les protestations de masse de centaines de milliers de personnes à Barcelone ont montré la large opposition populaire à la répression de Madrid en Catalogne. Les habitants de quartiers populaires hispanophones de Catalogne, comme L’Hospitalet de Llobregat, ont dénoncé les forces de police espagnoles comme des « forces d’occupation » et les cercles de la classe dirigeante craignent de plus en plus l’explosion de la classe ouvrière.

Plus tôt cette semaine, le quotidien français Le Bien Public a averti que « personne ne peut prédire les réactions des populations non catalanes qui constituent des banlieues entières de Barcelone et qui peuvent être agressives ». Il a cité un responsable social-démocrate de Barcelone en disant : « dans des réunions, dans les cafés, on évite d’en parler et c’est pour le mieux. C’est un baril de poudre ».

Hier, le quotidien d’extrême droite et amèrement anti-catalan El Mundo a publié un sondage montrant une large opposition en Espagne à l’écrasement de l’autodétermination catalane à Madrid. Malgré un mois de propagande anti-catalans dans la presse par des journaux comme El Mundo, seule une petite minorité d’Espagnols soutient l’attaque contre la Catalogne menée par le Parti populaire de Rajoy, le Parti des citoyens et le Parti socialiste espagnol (PSOE).

Le sondage a révélé que 57 pour cent des Espagnols et 76 pour cent des Catalans voulaient que la Catalogne organise un référendum pacifique sur l’indépendance. De grandes majorités se sont opposées à l’indépendance de la Catalogne (80 pour cent en Espagne, 58 pour cent en Catalogne) et ont estimé que l’indépendance était, en fait, impossible (71 pour cent en Espagne et 56 pour cent en Catalogne). Mais seule une petite minorité a approuvé une politique conduisant à « moins d’autonomie » en Catalogne : 27 pour cent en Espagne et 10 pour cent en Catalogne.

C’est une répudiation populaire dévastatrice non seulement de la répression de Rajoy, mais aussi de la campagne de presse pour la soutenir en dénonçant les Catalans et en promouvant les manifestations de « l’unité espagnole » auxquelles assistent des organisations fascistes comme la Phalange du dictateur espagnol Francisco Franco. Ce tournant vers des formes dictatoriales de gouvernement, qui est unanimement soutenu par l’UE et les principaux gouvernements européens, fait face à une profonde opposition parmi les travailleurs. C’est la base sociale objective d’une contre-offensive révolutionnaire contre le capitalisme européen et sa course à la dictature.

C’est aussi une exposition des appels impuissants de Puigdemont à Madrid ainsi que le rôle réactionnaire du parti espagnol Podemos. Ce dernier n’a rien fait pour mobiliser ses 5 millions d’électeurs pour s’opposer au passage à la dictature en Espagne, et le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, a passé beaucoup de temps au téléphone dans des discussions avec Rajoy. Quand Rajoy a annoncé des plans au Congrès espagnol pour invoquer l’article 155, Iglesias s’est tout de suite aligné sur les demandes de la presse pour l’unité nationale derrière la répression, disant à Rajoy : « Aujourd’hui n’est pas un jour pour la polémique. Je veux réfléchir avec toi ».

Ce n’est pas parce que la politique de Rajoy enregistrait temporairement des votes élevés en raison de la frénésie néo-fasciste de la presse espagnole que Podemos a capitulé devant Rajoy. Plutôt, il a capitulé parce qu’un appel à l’opposition à Rajoy aurait trouvé un large soutien et risqué de provoquer un face-à-face entre les travailleurs et la classe dirigeante, que Podemos, un outil petit-bourgeois de l’élite politique, est déterminé à éviter.

(Article paru d’abord en anglais le 1ᵉʳ novembre 2017)

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