Le président de la Conférence de Munich sur la sécurité prône le réarmement de l’Europe

Les trois réunions de haut niveau prévues cette semaine traduisent l’aggravation des conflits et de la crise en Europe à la suite de l’élection du président américain Donald Trump.

Les ministres de la Défense de l’OTAN se rencontrent mercredi et jeudi à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères du G20 se réunissent vendredi à Bonn et la 53 Conférence de Munich sur la sécurité se tiendra au cours du week-end. Le vice-président Mike Pence, le secrétaire à la Défense James Mattis, et plusieurs sénateurs font partie des participants américains. 

La chancelière allemande Angela Merkel participera également à la conférence ainsi que plusieurs dizaines de chefs d’État, 50 ministres des Affaires étrangères et 30 ministres de la Défense d’autres pays. 

Wolfgang Ischinger, le président de la Conférence de Munich sur la sécurité, avait durement critiqué le nouveau président américain avant la tenue de la réunion en lançant un appel à l’Union européenne de faire preuve d’unité et d’amorcer un renforcement militaire. Fort d’une expérience de 45 ans, ce diplomate de 70 ans figure parmi les personnalités les plus influentes de la politique allemande. 

« Désormais, les États-Unis n’ont malheureusement plus aucune valeur comme figure de proue symbolique de la morale politique de l’Occident », a dit samedi dernier Ischinger au journal Tagesspiegel qui a son siège à Berlin. « L’arrivée de Trump signifie la fin de l’Occident dont les États-Unis étaient le porte-flambeau que tous les autres cherchaient à imiter. La tâche de l’Europe est maintenant de remplacer cette perte. » 

Ischinger a dit n’avoir jamais connu en 40 ans une telle « déstabilisation maximale » comme celle survenue « depuis que les États-Unis [remettent en cause] certains éléments de l’ordre mondial, l’OTAN et l’intégration européenne. » 

Il a ajouté, « Jusque-là, la politique étrangère et de sécurité était plutôt une structure statique dotée de bases et de règlements solides. Actuellement nous sommes confrontés à une nouvelle conditionnalité globale avec un degré maximum d’imprévisibilité. C’est extrêmement dangereux. » 

Ischinger a proposé de défendre le « système de valeurs occidental » en augmentant considérablement les dépenses militaires en Europe et ce tout particulièrement en Allemagne. Il réclame, dans les pages du Tagesspiegel, que le budget militaire allemand ne passe pas seulement son niveau actuel de 1,2 pour cent pour atteindre 2 pour cent comme l’exigent les États-Unis, mais à 3 pour cent du PIB. Ce montant doit inclure les dépenses d’aide au développement et l’assistance diplomatique et humanitaire qui deviendraient ainsi une partie du budget militaire. « Cette approche ne serait pas d’emblée rejetée par tous les partisans de la gauche », a dit Ischinger. 

Ischinger a déclaré lundi à la presse qu’une telle augmentation des dépenses militaires n’était pas dans l’intérêt des États-Unis, mais de l’Allemagne. « La question qui se pose ici n’est donc pas ce qu’un garçon de moindre importance élabore au Pentagone », a-t-il dit. La question est plutôt celle de savoir ce dont la Bundeswehr [armée allemande] a besoin pour protéger le pays. 

Pour renforcer la capacité de frappe de l’armée allemande, Ischinger insiste sur une coopération plus étroite au sein de l’Union européenne dans le domaine militaire et de l’armement. 

« Si les membres de l’UE achetaient ensemble leurs avions de chasse ou leurs armes, ils ne paieraient que la moitié du prix unitaire », a-t-il déclaré au Tagesspiegel selon ses calculs. « Nous disposons de six fois plus de systèmes d’armement que les États-Unis pour près de la moitié des coûts, mais notre capacité de combat est inférieure à 10 pour cent. » Avec la fin « du régionalisme […] en liaison à un pouvoir décisionnel en matière de politique étrangère, nous Européens serions une puissance politico-militaire qui en fait ferions impression. » 

Contrairement à d’autres politiciens européens, qui « préféreraient laisser tomber l’alliance avec les États-Unis aujourd’hui plutôt que demain », Ischinger tient à repousser jusqu’à l’extrême une éventuelle rupture avec les États-Unis. C’est ce qu’il a écrit dans un article d’opinion paru jeudi dans le Süddeutsche Zeitung. « Au lieu de se détourner définitivement des États-Unis, nous devrions coopérer avec tous ceux qui sont intéressés à la préservation des valeurs de la communauté transatlantique. » 

Comme partenaires éventuels, Ischinger a nommé « les adversaires de Trump au Congrès » mais « aussi des membres du nouveau gouvernement ». Il fallait chercher à « intégrer autant que possible le nouveau gouvernement américain », a-t-il dit. « Intégrer et gagner de l’influence – c’est précisément la realpolitik qui est maintenant requise. » 

Ischinger fonde avant tout ses espoirs sur le secrétaire à la Défense « Mad Dog » Mattis, le vice-président Pence et le secrétaire d’État Rex Tillerson, qui, contrairement à Trump, ont jusqu’ici exprimé leur soutien à l’UE et à l’OTAN. 

La démission du conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, qui était également censé assister à la Conférence de Munich sur la sécurité, a été enregistrée avec un soulagement par les partisans de l’UE. Flynn était considéré comme un adversaire de l’UE et un allié de Moscou, au moment où de nombreux politiciens européens estiment qu’il est nécessaire de suivre une voie de confrontation avec la Russie afin d’empêcher que l’Union européenne s’effondre davantage. 

Dans son article paru dans le Süddeutsche Zeitung, Ischinger n’a laissé aucun doute quant au fait que sa politique d’« intégration et de prise d’influence » servait à gagner du temps pour permettre un réarmement militaire. « À court et à moyen terme », a-t-il remarqué, les Européens ne « pourront pas renoncer à la garantie de sécurité des États-Unis. » De toute évidence, à long terme il voit les choses différemment. 

Il trace dans le même temps des lignes rouges « dont la violation déclencherait une grave crise transatlantique. » Il a tout d’abord prévenu que, « S’il en venait effectivement à une nouvelle politique gouvernementale sous Donald Trump, qui considère l’UE comme un adversaire, de souhaiter que l’UE s’effondre rapidement en soutenant des populistes d’extrême-droite, ce serait alors la catastrophe majeure pour les relations mutuelles. » Il avait précédemment qualifié une telle politique de « déclaration de guerre sans armes ». 

Ischinger a désigné comme sa deuxième ligne rouge un éventuel accord entre la Russie et les États-Unis aux dépens de l’Europe et la troisième comme étant de nouvelles sanctions contre l’Iran, ce que l’Allemagne n’appuierait pas. 

Ischinger demande instamment aux États européens de faire preuve d’unité et de confiance en soi parce que Trump « serait difficilement en mesure de réaliser ses plans » contre l’Europe. Dans le même temps, il a souligné qu’« en particulier nous, les Allemands, devons considérablement accroître nos efforts dans les domaines de la politique étrangère, du développement et de la défense au vu de la fragile situation mondiale. » 

Le plaidoyer d’Ischinger en faveur d’un énorme renforcement militaire montre que sa critique à l’encontre de Trump et des opposants de droite de l’UE en Europe n’a rien à voir avec la défense d’une « communauté de valeurs ». Il y a trois ans, la Conférence de Munich sur la sécurité avait servi de théâtre au gouvernement allemand pour proclamer « la fin de la retenue militaire ». Le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque et actuel président Frank-Walter Steinmeier avait déclaré : « L’Allemagne est trop grande et trop importante pour se contenter de commenter la politique mondiale depuis le banc de touche ». Il reçut pour cela le soutien de son prédécesseur, le président Joachim Gauck, et de la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen. 

L’avènement de Trump et la résurgence du militarisme allemand sont le résultat de la crise insoluble du capitalisme mondial. La classe dirigeante de tous les pays n’a d’autre réponse à l’aggravation des tensions sociales et économiques que de démarrer une lutte acharnée pour un nouveau partage du monde du pouvoir politique et économique. Les tentatives de l’Allemagne de réorganiser militairement l’Europe sous sa direction vont inévitablement de nouveau faire éclater en Europe les conflits qui avaient déjà provoqué deux guerres mondiales au siècle dernier. 

(Article original paru le 16 février 2017)

 

 

 

 

 

 

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