Le chef du Pentagone met en garde contre « un arc d’instabilité » lors de la conférence de Munich sur la sécurité

James Mattis (surnommé « chien enragé »), ancien général de la Marine et secrétaire américain à la Défense, a prononcé un discours lors de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité, qui a été conçue pour apaiser les tensions entre l’Europe et l’Amérique qui sont apparues à la suite de l’investiture du président Donald Trump.

Mattis a lancé un avertissement à la conférence visant à justifier une nouvelle escalade du militarisme américain et de l’OTAN. « Nous voyons tous notre communauté de nations menacée sur plusieurs fronts alors que l’arc d’instabilité se construit sur la périphérie de l’OTAN et au-delà », a-t-il déclaré à la conférence qui a réuni quelque 70 ministres de la Défense ainsi qu’un certain nombre de chefs d’État. Le Vice-président américain, Mike Pence, s’est lui adressé à la conférence le samedi 18 février.

L'« arc d’instabilité » est une expression qui englobe de multiples cibles pour l’agression américaine, y compris le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Iran et la Russie.

Mattis a ensuite déclaré que « la sécurité américaine est liée de façon permanente à la sécurité de l’Europe », ajoutant : « J’ai beaucoup de respect pour le leadership de l’Allemagne en Europe ».

En même temps, il a fait écho aux remarques faites lors d’une réunion de l’OTAN à Bruxelles, où il a averti que Washington pourrait « modérer » son soutien à l’alliance si d’autres États membres n’augmentaient pas leurs dépenses militaires. « C’est une exigence juste que tous ceux qui bénéficient de la meilleure alliance mondiale apportent leur part proportionnelle des coûts nécessaires pour défendre nos libertés », a-t-il dit.

Les remarques du chef du Pentagone semblaient en grande partie en continuité avec la politique étrangère des États-Unis poursuivie par les Administrations précédentes et étaient en contradiction avec les attaques rhétoriques de Trump contre l’OTAN la caractérisant comme étant « obsolète » et son étiquetage de l’Union européenne comme un « consortium » exploité par l’Allemagne pour ses propres intérêts.

Le discours de Mattis est venu au milieu de la féroce bataille intestine au sein de l’establishment américain sur la politique américaine à l’égard de la Russie, qui a atteint un point culminant avec la démission forcée du conseiller de sécurité nationale de Trump, Michael Flynn, suite à la révélation dans la presse de ses conversations avec l’ambassadeur de Russie aux États-Unis avant l’inauguration.

Mattis et le secrétaire d’État américain, l’ancien PDG d’ExxonMobil, Rex Tillerson, qui assistait à une réunion à proximité avec les ministres des Affaires étrangères du G-20 à Bonn, ont signalé qu’il n’y avait pas de perspective imminente de rapprochement qui allégerait sensiblement les tensions entre Washington et Moscou.

Alors que Mattis parlait à Munich, l’armée américaine se déployait en Bulgarie dans le cadre du renforcement de la présence militaire des États-Unis et de l’OTAN en Europe de l’Est et aux frontières de la Russie qui compte aujourd’hui 4000 troupes américaines ainsi que des forces de la Grande-Bretagne, l’Allemagne et d’autres alliés de l’OTAN. Cet accroissement a continué sans relâche depuis que Trump est entré à la Maison-Blanche.

Le discours du chef du Pentagone a été accompagné par des remarques de son homologue allemand, la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, qui comprenait des critiques assez pointues de la rhétorique sur l’Europe venant de la Maison-Blanche de Trump.

« Nos amis américains savent bien que votre ton sur l’Europe et l’OTAN a un impact direct sur la cohésion de notre continent », a déclaré von der Leyen à la Conférence de Munich sur la sécurité. Mettant en garde contre tout mouvement de Washington vers un rapprochement avec la Russie, elle a ajouté : « Il ne peut y avoir une politique d’équidistance entre des alliés et ceux qui remettent ouvertement en question nos valeurs, nos frontières et le droit international. »

En ce qui a constitué une attaque à peine voilée sur la tentative avortée de Trump d’imposer une interdiction de voyager à sept pays majoritairement musulmans, la ministre allemande de la Défense a déclaré à la conférence : « Nous devrions faire attention à ce que cette lutte ne devienne pas un front contre l’islam et les musulmans. Sinon, nous risquons de nous creuser une tombe plus profonde où la violence et la terreur ne se développent que plus loin ».

Avant la conférence de Munich, Mattis avait déclaré qu’il ne pourrait y avoir de coopération militaire entre les États-Unis et la Russie jusqu’à ce que Moscou « fasse preuve de bonne volonté », réitérant la position des États-Unis sous-jacente des sanctions prises contre la Russie vis-à-vis de l’Ukraine et de la Crimée.

Tillerson a sonné une note similaire vendredi, rejetant explicitement tout changement de la stratégie générale poursuivie par Washington à l’égard de la Syrie depuis le lancement de la guerre orchestrée par la CIA pour le changement de régime il y a près de six ans. Rencontre avec ses homologues d’autres grands partisans des « rebelles » islamistes, dont la France, l’Arabie saoudite, la Turquie et la Grande-Bretagne, le secrétaire d’État américain a souligné qu’il n’y aurait pas de coopération militaire avec la Russie en Syrie jusqu’à ce que Moscou se distancie du gouvernement de Bashar al-Assad et accepte la légitimité des rebelles liés par Al-Qaïda que les États-Unis et ses alliés ont armés et soutenus.

Tillerson a également réaffirmé son soutien aux négociations menées par l’ONU sur la Syrie, qui devraient reprendre jeudi prochain à Genève. Le gouvernement russe du président Vladimir Poutine avait invité Washington à participer aux pourparlers négociés par la Russie, la Turquie et l’Iran à Astana, la capitale du Kazakhstan, mais l’administration Trump n’a envoyé que l’ambassadeur local en qualité d’observateur.

Alors que les interventions de Tillerson et de Mattis à Bruxelles, Bonn et Munich visaient clairement à apaiser les tensions qui se sont produites entre les États-Unis et l’Europe, le caractère amer de la bataille qui fait rage au sein des milieux dirigeants de Washington a été exprimé à Munich par un discours extraordinaire prononcé par le sénateur républicain de l’Arizona, John McCain, chef du comité des services armés du Sénat. Ce conflit interne n’a rien à voir avec les droits démocratiques ou sociaux de la grande majorité de la population, mais est plutôt guidé par un conflit sur les stratégies américaines de guerre.

McCain a décrit l’Administration Trump, que son parti appuie ostensiblement, comme étant dans le « désarroi », et a suggéré qu’elle faisait partie d’un « rejet croissant des valeurs universelles au profit de vieux liens de sang et de race et de sectarisme ».

Se référant à la démission forcée du conseiller à la sécurité nationale de Trump, McCain a déclaré à son auditoire à Munich : « Je pense que la question Flynn est évidemment quelque chose qui montre qu’à bien des égards cette Administration est en désordre et qu’ils ont beaucoup de travail à faire ».

En faisant la distinction entre la rhétorique de « l’Amérique d’abord » de Trump et les politiques avancées par ses principaux conseillers, McCain a poursuivi : « Je sais qu’il existe une profonde préoccupation à travers l’Europe et le monde que les États-Unis renoncent au manteau du leadership mondial. Je ne peux parler que pour moi-même, mais je ne crois pas que ce soit le message que vous allez entendre de tous les dirigeants américains qui se sont suffisamment souciés de voyager ici à Munich ce week-end. Ce n’est pas le message que vous avez entendu aujourd’hui du secrétaire à la Défense Jim Mattis. Ce n’est pas le message que vous entendrez du vice-président Mike Pence. Ce n’est pas le message que vous entendrez du secrétaire à la Sécurité intérieure John Kelly.

McCain, l’un des plus vifs défenseurs de l’agression contre la Russie, a été au centre d’une polémique le mois dernier où il a transmis des documents aux agences de renseignement américaines alléguant des liens secrets entre Moscou et Trump et son équipe de campagne.

Ces actions, ainsi que l’attaque ouverte contre un président au pouvoir par son propre parti lors d’une conférence internationale à Munich, sont pratiquement sans précédent. Ils reflètent l’hostilité intense au sein de l’appareil militaire et de renseignement américain contre tout mouvement de l’Administration Trump pour se retirer de l’escalade prolongée des provocations et de l’agression contre la Russie. Dans la mesure où Trump a avancé une politique alternative, il n’a pas été une de retraite de militarisme mondial, mais plutôt un changement tactique vers la première préparation de la guerre d’abord contre l’Iran et escalade de la confrontation américaine avec la Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 18 février 2017)

Loading