Des dizaines de milliers de personnes protestent en Catalogne contre l'établissement d'un État autoritaire en Espagne

Des dizaines de milliers de personnes ont protesté mercredi en Catalogne contre la détention par le gouvernement central espagnol de nationalistes catalans en tant que prisonniers politiques après le référendum d'indépendance catalan du 1er octobre.

La manifestation, de soutien à une grève appelée par le petit syndicat intersectoriel séparatiste catalan, était une indication de la montée de l'opposition à la suspension du gouvernement élu de Catalogne par le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, et à la tentative d'établissement d'un régime autoritaire par Rajoy. Elle a eu lieu au lendemain de la décision sans précédent du gouvernement central de prendre le contrôle des finances de la capitale, Madrid, pour imposer plus d'austérité par décret.

Les manifestants ont dressé des barricades au centre-ville de Barcelone, bloqué des autoroutes et des lignes ferroviaires de trains à grande vitesse, et ont participé à une grande marche pour la libération des nationalistes catalans Jordi Sanchez et Jordi Cuixart. La police espagnole, qui a reçu des milliers de policiers en renforts lorsque le gouvernement du Parti populaire (PP) de Rajoy a imposé l'administration directe de la Catalogne en invoquant l'article 155 de la Constitution espagnole de 1978, a chargé et agressé des manifestants à des barricades et des piquets dans la ville.

La protestation a eu lieu malgré un flot d'attaques de la part des politiciens, des hommes d'affaires catalans, de la bureaucratie syndicale espagnole et l'intensification de la présence policière en Catalogne. La fédération patronale catalane Foment del Traball a intenté une poursuite pour obtenir une injonction interdisant la grève. Néanmoins, à Barcelone, La Vanguardia a rapporté que 40 % du personnel de l'administration publique se sont joints à la grève, et ils étaient accompagnés d'importantes sections d'étudiants universitaires.

Au Congrès espagnol à Madrid, le dirigeant du parti des Citoyens, Albert Rivera, a attaqué le PP pour ne pas avoir réprimé la grève, qu'il a dénoncée comme un acte de «chantage» de la part des grévistes. «Que faites-vous pour que la Catalogne ne devienne pas un territoire anarchique», a-t-il demandé au ministre du Trésor Cristóbal Montoro lors d'une séance de questions: «Que faites-vous pour que les citoyens catalans puissent aller travailler aujourd'hui?»

Les principaux syndicats espagnols se sont opposés à la grève et ont exprimé un soutien à peine voilé pour l'établissement d'un régime autoritaire par le PP. Les Commissions ouvrières (CCOO) staliniennes et les syndicats de l'Union générale des travailleurs (UGT) sociaux-démocrates ont dénoncé l'appel à la grève du 8 novembre. Ils ont publié un communiqué commun expliquant leur refus de soutenir la grève en se targuant d'être «des espaces politiquement pluriels indépendants de toute force politique».

Le secrétaire général des CCOO, Unai Sordo, s'est prononcé contre toute intervention de la classe ouvrière dans la crise politique en Espagne, affirmant que de telles questions «ne peuvent être introduites dans la sphère du travail». Il a critiqué la grève pour son soutien «extrêmement limité».

Faisant écho au langage de Rajoy, le secrétaire général de CCOO pour la Catalogne, Javier Pacheco, a attaqué la grève, affirmant qu'elle «divisait et qu'elle était de plus en plus opposée à notre capacité de vivre ensemble». Il a ajouté que seules les CCOO et l'UGT ont la «légitimité» de déclencher des grèves.

Les manifestants défilant à Barcelone ont hué le secrétaire général de l'UGT pour la Catalogne Camil Ros tandis qu'il tentait de s'adresser à la foule.

La manifestation s'est déroulée à un moment où les signes de la radicalisation des travailleurs à travers l'Espagne sont de plus en plus visibles. Même si les syndicats ont étouffé les grandes grèves dans le système portuaire national espagnol et celle des agents de sécurité de l'aéroport de Barcelone cette année, les grèves se multiplient rapidement en Espagne. Selon la Confédération espagnole des organisations d'employeurs (CEOE), le nombre d'heures-personnes perdues en raison de grèves a augmenté de 70% par rapport à la même période en 2016, pour atteindre 6.479.156. Le nombre de grévistes a plus que doublé, croissant de 124% pour atteindre 199.759.

La bureaucratie syndicale espagnole et ses alliés politiques, le Parti socialiste espagnol (PSOE) et les diverses tendances staliniennes et petites-bourgeoises dans le parti Podemos ou dans son orbite, ont réagi en soutenant tacitement le PP, même quand il a invoqué l'article 155. Ils sont restés silencieux sur les implications dictatoriales de la politique de Madrid – même après que le général Fernando Alejandre, chef d'état-major de l'armée, a déclaré la semaine dernière que l'armée planifiait une éventuelle intervention militaire contre la Catalogne.

L'unique voie à suivre dans la lutte contre un régime autoritaire en Espagne et en Europe est la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière. Après une décennie de politique d'austérité dans l'Union européenne (UE) depuis le krach de Wall Street en 2008, qui a poussé au chômage des dizaines de millions de personnes à travers l'Europe, une colère sociale et politique explosive est palpable. La seule manière de combattre la stratégie de la classe dirigeante, qui réagit avec des renforcements de la police et des états d'urgence à travers l'Europe, est de mener une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour la prise du pouvoir, avec un programme socialiste et internationaliste.

Les travailleurs ne peuvent mener une telle lutte que dans une opposition révolutionnaire aux forces sociales-démocrates, staliniennes et petites-bourgeoises. Cela inclut non seulement les forces autour du PSOE et de Podemos qui se sont adaptées à la politique de Rajoy, mais les séparatistes catalans, dont la perspective de construire un État capitaliste catalan indépendant orienté vers l'UE est une impasse. Reflétant les intérêts des couches de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie catalanes, elle ne sert qu'à diviser les travailleurs de la péninsule ibérique.

Malgré le soutien important qu'elle a obtenu, la manifestation de mercredi en Catalogne a mis en lumière la faillite politique de l'appel de l'Intersindical-CSC à une «grève générale» contre Rajoy. Non seulement son appel nationaliste catalan n'offre rien aux travailleurs du reste de l'Espagne, du sud de la France et de l'Europe qui s'opposent aux assauts de Rajoy, mais il a un soutien limité en Catalogne même. Les ouvriers industriels en Catalogne, parmi lesquels il y a peu de soutien au séparatisme catalan, n'ont pas répondu à l'appel à la grève de l'Intersindical-CSC.

Le PP, qui dirige un gouvernement minoritaire fragile et impopulaire à Madrid, exploite la faillite de ses opposants et profite de son avantage en tentant de consolider le pouvoir de la machine d'État. Dans un geste sans précédent mardi, il a annoncé qu'il exercerait un contrôle hebdomadaire des finances de la mairesse de Madrid soutenue par Podemos, Manuela Carmena.

Bien que Carmena et Podemos aient mené une politique d'austérité réactionnaire, en imposant 2 milliards d'euros de coupes sociales pour rembourser les dettes de la ville aux banques, le PP a exigé encore plus de coupes. Les responsables du ministère du budget espagnol ont insisté sur le fait que les dépassements budgétaires donnaient le droit à leur ministère «d'imposer des mesures coercitives à cette administration». Le PP et le parti Citoyens appellent à la destitution de la mairesse Carmena, comme cela a été le cas du premier ministre catalan Carles Puigdemont.

Le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, a réagi mardi en tentant de dissimuler le bilan anti-ouvrier de son parti à Madrid, en affirmant que cela était la faute du PP et sa présumée opposition aux partis qui «économisent de l'argent et mènent des politiques sociales».

Mercredi, le gouvernement espagnol a intensifié son offensive en annonçant qu'il prépare également des accusations contre la mairesse de Barcelone, Ada Colau, qui a aussi l'appui de Podemos, pour des accusations de sédition apparemment liées au référendum du 1er octobre. Ces accusations sont passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 ans.

Les accusations démontrent que les élections du 21 décembre en Catalogne, appelées par Madrid en vertu de l'article 155, sont une fraude réactionnaire. Tenues sous la menace des armes, au milieu d'une présence massive de la police espagnole, où des menaces de peines d'emprisonnement pour activités politiques pacifiques pèsent sur de nombreux candidats, elles ont pour but de fournir un verni à la dictature et l'austérité imposées par le PP et l'UE.

En faisant appel mercredi à l'UE pour l'aider à se présenter à ces élections depuis son exil en Belgique, Puigdemont participe lui aussi à créer un contexte «démocratique» pour cette fraude politique. À Bruxelles, avec les responsables du Vlaams Belang séparatiste d'extrême droite de la Belgique et la Ligue du Nord de l'Italie, il s'est engagé à «respecter» les résultats du scrutin. S'adressant au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et au président du Parlement européen Antonio Tajani, il a demandé: «Accepteriez-vous le vote des Catalans ou continueriez-vous à soutenir Rajoy et son coup d'État?»

En fait, le porte-parole du PP, Rafael Hernando, avait précisé la veille que Madrid n'avait pas l'intention de respecter le résultat du vote du 21 décembre s'il ne produit pas une défaite des séparatistes. «Si le mouvement d'indépendance revient à ses anciennes habitudes, il y aura un nouveau 155», a déclaré Hernando.

Au sein de la bourgeoisie européenne, personne ne veut soutenir Puigdemont dans une confrontation avec Madrid. Berlin, Londres et Paris ont publié à plusieurs reprises des déclarations soulignant qu'en Espagne, ils ne négocieront qu'avec Rajoy. Mercredi, le parlement régional flamand en Belgique a décisivement voté contre une motion du Vlaams Belang pour «condamner sans équivoque la répression espagnole» et «exiger que le gouvernement fédéral reconnaisse la Catalogne en tant qu'État souverain indépendant». La motion n'a reçu aucun soutien en dehors de Vlaams Belang.

 

(Article paru en anglais le 9 novembre 2017)

Loading