Après l'incident à Levallois, Paris veut remanier les dispositifs militaires

Deux jours après l’attaque présumée d’un groupe de soldats de l’opération Sentinelle à Levallois Perret, dans la proche banlieue ouest de Paris, l’enquête du parquet antiterroriste de Paris n’avait toujours pas établi hier soir qu’il s’agissait d’un attentat lié à une organisation terroriste ou même de l’attaque délibérée d’un individu « radicalisé ».

L’homme arrêté mercredi est un chauffeur VTC (voiture de transport avec chauffeur) et agent technique d’un supermarché, dont le véhicule de location était la voiture de service. Inconnu des services de renseignement, il avait été grièvement blessé par balles lors de son arrestation. Il a été transféré dans un hôpital parisien hier.

Si, selon la police, Hamou Benlatrèche est bien l’homme qui a tenté de renverser les militaires, aucune organisation terroriste n’a revendiqué l’acte. L’EI, qui d’ordinaire réclame la responsabilité de tels actes même non organisés par lui, ne l’a pas fait. Selon Europe1, « Rien ne permet de le rattacher à la mouvance islamiste » et aucune revendication ou signe de radicalisation, n’ont été retrouvés dans la voiture après l’arrestation.

« Rien d’évident non plus lors des perquisitions dans son studio... pas d’armes pas de signe apparent d’un projet d’attentat ». En revanche, écrit encore le site, « les enquêteurs ont mis la main sur beaucoup de médicaments, une véritable pharmacie. La police judiciaire s'intéresse à ses fréquentations mais penche plutôt, à ce stade, pour l'acte solitaire d'un homme qui a perdu pied. »

Après avoir utilisé l’incident pour répandre une atmosphère de panique sécuritaire, la classe politique s’en sert à présent pour débattre des questions critiques de sa politique militaire et sécuritaire. Une polémique s’est ouverte à propos de l’utilisation de l’armée dans l’état d’urgence. Depuis mercredi une partie de l’establishment politique et militaire la remet en cause.

Cette polémique traverse les partis. Certains politiciens insistent pour le maintien de Sentinelle, comme le député PS Stéphane Le Foll, l’ancien porte-parole du gouvernement Hollande. « Ils sont là pour protéger et dissuader. Dire du jour au lendemain qu’on les ferait disparaître, ce n’est pas la solution ». Le président de l’Assemblée nationale François de Rugy (LRM) a déclaré : « La défense du territoire national fait partie des missions de l’armée ».

La dirigeante du parti néo-fasciste Front national, Marine Le Pen a déclaré sur Facebook : « A court terme, il est urgent de réfléchir à la façon de protéger les militaires de l’opération Sentinelle, » et appelle à « augmenter fortement » le budget militaire.

La sénatrice UDI Nathalie Goulet, défend Sentinelle dans le Parisien. « Je suis sûre d’une chose : elle a un pouvoir rassurant sur la population, dans un climat d’immense inquiétude... C’est un vrai plus pour la sécurité du pays ».

Une partie des adversaires d’un maintien du déploiement militaire font observer qu’il est inefficace face au terrorisme. Selon une historienne spécialiste des relations armées-société, Bénédicte Chéron, les « seules attaques qui ont été évitées les visaient eux [les soldats], pas des civils ».

Un spécialiste du terrorisme, Jacques Raillane, déclare, « Je ne saisis pas nettement l’intérêt de déployer dans nos rues des unités afin de les exposer à une menace dont elles se sortent à chaque fois plus ou moins indemnes ».

Des militaires de haut rang qui, pour leur propres raisons, s’opposent à Sentinelle disent que c’est une mesure « politique » dans laquelle l’armée n’aurait rien à voir. Sur RT, le député divers droite et ancien commandant de gendarmerie Benoît Kandel appelle l'opération Sentinelle « quasiment une opération de communication. » En clair, c'est une manipulation politique de la population.

Cela confirme l’analyse du WSWS qui, depuis le début de l’État d’urgence et du déploiement de l’armée, explique qu’ils étaient essentiellement dirigés contre la classe ouvrière et avaient pour but la suppression de ses droits et acquis face aux attaques sociales menées par l’oligarchie financière. Cela fut confirmé pleinement lorsque celui-ci fut utilisé massivement contre les manifestations anti-loi travail, puis par le fait avéré que les auteurs des attentats sanglants de 2015 et 2016 en France, Belgique, Angleterre et Allemagne avaient agi sous les yeux des autorités.

Un autre argument des opposants à Sentinelle est que les soldats ont vocation à servnir non dans des opérations de maintien de l’ordre, mais dans les guerres de plus en plus nombreuses où intervient la France. L'armée permet à des recrues de déclarer à la presse qu’elles ne renouvelleront pas leur contrat, ne voulant pas faire que « garder des monuments ».

« Les effectifs qui sont déployés actuellement … nous empêchent d’avoir des effectifs suffisants sur nos théâtres d’opérations » déclare le général professeur de stratégie Vincent Desportes. Il déplore sur France Inter le 10 août le retrait de troupes pour répondre à la demande d'effectifs, comme celles de l’opération Sangaris en République centrafricaine. D’autres éléments reprochent au gouvernement de n’en faire qu’une opération « défensive » qui « affaiblit » le pays.

Une partie de la calsse politique s’inquiète d’un discrédit de l’armée ; selon eux, il est préférable de la retirer de la ligne de mire politique. « On a besoin de répondre plus profondément… ce qui se passe aujourd’hui entre des forces de l’ordre et la population en général c’est la défiance. Je pense que nous avons dans notre pays un vrai problème démocratique qui rejailli sur les personnels qui incarnent l’autorité publique », a dit la députée LFI Clémentine Autain sur France Info jeudi.

Ce qui est déjà apparu lors du conflit entre le gouvernement Macron et l‘état-major à propos du budget de l’armée apparaît aussi dans la demande d’arrêter Sentinelle. L’armée sur laquelle le gouvernement Hollande, privé de réelle base sociale, s’est appuyé ouvertement, et à qui il a donné d’énormes pouvoirs, compte à présent déterminer la politique gouvernementale.

Des déclarations indiquent aussi des conflits ouverts de politique intérieure. Kandel explique dans la même interview : « On a des dispositions qui me paraissent inutilement agressives à l'égard de la Russie, mais on continue d'avoir des relations privilégiées avec l'Arabie saoudite. Or, tout le monde sait que la Russie ne représente pas une menace directe, alors que le wahhabisme et le salafisme, qui ont pour origine l'Arabie saoudite, constituent, eux, un véritable danger pour notre pays. On se trompe d'adversaire et d'ennemi. »

La nature de ce débat au sein de l’establishment politique et militaire français doit mettre la classe ouvrière sur ses gardes. Celui-ci discute essentiellement d’un recadrage stratégique de ses forces de sécurité pour plus d’efficacité contre l’opposition sociale et de moyens pour préparer une guerre généralisée. Il annonce une escalade de la répression et une intensification du militarisme au dépens des travailleurs.

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