Démission de Robert Mugabe, président du Zimbabwe

Robert Mugabe a démissionné de son poste de président mardi, six jours après l’intervention de l’armée du Zimbabwe pour l’évincer. Sa démission a été annoncée au milieu d’un débat au parlement sur sa destitution lancée par ses opposants au sein du parti du Front patriotique national africain du Zimbabwe (ZANU-PF) au pouvoir.

Mugabe, 93 ans, qui a dirigé le pays pendant 37 ans, a refusé de s’en aller après l’action de l’armée de mercredi contre la faction politique G40 de son épouse, Grace Mugabe, et en soutien à l’ancien vice-Premier ministre, Emmerson Mnangagwa. Il n’a pas démissionné lors d’une allocution télévisée dimanche alors qu’il était entouré de personnalités militaires de renom, ayant été démis de ses fonctions de chef de parti plus tôt dans la journée. Au lieu de cela, il a suggéré qu’il dirigerait un congrès du parti le mois prochain.

Malgré les rassemblements et les scènes d’euphorie à Harare après les nouvelles de la démission de Mugabe, son retrait est le résultat d’un coup de palais avec des objectifs politiques et économiques dictés par des forces bourgeoises non moins corrompues que Mugabe.

Mugabe a finalement présenté sa démission dans une lettre au parlement qui a été lue par le président du Parlement, Jacob Mudenda, devant les députés assemblés. Les acclamations dans la chambre étaient une indication démontrant le contraire de ce que l’armée et certains médias avaient proclamé être un soulèvement véritablement populaire. Même les accusations justifiant la destitution de Mugabe – que son âge avancé permettait à sa femme d '« usurper le pouvoir » – reflétaient l’intention d’en limiter les conséquences.

Mnangagwa, qui doit être le remplaçant de Mugabe, n’a pas de divergences de principe avec l’homme pour lequel il a servi d’exécutant pendant des décennies. Il ne s’est retourné contre son ancien patron que lorsque Mugabe l’avait limogé il y a une quinzaine de jours, après avoir écarté d’autres membres de la « vieille garde » proche de l’armée en faveur d’une couche bourgeoise plus jeune autour de sa femme « Gucci Grace ».

Les militaires décrivent les actions de Mugabe comme portant atteinte aux héros du mouvement indépendantiste. Mais dans les décennies qui suivirent les années 1980, l’armée avait tiré profit de son pouvoir pour devenir une force économique majeure qui s’était enrichie aux dépens des travailleurs. Les généraux s’en sont pris à Mugabe uniquement à cause de sa promotion d’une couche vénale plus jeune à leurs dépens.

Mnangagwa aurait été signalé comme l’homme le plus riche du Zimbabwe selon les communications diplomatiques publiées par WikiLeaks et rédigées par un ambassadeur américain en 2001. Les sources de sa richesse incluent des biens mal acquis pendant qu’il occupait le poste de secrétaire des finances de ZANU-PF, ainsi que de l’exploitation minière illégale au Congo. Sa première destination en cherchant un soutien pour évincer Mugabe fut Pékin, le plus grand investisseur du Zimbabwe, où Mnangagwa s’est réfugié après avoir été limogé. Mnangagwa a fait appel à la Chine, aux États-Unis et à la Grande-Bretagne en se présentant comme respectueux des « engagements » et opposé au récent virage de Mugabe vers des politiques d '« indigénisation » qui pénalisaient les investisseurs étrangers dans les mines et autres secteurs essentiels.

L’homme immédiatement à la tête du coup du palais, commandant de l’armée nationale du Zimbabwe, le général Constantin Chiwenga, est aussi fabuleusement riche, avec un vaste portefeuille d’immobilier, le contrôle d’une centaine d’entreprises, un parc d’automobiles de luxe et une montagne de bijoux.

Le degré auquel l’armée dirige les événements a été illustré par le communiqué publié lundi par Chiwenga. Entouré du commandant Perrance Shiri de l’armée de l’Air du Zimbabwe, du commissaire général de la Police Augustine Chihuri, du commissaire général du Service pénitencier Paradzai Zimondi, et du chef par intérim de l’Organisation centrale du renseignement, Aaron Nhepera, Chiwenga a mis en garde contre toute action de quiconque « menacerait la paix, la vie et la propriété ».

Les Zimbabwéens devaient « rester calmes et patients, observer et respecter les lois du pays », tandis que « vos forces de défense […] restent en charge de l’opération baptisée « Opération rétablir l’héritage"». Chiwenga a exhorté les étudiants qui manifestaient à l’université du Zimbabwe « à être calmes et à suivre leurs programmes d’études comme prévu ».

Morgan Tsvangirai, chef du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), un parti d’opposition, est en plein accord avec la destitution. L’ancien dirigeant du Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) parle maintenant de son désir de voir tous les affamés aidés comme une raison de s’aligner temporairement sur la faction de Mnangagwa. Mais lui et la bureaucratie syndicale sont alignés sur les forces bourgeoises au Zimbabwe et sur les grandes puissances impérialistes, y compris la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Créé en 1999, le MDC s’est opposé au ZANU-PF en tant que défenseur des programmes d’ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international et des intérêts des fermiers blancs lorsque Mugabe fut contraint de manifester son opposition à ceux-ci afin de préserver sa base populaire. Dans un entretien accordé au South African Mail and Guardian en 1997, Tsvangirai a nié que le FMI ait causé la crise sociale au Zimbabwe, insistant sur l’idée que « Nous ne vivons pas selon nos moyens ». Il a poursuivi : « Au stade où nous étions, une forme d’ajustement structurel était nécessaire […] Nous devions nous détendre, nous ouvrir et permettre aux entreprises de fonctionner sans ces contraintes. »

Le MDC a été un défenseur constant de ce programme et a soutenu les démarches occidentales visant à renverser Mugabe à travers les sanctions paralysantes qui ont détruit les moyens de subsistance de millions de personnes.

Londres et Washington ont, au fil du temps, combiné le soutien au MDC avec la recherche de relations avec les factions au sein de la ZANU-PF, y compris celle dirigée par Mnangagwa. Tsvangirai, souffrant, jouit toujours d’un soutien international, les États-Unis et la Grande-Bretagne insistant sur le fait que l’armée doit céder la place à un régime civil permettant l’inclusion du MDC et d’autres tendances de l’opposition. Le MDC est considéré comme un levier politique important contre l’influence de la Chine au sein du ZANU-PF.

Un autre parti préoccupé par le fait que le départ de Mugabe soit géré prudemment est le gouvernement du Congrès national africain en Afrique du Sud. Le président Jacob Zuma dirige un régime qui a tout aussi clairement trahi ses promesses à la classe ouvrière et aux paysans pauvres en échange d’une participation à leur exploitation à travers les positions gouvernementales et les relations d’affaires forgées par les politiques de discrimination positive appelée « développement économique des noirs ». Il atterrit à Harare aujourd’hui après une réunion en Angola de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) pour discuter de la façon dont la transition du pouvoir se poursuivra.

Hier, Reuters a cité un communiqué reçu plusieurs semaines avant le coup de palais provenant de l’Organisation centrale du renseignement (CIO) d’Afrique du Sud. Le communiqué rapporte que seize dirigeants africains dans la SADC dirigée par Zuma encourageaient Mugabe à démissionner, sachant que l’armée était prête à l’évincer. Daté du 23 octobre, la source du CIO avertit que Mugabe ferait face à une « farouche résistance de l’armée » si Mnangagwa était écarté et que « l’armée n’allait pas facilement accepter la nomination de Grace ».

Le reportage ajoute que Reuters « a rapporté en septembre que Mnangagwa complotait pour succéder à Mugabe, avec le soutien de l’armée, à la tête d’une large coalition. L’intrigue prévoyait un gouvernement d’unité intérimaire avec la bénédiction internationale pour permettre au Zimbabwe de se réengager avec le monde après des décennies d’isolement des prêteurs et des bailleurs de fonds mondiaux ».

Mnangagwa hier, lors de sa première apparition publique depuis le coup d’État, a présenté sa vision d’un « nouveau Zimbabwe » qui correspondait à cet objectif, décrivant « un projet national, pas un projet de parti politique » qui n’était « pas un travail pour le seul ZANU-PF ».

Les impérialistes calculent que des opportunités leur seront effectivement ouvertes. Le Premier ministre Theresa May a déclaré que le Royaume-Uni, « en tant que le plus vieil ami du Zimbabwe », ferait tout ce qui est en son pouvoir pour « reconstruire » l’économie zimbabwéenne.

Quelle que soit la reconstruction planifiée impliquant la Grande-Bretagne et les autres puissances impérialistes, cela se fera au détriment de la classe ouvrière et des pauvres des campagnes. La tâche essentielle posée devant la classe ouvrière du Zimbabwe est d’affirmer ses intérêts indépendamment de toutes les factions de la bourgeoisie. Celle-ci et pas seulement Mugabe s’est révélée incapable de libérer les masses de la domination impérialiste et de créer les conditions d’un progrès social et économique réel et durable.

(Article paru en anglais le 22 novembre 2017)

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