Malgré l’approbation par le G7 de la frappe aérienne contre la Syrie, les divisions américano-européennes s’intensifient

Le sommet des ministres des Affaires étrangères du G7 de deux jours qui s’est terminé hier à Lucca, en Italie, a été marqué par une contradiction évidente : malgré le fait que tous les États membres ont approuvé l’attaque de la semaine dernière par les États-Unis contre le gouvernement syrien, la réunion a été caractérisée par l’accentuation des divisions entre les États-Unis et l’Europe sur la politique étrangère et le commerce extérieur.

Alors que Lucca était le sujet d’un confinement policier, les ministres des Affaires étrangères des pays qui sont censés être les sept principales démocraties du monde – le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis – ont applaudi collectivement l’acte de guerre non provoqué de Trump contre la Syrie.

Ils ont également approuvé le prétexte pour l’attaque : des allégations non étayées selon lesquelles le gouvernement syrien a lancé une attaque de gaz sarin sur la ville de Khan Cheikhoun, qui a servi de prétexte pour la frappe de missiles de croisière américains de la semaine dernière contre un aérodrome du gouvernement syrien. Ils ont ignoré le fait largement rapporté que les combattants de l’opposition islamiste soutenus par les États-Unis possédaient et utilisaient déjà des armes chimiques, y compris une attaque de 2013 à Ghouta pour laquelle les États-Unis ont cherché à blâmer le gouvernement Assad.

Le communiqué du G7 a déclaré : « Nous sommes choqués et horrifiés par les informations d’utilisation d’armes chimiques lors d’une frappe aérienne dans la région de Khan Cheikhoun du sud d’Idlib le 4 avril […] L’action militaire américaine qui a suivi contre l’aérodrome de Shayrat a été soigneusement calibrée, limitée dans sa portée pour répondre à ce crime de guerre et a été dirigée contre des cibles militaires syriennes directement liées à l’attaque aux armes chimiques du 4 avril afin de prévenir et de dissuader la prolifération et l’utilisation d’armes chimiques mortelles en Syrie. »

En même temps, cependant, le sommet n’a pas réussi à s’entendre sur un plan soutenu par les États-Unis pour des sanctions économiques renforcées contre la Syrie et la Russie, proposées par le gouvernement britannique mais confrontées à une opposition croissante des puissances européennes continentales. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a confirmé que son homologue britannique Boris Johnson avait soulevé la proposition, mais qu’elle n’avait pas été discutée en détail.

« Actuellement, il n’y a pas de consensus pour des nouvelles sanctions en tant qu’instrument efficace », a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano. Il a mis en garde contre l’imposition de plus de sanctions, en disant que cela pourrait « acculer » la Russie.

Il revenait au ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel d’avertir que d’autres attaques et des pressions sur la Russie pourraient conduire à la guerre et à signaler à Washington que les puissances continentales européennes favorisent pour l’instant des pourparlers avec la Russie et l’Iran : « Aucun des pays du G7 ne veut une escalade militaire, mais plutôt un règlement politique sans autre spirale de violence. Nous voulons persuader la Russie de soutenir le processus politique pour une solution pacifique au conflit en Syrie […] il se peut que tout le monde ne soit pas de cet avis, mais sans Moscou et Téhéran, il n’y aura pas de solution pour la Syrie. »

Le gouvernement italien a clairement fait valoir son opposition à la confrontation américaine avec la Russie en envoyant le président Sergio Mattarella à Moscou, pendant le sommet du G7, pour discuter des liens entre la Russie et l’Union européenne (UE) avec le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre Dmitri Medvedev. Le président italien a déclaré que l’amitié russo-italienne est « solide » et « reste forte ».

De manière remarquable, Mattarella s’est tenue aux côtés de Poutine lors d’une conférence de presse conjointe dans laquelle le président russe a identifié l’attaque Khan Cheikhoun comme une provocation, en la comparant aux mensonges sur les armes de destruction massive que l’administration Bush utilisa pour lancer l’invasion illégale d’Irak en 2003. Poutine a également averti que les milices soutenues par les États-Unis en Syrie pourraient lancer prochainement une nouvelle attaque au gaz.

« Cela me rappelle les événements lorsque les envoyés américains au Conseil de sécurité [de l’ONU] ont exposé ce qu’ils ont qualifié d’armes chimiques trouvées en Irak. Tout cela, c’est du déjà vu », a déclaré M. Poutine. Il a ajouté : « Nous avons des informations selon lesquelles une provocation similaire est en préparation […] dans d’autres régions de la Syrie, y compris dans la banlieue sud de Damas, où ils envisagent d’insérer de nouveau des substances et de faire porter la responsabilité aux autorités syriennes. »

Les conflits entre les diplomates du G7 ne sont qu’un pâle reflet déformé des conflits objectifs profonds qui se développent entre les puissances impérialistes, ainsi que l’opposition croissante à la guerre dans la classe ouvrière internationale.

L’administration Trump est impopulaire à la fois aux États-Unis et en Europe, où les sondages de désapprobation de Trump après son inauguration ont dépassé 80 % en Allemagne, en France et en Espagne. Le passage de Trump à la guerre a énormément aggravé ces tensions politiques et de classe. En Allemagne, les frappes sur les cibles syriennes n’ont que 26 pour cent de soutien, tandis qu’en France, le soutien au candidat à la présidence Jean-Luc Mélenchon a augmente rapidement suite à sa critique des frappes de missiles de Trump.

Durant le sommet, de plus, les étapes initiales d’une guerre commerciale entre le capitalisme européen et américain commençaient à se manifester. Peu de temps après que Trump a menacé les exportations de voitures allemandes vers les États-Unis de tarifs douaniers très élevés, l’aciérie allemande Salzgitter a dénoncé hier les tarifs douaniers imposés par le Département du commerce des États-Unis aux exportations d’acier allemandes, françaises, italiennes et belges. « La décision et le niveau des droits de douane pour nos produits sont incompréhensibles pour nous », a déclaré la société dans un communiqué.

La population mondiale est confrontée à un effondrement catastrophique du système capitaliste. La rivalité acharnée entre les sociétés américaines et européennes pour le partage des marchés et des profits, qui deux fois au siècle dernier a explosé dans les guerres mondiales, menace de le faire à nouveau.

Le Süddeutsche Zeitung (SZ) a publié son article à la une mardi sur cette question, sous le titre extraordinaire « Des réflexions à la guerre ». Ce principal quotidien allemand a pratiquement déclaré qu’il fallait se préparer à une confrontation militaire avec les États-Unis : « Quelqu’un qui est menacé par la guerre commerciale a besoin d’une stratégie de défense […] C’est la logique de l’époque post-mondialisation : l’Allemagne doit se défendre contre son allié le plus important. »

Le SZ a conseillé Berlin de rechercher des alliés au sein de l’UE et, de manière provocatrice, en exploitant des divisions au sein des États-Unis. Il a écrit : « Les Allemands peuvent également trouver des partenaires parmi les États américains. Les gouverneurs et les sénateurs de Caroline du Sud, du Tennessee et de l’Alabama savent très bien que BMW, Volkswagen et Daimler sont parmi les employeurs les plus importants dans leurs états. »

Les responsables européens ont tous pratiquement accusé publiquement les responsables américains de menacer de laisser l’Europe, qui dépend militairement encore de sa relation avec Washington, sans aide militaire face à la Russie. Ayrault a déclaré à Reuters que le secrétaire d’État américain Rex Tillerson lui avait demandé pourquoi les contribuables américains devraient se soucier de l’Ukraine, qui est en proie à la guerre civile depuis 2014 lorsque Washington et Berlin ont renversé un gouvernement pro-russe à l’aide d’un putsch mené par les fascistes.

Ayrault a manifestement interprété cette question comme une indication que les responsables américains ne s’intéressent plus de manière fiable à la sécurité européenne. « C’est dans l’intérêt des contribuables américains d’avoir une Europe sûre et forte politiquement et économiquement. » a déclaré Ayrault en réponse à Tillerson. « Vous ne voulez pas une Europe faible, divisée en petites parties et affaiblie. »

Les puissantes rivalités inter-impérialistes qui entraînent des augmentations massives des dépenses européennes de défense, la remilitarisation de l’Allemagne et les appels à la réintroduction de la conscription en France, émergent de nouveau. « Avec 500 millions de citoyens, nous, les Européens, ne pouvons pas rester en marge et regarder le déroulement de la politique internationale. Au contraire, nous devons devenir un acteur confiant sur la scène internationale », a écrit Gabriel dans un commentaire du quotidien allemand Tagesspiegel avant de partir à Lucca.

Quand Gabriel et les puissances européennes déclarent leur soutien à la frappe aérienne de Trump et appuient le renversement d’Assad, elles ne le font pas comme des amis de l’impérialisme américain. Plutôt, elles attendent leur heure et essaient d’avancer leurs intérêts pour l’instant à travers le pillage mené par Washington. En même temps, elles espèrent que l’épreuve de force avec Washington n’interviendra que lorsque leurs propres programmes de remilitarisation, financés au détriment des travailleurs, leur permettront d’affirmer plus efficacement leurs propres intérêts impérialistes.

(Article paru en anglais le 12 avril 2017)

 

 

 

 

 

 

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