Le déclenchement du Brexit intensifie les tensions nationales en Europe

L'Union européenne (UE) et les représentants des principales puissances du continent ont réagi avec une hostilité ouverte à l'invocation, par la première ministre britannique Theresa May, de l'Article 50 qui enclenche le processus de sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne.

L'expression la plus importante de tensions est venue de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui a réagi – dans les heures qui ont suivi le déclenchement du processus – en rejetant l'une des principales demandes soulignées par May dans sa lettre au chef du Conseil européen, Donald Tusk, concernant l'Article 50.

La lettre de six pages de May déclarait que le gouvernement conservateur croit «nécessaire d'accepter les clauses de notre partenariat futur en même temps que celles de notre retrait de l'Union européenne».

Merkel est considérée comme l'une des voix les plus conciliatrices concernant le Brexit parmi la classe dirigeante européenne, étant donné le désir de l'Allemagne pour l'austérité et le libre échange qui ont profité aux deux puissances impérialistes. Mais l'appui partagé pour le libéralisme économique est supplanté par la nécessité de maintenir un front uni des puissances européennes pour empêcher que le Brexit ne devienne une source de contagion politique qui incite les sentiments nationalistes partout sur le continent. Merkel a averti: «Les négociations [concernant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne] doivent premièrement clarifier comment nous allons démêler notre relation interconnectée. Nous devons nous occuper de plusieurs droits et obligations qui étaient liés à l'adhésion. Ce n'est qu'après avoir fait cela que nous pourrons parler de notre relation future.»

Le président français sortant, François Hollande, a émis une déclaration qui appuyait Merkel. Son cabinet a dit: «Le président a indiqué que les négociations doivent premièrement porter sur les termes du retrait et se pencher plus spécifiquement sur les droits et obligations des citoyens qui découlent des engagements pris par le Royaume-Uni.»

Plus tard, Hollande a dit que son pronostic était que l'accord final serait «économiquement douloureux» pour la Grande-Bretagne.

Les éditions de jeudi de plusieurs journaux, qui souhaitaient que le Royaume-Uni demeure au sein de l'Union européenne, ont reflété la crise qui secoue les cercles dirigeants britanniques. Dans un article intitulé «Bruxelles reprend la direction du Brexit: Tout le pouvoir revient à l'Europe et la Grande-Bretagne n'a aucun atout dans les négociations à venir», Philip Stephens du Financial Times a écrit:

«Jusqu'à cette semaine, le Brexit concernait la Grande-Bretagne. Maintenant, ça concerne l'Europe. Une conversation qui tournait largement autour du type d'offre que la Grande-Bretagne ferait en quittant l'Europe est devenue une conversation sur ce que les 27 membres de l'Union européenne veulent offrir. Pour emprunter une phrase [de la campagne référendaire du camp pour le Brexit], Bruxelles a repris la direction.»

Stephens ajoute: «Ceux dans le gouvernement de Theresa May qui ont gaiement imaginé qu'ils pouvaient avoir le meilleur des deux mondes reçoivent maintenant une douche froide de réalité.»

Soulignant la «position de négociation» de la Grande-Bretagne, la lettre de May met en garde que la sécurité de l'Europe serait mise en danger si un accord commercial favorisant le Royaume-Uni n'était pas négocié. Elle écrit: «La sécurité de l'Europe est plus fragile aujourd'hui qu'à n'importe quel autre moment depuis la fin de la guerre froide. Affaiblir notre coopération dans la prospérité et la protection de nos citoyens serait une erreur coûteuse.»

Le mot «sécurité» apparaît dans la lettre de six pages pas moins de 12 fois. La menace implicite est que la Grande-Bretagne retirerait ses importants effectifs de sécurité et de renseignement. May suit le manuel du président américain Donald Trump, qui a menacé de retirer son appui à l'OTAN si les puissances européennes n'augmentaient pas leurs dépenses militaires.

Le Sun, qui appui le Brexit, a célébré la position de May, avec le titre: «La menace Brexit de la première ministre envers l'UE: Votre argent ou votre vie.» Son éditorial déclare: «La première ministre serait folle de ne pas utiliser ses services de sécurité antiterroristes incomparables comme monnaie d'échange.»

Cette manœuvre initiale hostile survient dans des conditions où l'OTAN, menée par les États-Unis, continue, avec une participation importante du Royaume-Uni, d'encercler la Russie, menaçant ainsi le déclenchement d'une guerre avec une autre puissance nucléaire.

Lorsqu'on a demandé au chef du parlement européen sur le Brexit, Guy Verhofstadt, si la lettre de May constituait du chantage, il a répondu: «Je pense que la sécurité de nos citoyens est beaucoup trop importante pour commencer à faire des compromis.»

Jeudi, il a dit au Sky News qu'il s'oppose à la «menace» contenue dans la lettre de May, ajoutant: «Vous ne pouvez utiliser, ou, devrais-je dire, abuser de la sécurité des citoyens pour ensuite avoir un bon accord sur quelque chose d'autre.»

May et la faction pro-Brexit de la classe dirigeante ont fait l'éloge du référendum de l'année dernière pour quitter l'Union européenne comme étant le tremplin pour le Royaume-Uni pour «sortir de l'Europe et entrer dans le monde». Une «Grande-Bretagne mondiale» nouvellement émancipée serait libre de signer des ententes commerciales illimitées avec des pays et des blocs commerciaux internationalement.

Verhofstadt n'a pas pris de détour lorsqu'il a averti que l'UE empêcherait cela pendant les négociations prévues de deux ans entre le Royaume-Uni et le l'UE. «Nous disons clairement que nous n'accepterons jamais que la Grande-Bretagne, à notre insu, entame des négociations avec d'autres pays avant le retrait. La même chose vaut pour tous les membres de l'UE qui pourraient être tentés de négocier des ententes séparées avec le Royaume-Uni», a-t-il averti.

Aucun politicien important de l'UE n'a fait de déclaration apaisante sur le Brexit. Sur chaque question, l'UE prend la ligne la plus dure possible. L'UE soutient qu'aucune négociation sur le commerce ne pourra même être entamée avant que les droits des citoyens européens qui vivent en Europe et ceux des citoyens britanniques qui vivent dans les pays de l'UE n'aient été résolus. Verhofstadt s'est aussi aligné sur les partis nationalistes irlandais Sinn Fein, Fianna Fail et Fine Gael, en déclarant: «Nous n'accepterons jamais à nouveau une frontière tranchée entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande [qui demeure membre de l'Union européenne].»

Mercredi soir, le président du parlement européen, Antonio Tajani, a dit au programme Newsnight de BBC que rien ne pouvait être discuté dans les négociations UE/Royaume-Uni tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas eu d'accord sur le montant à payer par le Royaume-Uni dans une «convention de divorce». Selon certaines estimations, le Royaume-Uni devrait payer jusqu'à 60 milliards £ pour sa part dans les engagements financiers de l'UE. Il faudrait ensuite déduire la part des actifs du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Tajani a dit qu'il ne sait pas ce que sera la facture: «mais je pense que ce sont des milliards et des milliards d'euros».

Lors de l'émission radio Today de BBC, Manfred Weber, le président du groupement le plus important au Parlement européen – le Parti populaire européen, un parti de droite – a fait référence à la Grande-Bretagne comme étant une puissance non européenne qui doit être traitée de manière hostile. «Je n'ai pas les intérêts de la Russie en tête. Je n'ai pas les intérêts des Américains en tête. J'ai seulement en tête les intérêts de ceux qui m'ont élu.» Il a ajouté: «Je peux vous donner un exemple clair – je me fiche maintenant des intérêts de la Cité de Londres. Je vais m'occuper des intérêts d'Amsterdam, de Dublin, de Frankfort et de Paris. C'est ce que j'ai à faire. Ces négociations seront très dures.»

Le jour où la lettre de May a été remise à Tusk, la commission sur la concurrence de l'UE a bloqué une fusion de 21 milliards £, planifiée depuis longtemps, de la Bourse de Londres avec la Deutsche Börse. La commissaire de l'UE à la concurrence, Margrethe Vestager, a déclaré que l'accord créerait un «monopole de fait» dans les «instruments de revenus fixes».

Le 5 avril, le Parlement européen – qui a des pouvoirs de veto sur tout accord final concernant le Brexit – devrait voter pour une résolution qui stipule que tout accord commercial avec le Royaume-Uni ne peut être finalisé avant son retrait de l'Union européenne. La résolution stipule qu'une limite de trois ans s'applique comme période de transition pour parvenir à un accord avec la Grande-Bretagne suite à son retrait prévu en 2019.

(Article paru en anglais le 31 mars 2017)

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