Un conflit a éclaté entre l’Allemagne et les États-Unis à propos du financement de l’OTAN

Un vif échange eut lieu vendredi lors de la réunion de l’OTAN entre le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel (social-démocrate, SPD) et son homologue américain, Rex Tillerson.

Tillerson a exigé que les membres européens de l’OTAN et en particulier l’Allemagne fassent une communication sur la manière dont ils entendent atteindre l’objectif de 2 pour cent de leur PIB consacré à la défense en remplissant « leurs engagements ou [en mettant] en œuvre des programmes annuels » Selon le manuscrit officiel des propos de Tillerson qui est publié sur le site web du Département d’État américain, il a ajouté, « Les alliés qui n’ont pas de programmes concrets pour dépenser 2 pour cent du PIB en matière de défense d’ici 2024, doivent en établir un maintenant. » De tels plans doivent être présentés avant la conférence de l’OTAN à Bruxelles le 25 mai.

Gabriel a répondu sèchement qu’il estimait qu’il était « tout à fait irréaliste de penser que l’Allemagne puisse atteindre un budget militaire annuel dépassant 70 milliards d’euros. » Il a dit ne pas connaître de « responsable politique en Allemagne qui croirait que c’est réalisable voire souhaitable dans notre pays. » Il a dit de plus, n’avoir « absolument aucune » idée « où parquer tous les porte-avions qu’il faudrait acheter pour investir tous les ans 70 milliards d’euros dans l’armée allemande ».

Les remarques de Gabriel n’ont rien à voir avec le pacifisme. Le ministre social-démocrate des Affaires étrangères n’a laissé planer aucun doute quant à une adhésion ferme à son engagement d’un réarmement substantiel de l’armée allemande et qui avait été décidé au sommet 2014 de l’OTAN au Pays de Galles par son prédécesseur Frank-Walter Steinmeier (SPD). « Nous avons un plan qui s’appelle, plan budgétaire », a déclaré Gabriel. « Nous augmentons les dépenses militaires, mais dans une mesure qui nous semble responsable. »

Le message de Gabriel est clair : l’Allemagne se réarme et s’apprête à élargir sa politique d’interventions militaires, et ce uniquement selon ses propres conditions. « Nous, Allemands, dépensons actuellement beaucoup d’argent pour accueillir des réfugiés. Ils viennent parce que les interventions militaires ont mal tourné. Et parce qu’il n’y pas eu de stabilisation par la suite. Nous voyons donc ce que cela signifie de ne mettre l’accent que sur les dépenses militaires », a-t-il dit.

Ce fut une critique à peine voilée des guerres que mènent les États-Unis au Moyen-Orient et contre lesquelles Gabriel oppose une politique étrangère européenne impérialiste dominée par Berlin.

Dans le discours qu’il a prononcé devant le parlement allemand (Bundestag) sur la poursuite de l’intervention allemande européenne au Mali, le ministre des Affaires étrangères a déclaré jeudi, « l’Europe est plus que jamais sollicitée pour être un acteur global qui soit aussi prêt à assumer sa responsabilité, même si l’Union européenne n’a pas été construite comme un acteur politique sur la scène mondiale. Elle n’a jamais été faite pour cela. Et malgré cela, les conflits qui se déroulent autour de nous ne doivent pas nous laisser indifférents. »

Le « déploiement de soldats allemands dans le cadre de la mission de formation de l’UE au Mali (EUTM Mali) » montre « que là où l’Europe est prête à s’engager tous ensemble, nous pouvons parfaitement obtenir de bons résultats. » C’est la « force européenne » qui fait « précisément que nous traitons les crises grâce à une vaste boîte à outils : par des moyens diplomatiques, civils et policiers, mais aussi militaires. »

Quelques jours auparavant, Gabriel avait annoncé une « nouvelle orientation » de « la politique avec l’Asie » de l’Allemagne en déclarant : « Dans de nombreux domaines en matière de politique internationale, nous sommes actuellement confrontés à des crises, des bouleversements et des nouvelles dynamiques. On a le sentiment que ce monde est en train d’être mesuré à nouveau – et pour ce faire, chacun utilise son propre étalon. Une chose est claire : les puissances émergentes d’Asie joueront un rôle clé dans ce processus. »

C’est là l’ancienne langue de l’impérialisme allemand. Dans la nouvelle ruée des puissances impérialistes pour les matières premières, les marchés et la main-d’œuvre bon marché, l’Allemagne réclame une fois de plus « une place au soleil. » Il s’agit d’« intensifier les relations [allemandes] avec l’Asie en les concevant plus stratégiquement afin de mieux répondre à l’importance croissante de cette région rapidement forte de 4 milliards d’habitants et de débouchés à l’expansion rapide », a écrit Gabriel.

Il avait « donc décidé de mettre en place pour la première fois au ministère des Affaires étrangères un propre Département des Affaires d’Asie et qui concentrera et développera mieux nos compétences régionales. » Il était « grand temps que la composition de notre équipe au sein du ministère des Affaires étrangères reflète pertinemment le poids croissant de l’Asie. »

Mais ce ne saurait « être qu’une première étape. Il est essentiel que l’Asie soit considérée comme la région clé de l’avenir dans nos réflexions et dans la politique au quotidien – au ministère des Affaires étrangères, au gouvernement fédéral et dans l’UE. » En fin de compte, « le moyen de répondre à notre mission mondiale » conduit « de plus en plus souvent vers l’Asie. »

Comme durant la période qui a précédé la Première et la Seconde guerre mondiale, les « missions mondiales » de l’impérialisme allemand mènent à des conflits croissants avec les États-Unis et cela se soldera par la guerre commerciale et un conflit militaire à moins que la classe ouvrière n’intervienne.

Le même jour où avait lieu l’affrontement avec Tillerson, Gabriel a exigé que l’UE résiste aux mesures antidumping à l’encontre des producteurs d’acier européens que réclament les États-Unis. C’est avec beaucoup « d’incompréhension qu’il prend bonne note de la procédure. » L’objectif est clair pour lui, « l’industrie américaine doit être protégée au détriment de l’industrie sidérurgique allemande qui est meilleure. »

D’après Gabriel, il est évident que les États-Unis s’adonnaient à la « guerre commerciale » et violaient de ce fait le droit commercial international de manière à obtenir un avantage compétitif pour leurs entreprises. Une position claire doit donc être prise à l’encontre du gouvernement des États-Unis et « l’UE devait désormais examiner si elle doit déposer une plainte ou non auprès de l’OMC. Je l’appuierai fortement. »

Un commentaire paru mercredi dans le Süddeutsche Zeitung brandissait la menace que « Trump devait se rendre compte : si l’Amérique adopte des mesures protectionnistes, l’Allemagne, l’UE et la Chine adopteront immédiatement, sans complaisance et sans compromis, des contre-mesures. » Cela impliquerait « des conséquences directes, des contre-tarifs douaniers, d’autres pénalités, mais également des poursuites en justice très médiatiques déposées à l’OMC. » L’Europe et la Chine auraient le privilège d’être « suffisamment puissantes pour ce genre de cours. »

L’auteur, Marc Beise, a ensuite donné libre cours à ses fantasmes de grande puissance de l’Allemagne, en soulignant : « Ceci s’applique aussi à l’Allemagne, qui aime à se faire politiquement petit, mais qui en tant que puissance économique est une grande puissance tout à fait en mesure de s’affirmer. »

(Article original paru le 4 avril 2017)

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