Jeremy Corbyn : l’échec pour redorer l’image d’un “confusionniste de gauche”

« […] les confusionnistes de gauche sont incapables de prendre le pouvoir ; mais si par le hasard des choses ce dernier tombait entre leurs mains, ils se précipiteraient à le remettre aussitôt à leurs grands frères de droite. Ils feraient de l’État ce qu’ils font actuellement du parti. » (Leon Trotsky, Où va l’Angleterre ?)

Près d’un siècle plus tard, l’avertissement de Trotsky conserve toute sa force par rapport à Jeremy Corbyn, le dirigeant « de gauche » du Parti travailliste britannique.

Corbyn a été élu à une majorité écrasante suite à l’anéantissement électoral du Parti travailliste lors de l’élection générale de 2015. Il avait le soutien enthousiaste de centaines de milliers de membres du Parti travailliste et de partisans sur la base de son engagement à s’opposer à l’austérité et à la guerre. À la suite d’une tentative de putsch interne montée par les députés travaillistes de droite, il a été réélu en septembre dernier à une majorité encore plus importante.

Il a sans cesse trahi son mandat en capitulant devant l’aile droite du Parti travailliste. Il a nommé les va-t-en-guerre blairistes dans son premier cabinet fantôme parlementaire, accordé un vote libre aux travaillistes pour soutenir les bombardements sur la Syrie et le renouvellement du programme d’armes nucléaires Trident, et a démissionné de sa présidence du Stop the War Coalition (Coalition pour stopper la guerre), organisation qu’il avait aidé à fonder. Il a donné pour mission aux municipalités travaillistes de se conformer à la loi et d’imposer des réductions budgétaires dans le cadre de l’austérité demandée par le gouvernement, puis a abandonné l’opposition à l’Union européenne qu’il avait affichée toute sa vie – basée sur un programme de nationalisme économique.

Les événements de mardi, qui précédaient son premier discours du Nouvel An prononcé dans la ville de Peterborough, ont montré Corbyn encore une fois en déroute politique. Dès l’instant où il prenait la parole, il avait déjà abandonné le texte précédemment convenu, à la suite des attaques des députés travaillistes, de la presse et du grand patronat.

Le discours de Peterborough était censé être l’aboutissement des efforts des conseillers de Corbyn pour redorer son image comme une figure « populiste », anti-establishment, prête à diriger un parti qui « défendrait les gens » et combattrait les intérêts patronaux.

Dans cette optique, Corbyn a parlé de son inquiétude à propos de l’inégalité croissante, de l’assaut contre les salaires et les conditions du travail et la destruction des services publics. L’État providence « ne parvient pas à fournir les soins essentiels », a-t-il déclaré, et le Service national de la santé connaît un « déficit record » et fait face à une « crise humanitaire », les travailleurs sont confrontés à « une vague d’insécurité », alors que les PDG « nantis » en profitent.

Tout cela était une couverture rhétorique pour les efforts de Corbyn qui tente de prouver la valeur politique du Parti travailliste à une élite dirigeante en crise, déchirée par les conséquences du référendum sur le Brexit [sortie de l’UE]. Le sort de la City de Londres et des sociétés installées au Royaume-Uni, dont la moitié des actions est détenue à l’étranger, est en jeu.

L’équipe de Corbyn a choisi Peterborough parce que la ville avait voté fortement en faveur de la sortie de l’Union européenne lors du referendum de l’année dernière et qu’elle a une grande population de migrants d’Europe de l’Est. Il s’agissait d’un signal que Corbyn est prêt à faire les changements politiques que l’aile droite du parti exige de lui en adoptant un programme anti-immigration.

Un élément clé des prochaines négociations avec l’UE sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni concerne la libre circulation de la main-d’œuvre au sein de l’UE, à laquelle s’opposent de nombreux députés travaillistes, avec à leur tête des personnalités de droite comme Stephen Kinnock, Jon Cruddas, Rachel Reeves et Caroline Flint. Cette clique exige un nouveau système à deux niveaux de contrôles sur la migration de l’UE. Le premier niveau comprendrait des travailleurs qualifiés et des étudiants de l’UE ayant une place dans les universités britanniques. Le deuxième niveau serait composé de travailleurs de l’UE moins qualifiés soumis à des quotas, négociés entre le gouvernement, l’industrie et les syndicats.

La Fabian Society [tendance au sein du Parti travailliste], dirigée par des personnalités éminentes de la tentative d’écarter Corbyn du poste de chef du parti, comme Tristram Hunt, a appelé à l’adoption d’un patriotisme incluant « l’écoute » des préoccupations relatives aux migrations.

Les dirigeants syndicaux, dont Len McCluskey du syndicat Unite, le principal soutien de Corbyn et un partisan très vindicatif des « emplois britanniques pour les travailleurs britanniques », s’opposent également à la libre circulation des travailleurs.

Jusqu’à présent, Corbyn et la ministre fantôme de l’Intérieur Diane Abbott se sont opposés aux limites et quotas. Toutefois, dans le discours de Peterborough, cela a été abandonné sans cérémonie, avec Corbyn déclarant, « Le Parti travailliste n’est pas lié à la liberté de circulation pour les citoyens de l’UE comme à une question de principe ».

Ayant tenu compte de la demande de ses adversaires déclarés, Corbyn se sentait obligé d’ajouter une mise en garde, en déclarant : « Je ne veux pas que cela soit mal interprété ; Et nous ne l’écartons pas non plus. »

Il était impossible de savoir avec certitude si cela était censé être une concession à la majorité de ses partisans, qui ont voté pour rester dans l’UE et soutenir la libre circulation, ou pour les entreprises qui ne veulent pas que la fin de la libre circulation empêche le Royaume-Uni de maintenir l’accès au marché unique. Cependant, le reste du discours de Corbyn a fortement indiqué que cette dernière considération était primordiale.

« Les travaillistes soutiennent des règles équitables et la gestion raisonnable de la migration dans le cadre de la relation post-Brexit avec l’UE », a-t-il dit. Sa priorité était de maintenir un « accès complet » au marché unique de l’Union européenne.

Corbyn a essayé de combiner pragmatiquement un engagement au libre-échange, au moins en Europe, avec la promesse de mettre en œuvre des mesures protectionnistes en rapatriant « les pouvoirs de Bruxelles afin que le gouvernement britannique puisse développer une véritable stratégie industrielle essentielle à l’économie de l’avenir […] ».

Se référant à sa précédente dénonciation des conservateurs pour ne pas avoir mis en place des mesures protectionnistes contre le « dumping » de l’acier chinois, il a déclaré : « Les gouvernements conservateurs se sont cachés derrière les règles de l’UE sur les aides d’État parce qu’ils ne veulent pas intervenir. Ils l’ont fait à nouveau l’an dernier, lorsque la sidérurgie était en difficulté. »

Pour compléter son appel à ce que le Parti travailliste soit considéré comme le protecteur de l’avenir économique de la nation, Corbyn a déclaré le gouvernement du Parti conservateur de la Première ministre Theresa May « inapte à négocier le Brexit » pour avoir « imprudemment exposé le pays à une telle situation sans plan. »

La seule mesure concrète dévoilée par Corbyn comme preuve qu’il allait résister aux « nantis » au nom des travailleurs est sa promesse de soutenir un « salaire maximum » pour limiter les salaires excessifs des PDG. Dans les entrevues matinales avec les médias, il s’est prononcé en faveur d’« une sorte de plafond des revenus élevés » et a pesté contre la richesse « grotesque » des super-riches.

Mais arrivé le moment du discours de l’après-midi, Corbyn s’est borné à proposer un gage qu’un gouvernement travailliste ne proposerait pas de contrats publics aux entreprises privées qui payaient leurs cadres plus de 20 fois le salaire de leur travailleur le moins bien payé.

Le fait est que sa déclaration que la libre circulation des travailleurs n’est pas un principe suffit à juger Corbyn dans son rôle de personnalité politique.

Son discours a démontré encore une fois qu’il est dépourvu de principes. Son seul souci est de préserver « l’unité » du Parti travailliste, c’est-à-dire l’unité avec la droite qui fait respecter l’agenda pro-capitaliste, pro-austérité et pro-guerre des travaillistes, tout en employant une rhétorique « de gauche » vide pour maintenir l’emprise mortelle du parti sur la classe ouvrière. De ce fait, il n’y a rien de sa rhétorique prétendument anti-establishment qu’il n’abandonnera pas si son parti et les maîtres du jeu syndicaux le lui imposent.

À lire également :

Corbyn’s six months as UK Labour leader : A record of capitulation and betrayal

[24 mars 2016]

 

(Article paru en anglais le 12 janvier 2017)

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