Perspectives

Le Congrès rampe devant la CIA qui intensifie l’hystérie sur le “piratage russe”

La tempête politique sur les allégations de piratage russe dans la campagne électorale présidentielle américaine a atteint un nouveau sommet avec l’audience jeudi devant le Comité des services armés du Sénat, où trois haut fonctionnaires du renseignement ont témoigné pendant plusieurs heures. Les trois fonctionnaires ont refusé de fournir la moindre preuve pour étayer leurs affirmations selon lesquelles le gouvernement russe a dirigé le piratage dans les courriels du Comité national démocrate et du président de campagne de Clinton John Podesta. 

Il n’y a pas non plus de preuve de ce genre dans le rapport de 50 pages que les agences de renseignement ont remises au président Obama jeudi, suivi de séances d’information des dirigeants du Congrès et du président élu Donald Trump vendredi. Selon le Washington Post, « Des responsables américains ont déclaré qu’il n’y avait pas de nouvelles déclarations spectaculaires même dans le rapport classifié », et encore moins la version déclassifiée qui doit être rendue publique lundi.

Cela n’a pas empêché le président du Comité des forces armées, le sénateur John McCain, de décrire ce présumé piratage comme un « acte de guerre » et d’exhorter à plusieurs reprises des fonctionnaires du service de renseignement à adopter cette terminologie aux implications des plus néfastes, Les États-Unis et la Russie, entre eux, contrôlent plus de 95 pour cent des armes nucléaires du monde. 

Les commentaires belliqueux de McCain ont été repris par les démocrates du comité, qui ont attaqué Trump pour ses commentaires sur Twitter constatant le manque de preuve de toute participation russe et faisant remarquer que le fondateur de WikiLeaks Julian Assange a nié publiquement que la Russie était la source des courriels du Parti démocrate publiés par son organisation.

Compte tenu de la campagne incessante visant à transformer le prétendu piratage en prétexte à la guerre avec une Russie dotée d’armes nucléaires, nous devons mener une vérification de la réalité. Qu’est-ce qui a été réellement découvert avec le piratage du Comité national démocrate (DNC) et de la campagne de Clinton ?

Le matériel publié par WikiLeaks a révélé deux facettes majeures de la campagne présidentielle de 2016 : le sabotage délibéré de la campagne de Bernie Sanders par la direction du DNC, qui a pesé en faveur de Clinton ; et la subordination abjecte de Clinton à l’aristocratie financière, documentée dans les transcriptions de ses discours à Goldman Sachs et à d’autres firmes de Wall Street.

Le terme « piratage de l’élection » a été largement répété, bien que les agences de renseignement américaines aient dit qu’il n’y avait aucune preuve qu’un seul bulletin de vote ait été dévoyé ou mis en cause à la suite d’une ingérence électronique dans la conduite du vote. La seule conséquence du prétendu piratage était la publication d’informations véridiques sur les actions des responsables du Parti démocrate et de Clinton elle-même qui ont discrédité sa campagne. C’est ce que les démocrates et leurs partisans des médias veulent supprimer. 

Des reportages des médias jeudi ont admis volontiers que le « crime » en question n’était pas le piratage du matériel du DNC et de Podesta, mais sa livraison à WikiLeaks pour le rendre public. Le New York Times a écrit que le prétendu groupe de piratage russe « est blâmé non seulement pour avoir pris des courriels du DNC, du comité de campagne du Congrès démocratique et de M. Podesta, mais aussi pour les avoir rendus publics », une action qui équivalait à « transformer une opération d’espionnage traditionnel en une tentative d’influencer l’élection […] ».

Un chroniqueur du Washington Post a reconnu : « Nous allons stipuler que les gouvernements s’espionnent régulièrement et que les États-Unis recueillent également des renseignements sur des gouvernements comme la Russie, la Chine et l’Inde. La différence est que les opérations de renseignement auraient conduit à la divulgation d’informations au public, via WikiLeaks et la couverture médiatique ». 

Pour le dire clairement, le véritable « crime », en ce qui concerne l’élite dirigeante des États-Unis c’est que quelqu’un, l’identité du véritable lâcheur ou pirate informatique étant sans importance, a donné au peuple américain accès à du matériel documentant la conspiration des dirigeants du parti démocrate contre les droits démocratiques des membres de leur propre parti qui ont soutenu Sanders, et a également démontré les intérêts de classe servis par Hillary Clinton, la favorite de l’establishment du parti.

Il est remarquable que dans l’énorme levée de boucliers sur le prétendu piratage russe, il n’y a presque aucune référence au contenu du matériel révélé. L’attitude des organes de presse des grandes entreprises comme le New York Times et le Washington Post suggère que si l’un de leurs reporters avait reçu les courriels du DNC d’une source inconnue, comme cela aurait été le cas d’un journaliste du Times qui aurait reçu la déclaration de revenus de Donald Trump, les chefs de rédaction auraient supprimé l’information.

En fait, il est plus que probable que c’est exactement ce qui s’est passé. Personne n’a demandé au Times ou au Post quand ils ont eu connaissance de la campagne du DNC contre Sanders ou reçu les transcriptions des discours de Clinton à Wall Street. Il est douteux que WikiLeaks ait été le premier média à le faire. Mais les militants de WikiLeaks se sont comportés comme de vrais journalistes, pas comme des sténographes pour la CIA et le Pentagone, et ont rendu publics les documents secrets, portant atteinte ainsi à la candidate préférée de loin de la direction des services de renseignement et de l’armée. Pour cela et d’autres révélations, Julian Assange s’est attiré la haine implacable de l’impérialisme américain et de ses serviteurs – et les remerciements de la classe ouvrière internationale.

Et quid du sénateur Sanders lui-même, et son alliée libérale, la sénatrice Elizabeth Warren ? Alors que la campagne sur le prétendu piratage russe se déroulé dans les médias, ces lâches politiques se sont prosternés devant les agences de renseignement. Ce fait expose encore une fois l’absurdité de leur prétention de représenter une opposition. Ils partagent la vision de classe fondamentale de tout l’establishment politique, démocrate et républicain, qui considère l’appareil de renseignement et de l’armée comme sa dernière ligne de défense contre la classe ouvrière à l’étranger comme à l’intérieur.

Lors de l’audience de jeudi, les républicains et les démocrates ont invité les chefs de l’espionnage à dénoncer Assange pour la publication par WikiLeaks des communications militaires et diplomatiques américaines qui documentent les crimes de guerre en Irak et en Afghanistan et les conspirations contre les gouvernements du monde entier, des activités qui rendent le piratage des courriels du DNC relativement innocents.

Le New York Times a écrit : « La réunion était extraordinaire tant pour son contexte que pour son contenu, un affichage public de soutien bipartite à la communauté du renseignement qui semblait épingler, parfois, un seul membre du public » (c’est-à-dire, Trump).

Les sénateurs des deux partis, dont la plupart soutenaient la guerre en Irak sur la base de mensonges sur les « armes de destruction massive », semblaient être en concurrence pour démontrer la loyauté la plus abjecte envers les agences de renseignement. Ils parlaient tous à partir de points de discussion fournis par les agences de renseignement et le Pentagone. Le sénateur Joseph Donnelly, un démocrate de l’Indiana, a été le plus servile, disant aux chefs de l’espionnage que dans un concours de vérité avec Assange et WikiLeaks, « Nous sommes de votre côté à chaque fois ».

Ce thème a été élaboré explicitement dans un éditorial du Washington Post de jeudi, qui a réprimandé Trump pour avoir rejeté les affirmations de piratage russe des démocrates, qu’il décrit comme un effort pour « nier la réalité ». Déclarant que Trump devrait bientôt s’appuyer sur des « pros du renseignement » pour l’aider à conduire la politique étrangère américaine, l’éditorial a demandé : « Pourquoi M. Trump donne-t-il plus de poids à M. Assange qu’aux agences de renseignement américaines ? »

Confronté au déferlement des médias, Trump a semblé faire marche arrière, indiquant dans un tweet sa désapprobation d’Assange et son amour pour les agences de renseignement. Mais la question posée par le Post devrait être retournée contre le journal lui-même. Pourquoi devrait-on croire Assange ? Parce que WikiLeaks a mené une enquête journalistique réelle, découvrant des preuves de crimes du gouvernement américain et les rendant publiques.

Les agences de renseignement, en revanche, sont des menteurs avérés. Aucun sénateur n’a contesté l’intégrité du groupe de témoins, dirigé par le général à la retraite James Clapper, le directeur de la NSA (Renseignement national). À vrai dire, Clapper aurait dû être emprisonné pour parjure après son témoignage sous serment devant le Congrès en mars 2013. À la question franchement posée, « La NSA recueille-t-elle des données de quelque nature que ce soit sur des millions ou des centaines de millions d’Américains ? », Clapper y répondit par un démenti catégorique de « Non monsieur ». Trois mois plus tard, Edward Snowden a révélé que la NSA a des centaines de programmes pour recueillir les activités de télécommunications et d’Internet, non seulement de chaque Américain, mais de chaque être humain sur la planète.

La démonstration publique bipartite d’appui à la « communauté du renseignement » vise à délégitimer toute opposition aux innombrables crimes commis quotidiennement par l’appareil de renseignement militaire américain contre la population du monde, y compris le peuple américain.

La CIA est une organisation couverte de sang, détestée par des centaines de millions de personnes dans le monde, y compris aux États-Unis, comme l’instigatrice d’innombrables coups d’État, massacres, assassinats et guerres. De l’Iran en 1953, du Guatemala en 1954, du Chili en 1973, en passant par les bains de sang en Amérique centrale dans les années 1980, à la répression massive d’aujourd’hui en Égypte et de la guerre des drones dans une douzaine de pays, la CIA est synonyme de criminalité.

Jeudi, des dizaines de sénateurs américains se sont prosternés devant les services de renseignement. Quelque 40 ans auparavant, dans une salle de réunion semblable, les sénateurs témoignèrent sous serment que la CIA avait dirigé une « Entreprise du Meurtre » en Amérique latine, en Afrique et en Asie.

Cette enquête était la retombée de la crise de Watergate qui força la démission du président Richard Nixon. À l’époque, il fut révélé que le personnel de la CIA avait été employé du Comité pour la réélection du président Nixon (CREEP), et qu’ils furent impliqués dans l’organisation du cambriolage de l’hôtel Watergate. L’enquête du Congrès a révélé l’existence de l’espionnage illégal contre le peuple américain et de l’infiltration d’agents de l’État dans des organisations pacifistes, de défense des droits civiques, syndicales et socialistes.

Il y a quatre décennies, il fut possible pour l’élite dirigeante américaine de mener une « réforme » limitée de la CIA, qui consistait à écarter quelques fonctionnaires discrédités et à fixer certaines limites aux opérations de l’agence, des limites qui ont été rapidement violées dans la pratique. Aujourd’hui, même un tel exercice en grande partie cosmétique est impossible. Au lieu de cela, les agences de renseignement exigent une loyauté sans faille, et les démocrates et les médias leur font un salut.

(Article paru en anglais le 6 janvier 2017)

 

 

Loading