La Conférence de Munich sur la sécurité indique une nouvelle course à l’armement

La Conférence de Munich sur la sécurité, qui s’est achevée dimanche dernier, s’est déroulée dans une atmosphère belliciste et de propagande en faveur d’un réarmement. Le président Donald Trump avait préalablement menacé de se désengager de l’OTAN si les alliés européens n’augmentaient pas considérablement leurs dépenses militaires.

Les responsables gouvernementaux européens réagirent en indiquant qu’à long terme les États-Unis n’étaient plus fiables. À l’avenir, l’Europe devrait prendre en main sa sécurité. Une mise à niveau systématique de l’armée est donc impérative. En amont de la conférence sur la sécurité, la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, avait annoncé un réarmement massif de la Bundeswehr (armée allemande) dans un document intitulé « Nous avons compris ».

Plus de 25 chefs de gouvernement, 80 ministres des affaires étrangères et de la défense et plus de 500 spécialistes de la sécurité du monde entier ont participé à la conférence. Von der Leyen a réitéré ce qu’elle avait écrit auparavant dans le Süddeutsche Zeitung : « Nous, les Allemands et la plupart des Européens avons compté pour notre sécurité pendant beaucoup trop longtemps sur les larges épaules de nos amis américains. Et oui, nous savons que nous devons porter une part plus grande et plus équitable du fardeau de la sécurité commune atlantique. »

Elle a dit qu’en Europe, la volonté de le faire était « plus grande que jamais ». À l’occasion de nombreuses opérations conjointes au cours de ces dernières décennies, les armées européennes ont « acquis des compétences militaires et la confiance prudente dans les autres. »

La chancelière Angela Merkel a déclaré que l’Allemagne honorerait ses engagements et dépenserait plus d’argent pour l’OTAN et le réarmement. « Nous nous sommes engagés à atteindre l’objectif fixé de deux pour cent », a-t-elle dit en faisant référence à l’exigence selon laquelle les pays membres de l’OTAN consacrent 2 pour cent de leur produit intérieur brut aux dépenses militaires. « Nous ferons tous les efforts possibles pour y parvenir », a-t-elle ajouté. Actuellement, l’Allemagne consacre environ 1,2 pour cent de son produit intérieur brut à son budget militaire. « Nous ferons beaucoup plus en matière de politique de défense », a souligné Merkel.

Dans le même temps, elle mettait en garde les États-Unis contre un retrait de l’OTAN. Personne n’est à même de traiter les problèmes du monde tout seul, a dit la chancelière. Ce qui fut compris comme un dénigrement de Trump et de ses déclarations critiques contre l’OTAN.

Le président de la Conférence de Munich sur la sécurité, Wolfang Ischinger, a été encore plus explicite. Il s’en est pris farouchement au nouveau président américain dans des entretiens avec la presse. Cet ancien ambassadeur allemand à Washington a déclaré au quotidien berlinois Tagesspiegel, « Les États-Unis n’ont malheureusement plus aucune valeur comme figure de proue symbolique de la morale politique de l’Occident. L’Europe doit combler le vide qui en résulte et assumer davantage de responsabilités de leadership.

Le gouvernement allemand utilise la vague d’opposition généralisée à la politique nationaliste et raciste du gouvernement Trump pour promouvoir ses projets de réarmement européen. En cela, la Conférence de Munich sur la sécurité joue un rôle central.

Il y a trois ans, lors de la même conférence, les responsables du gouvernement allemand avaient annoncé la fin de la retenue militaire. Actuellement, l’exigence du nouveau gouvernement américain que les Européens fassent plus pour leur propre défense sert de prétexte opportun pour accélérer le renforcement militaire.

Au début de la conférence, Ischinger avait publié une anthologie contenant les contributions de politiciens de haut rang et d’experts de la sécurité sous le titre « La nouvelle responsabilité de l’Allemagne ». Dans son introduction, il appelle à une planification et à une coordination plus étroites des budgets de défense de l’UE. »

Selon Ischinger, l’augmentation des budgets de la défense à deux pour cent du produit intérieur brut (PIB), exigée par le gouvernement américain et adoptée par les pays membres de l’OTAN en 2014, était trop faible. Trois pour cent au moins du PIB sont nécessaires. Pour ce faire, les postes budgétaires pour la prévention des conflits, la coopération au développement, la diplomatie et la défense ont dû être réorganisés et centrés sur un renforcement militaire.

Ceci signifierait une hausse du budget allemand de la défense, qui s’élève actuellement à 37 milliards d’euros, à près de 100 milliards d’euros. Une telle gigantesque hausse des dépenses militaires nécessiterait des coupes massives dans tous les domaines des dépenses sociales et serait rejetée par la grande majorité de la population.

C’est pour cela que la Conférence de Munich sur la sécurité, qui a réaffirmé la décision d’intensifier le réarmement allemand et européen, s’accompagne d’une campagne belliciste sans précédent de la part des médias. Le mantra récurrent étant : en élisant Trump, l’Amérique a abandonné son rôle de leadership au sein de l’alliance occidentale. L’Allemagne doit considérer cela comme un signal d’alarme et une occasion à saisir.

L’éditorial du magazine hebdomadaire d’informations Der Spiegel est intitulé « Au-delà de l’OTAN ». Il débute par la phrase « Donald Trump a raison ». Il présente l’idée que soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit assumer la responsabilité de sa propre sécurité. S’il est encore « prématuré » de faire une croix sur l’Amérique en tant que partenaire, il est aussi « imprudent et naïf » de ne pas se préparer au fait que l’Europe « ne peut plus compter inconditionnellement sur l’Amérique. »

S’ensuit la phrase mémorable : « Le terme de « partenaire junior » peut finalement être relégué aux oubliettes de l’histoire. » Jusque-là, seuls les groupes d’extrême droite avaient parlé de l’Allemagne se libérant de l’hégémonie et du paternalisme américains en affirmant sa souveraineté.

De telles tirades nationalistes n’ont pas été entendues depuis le Sturmlied, l’hymne nazi avec son refrain « Allemagne, réveille-toi ! » Le mot d’ordre de Trump « l’Amérique d’abord ! » est considéré comme un coup libérateur dans les comités de rédaction et les bureaux des partis. Enfin, un sentiment de soulagement de toute inhibition est ressenti. L’appel aux armes peut être associé aux anciens slogans chauvins.

L’auteur de l’éditorial du Spiegel, Christiane Hoffmann, est mariée au député parlementaire suisse et ancien ambassadeur à Berlin, Tim Guldimann. Dans son article, elle exprime les vues qui circulent dans les hautes sphères diplomatiques et qui sont débattues de plus en plus ouvertement.

Le Süddeutsche Zeitung a titré son éditorial sur la Conférence de Munich sur la sécurité « Obligé d’avoir confiance en soi ». On peut y lire : « L’Union européenne a reçu un signal d’alarme. Il devrait être compris avant tout comme une opportunité. » Le président américain pense que les partenaires européens doivent faire plus pour eux-mêmes. « Son vice-président a enjolivé la formule : nous sommes là pour vous si vous êtes là pour nous. » Cette condition est nouvelle. Elle oblige les Européens à s’entendre sur leurs objectifs.

Dans sa toute dernière édition, l’hebdomadaire politique Die Zeit pose la question suivante : « L’UE a-t-elle besoin de la bombe ? » Elle déplore que la Bundeswehr « ne puisse pas disposer librement » des armes nucléaires américaines stationnées en Allemagne en « n’étant autorisée de les utiliser |…] que si Washington donne le feu vert. » Certains Européens pourraient par conséquent maintenant « se faire à l’idée de leur propre dissuasion, indépendante des États-Unis. »

Que Die Zeit entende par là concrètement une bombe atomique allemande ressort clairement des paragraphes qui suivent. Les auteurs restent sceptiques sur la question de savoir si les deux puissances nucléaires européennes – la France et la Grande-Bretagne – accorderaient au gouvernement allemand le droit de codécision pour l’utilisation des armes en cas d’urgence. La première ministre britannique avait déjà précisé comment elle envisageait utiliser ce pouvoir – comme un levier dans les négociations du Brexit avec l’UE. Et en France, l’on ne sait absolument pas qui donnera le ton après les élections présidentielles.

Les auteurs de l’article paru dans Die Zeit regrettent vivement le fait que l’Allemagne soit « un pays pacifique ». Les Allemands, selon Die Zeit, ont « oublié comment penser en termes nucléaires ». Autrement dit, ils ont « oublié » comment penser en termes de destruction de millions de vies humaines. Apparemment, ils ont besoin qu’on le leur apprenne de nouveau !

Jan Techau, du journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, est encore plus explicite. Il caractérise le « souci de se retrouver « moralement propre » après chaque projet », qui ferait l’objet du débat de politique étrangère en Allemagne, de « neurasthénique ». L’« appréciation exagérée des normes morales comme seule référence pour le comportement » menant ainsi à « une névrose isolante. »

Le directeur du Richard C. Holbrooke Forum de l’American Academy à Berlin, fait remonter cette névrose morale au « traumatisme collectif d’une société » qui « à la fin de la Seconde Guerre mondiale avait dû se rendre compte que toute son énergie, son idéalisme, son acceptation de souffrir de privations, son ambition, sa force créatrice, sa discipline ont été consacrées au plus horrible de tous les projets humains. »

Une formulation remarquable ! Techau voudrait-il réellement nous faire croire que les partisans de Hitler l’ont soutenu par idéalisme et n’ont remarqué qu’à la fin de la guerre qu’il était un criminel ?

Quoi qu’il en soit, il plaide vigoureusement en faveur de l’abandon de tout scrupule moral en fondant le débat relatif à la politique de sécurité plutôt sur « des intérêts politiques et la responsabilité » que sur la « satisfaction de ses propres exigences morales. »

« La politique étrangère », selon Techau, « se déroule presque toujours dans des zones morales grises, dans lesquelles, pour autant que l’on veuille rester opérationnel, l’on est contraint de faire des compromis douloureux sur sa propre invincibilité morale. »

Ce faisant il parle de la chose militaire comme de la « discipline suprême de la politique étrangère ». Il affirme que « la volonté de s’impliquer militairement » détermine « en période de nouvelle incertitude stratégique en Europe, et plus que tout autre facteur, si un pays est un partenaire et un allié fiable […] Les coûts politiques pour avoir fait de son invincibilité morale le principal intérêt national peuvent donc être énormes. »

Techau soulève également la question des propres armes nucléaires de l’Allemagne. Il conclut avec la menace, « dans les années à venir, l’Allemagne sera confrontée à une politique étrangère et à des défis sécuritaires que le pays n’ose pas s’imaginer aujourd’hui dans ses rêves. Peut-être même pas dans ses pires cauchemars. »

(Article original paru le 22 février 2017)

 

 

 

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