Dix ans de Québec solidaire:‭ ‬un parti pro-capitaliste et pro-impérialiste

Ceci est la deuxième partie: la première partie de cet article a été mise en ligne le 7 janvier. 

Redonner vie au séparatisme québécois anti-ouvrier

La fonction particulière de Québec Solidaire (QS) dans la politique québécoise et canadienne est de faire revivre l’enthousiasme populaire pour le programme rétrograde et de plus en plus explicitement chauvin de l'indépendance du Québec. Cette fonction est inséparable de l’appui que Québec Solidaire donne à la bureaucratie syndicale pour isoler la classe ouvrière au Québec et ses luttes de celles de ses frères et sœurs de classe ailleurs au Canada et internationalement.

Le séparatisme est devenu une tendance politique d’importance au Québec pour la première fois dans les années 1960 et a été principalement associé au Parti québécois (PQ), un parti de la grande entreprise qui s’est formé en 1968 suite à une scission avec le Parti libéral du Québec.

Les appels à la sécession du Québec de l’État fédéral canadien, c’est-à-dire le remaniement du système d’États-nations en Amérique du Nord afin de créer une République capitaliste du Québec, expriment les intérêts de classe et les aspirations d’une faction de la classe dirigeante au Québec. Cette faction estime qu’un Québec indépendant donnerait une meilleure base pour accumuler des profits et défendre ses intérêts. Elle calcule qu’un Québec indépendant pourrait poursuivre des politiques commerciales, fiscales et socio-économiques exclusivement adaptées aux besoins du capital québécois et conclure ses propres accords avec Washington et Wall Street.

Par exemple, le PQ a, pendant un quart de siècle, fait la promotion de l’indépendance explicitement sur la base qu’une réorganisation de l’appareil d’État entraînerait inévitablement un mécanisme pour couper dans les dépenses de l’État, c’est-à-dire pousser plus loin l’élimination des services sociaux et publics.

Typiquement, les plus ardents défenseurs du séparatisme québécois proviennent de sections des classes moyennes privilégiées – avocats, universitaires, animateurs et bureaucrates syndicaux. Ces couches, qui forment la base sociale de Québec Solidaire, voient la création d’une République du Québec comme un levier pour leur propre avancement social, par la création de nouveaux postes dans l’administration et la liberté pour un Québec indépendant de poursuivre une politique sur la langue qui serait exclusiviste et basée sur la discrimination à rebours.

Le nationalisme québécois, y compris sa variante indépendantiste, est un pilier idéologique de l’ordre capitaliste au Québec et au Canada. Il sert à lier les travailleurs du Québec à la bourgeoisie du Québec et à les diviser de la classe ouvrière canadienne et internationale.

La classe ouvrière québécoise a eu une expérience amère avec le PQ.

Le Québec, la seule province où la langue française est majoritaire dans tout le Canada, a été secoué par des luttes de classe militantes pendant près d’une décennie à partir de la fin des années 1960. Cette rébellion, qui faisait partie d’une offensive mondiale de la classe ouvrière, a terrifié la bureaucratie syndicale pro-capitaliste. Avec l’aide du parti communiste stalinien, des pablistes et des maoïstes, les syndicats ont détourné les luttes de la classe ouvrière derrière le PQ. Tandis que les syndicats et les staliniens faisaient ouvertement la promotion du PQ et de son soi-disant «préjugé favorable aux travailleurs», les pablistes faisaient l’éloge du séparatisme comme une forme d’«anti-impérialisme» et appuyaient les lois discriminatoires sur la langue.

Dans leur suppression du soulèvement de la classe ouvrière, les syndicats du Québec ont aussi été aidés par la bureaucratie syndicale et les politiciens sociaux-démocrates du NPD dans le Canada anglais. Ils étaient tous déterminés à confiner les luttes militantes des travailleurs québécois à «la belle province».

Une fois au pouvoir, le PQ est entré tête première en conflit avec la classe ouvrière. En 1982-83, le premier ministre péquiste René Lévesque, alors à son deuxième mandat, a imposé des coupes salariales et d’autres concessions sur les centaines de milliers de travailleurs du secteur public par décrets gouvernementaux. Lorsque les professeurs se sont insurgés, le PQ les a menacés de congédiements massifs.

Tous les gouvernements péquistes subséquents ont mis de l’avant des mesures d’austérité de droite. Entre 1996 et 1998, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard a imposé, de concert avec ses adversaires fédéralistes du gouvernement fédéral libéral de Chrétien et Martin, les plus grandes coupes sociales de l’histoire de la province. Après avoir équilibré les budgets, les deux paliers de gouvernements ont implanté de massives baisses d’impôts pour la grande entreprise et les riches.

Malgré le soutien loyal des syndicats au PQ, tant le PQ que son parti frère au niveau fédéral, le Bloc québécois (BQ), ont grandement perdu leur appui au sein de la classe ouvrière au cours de la dernière décennie et demie. À partir de l’élection provinciale de 2003, le PQ et le BQ ont encaissé une série de débâcles électorales qui ont souvent mis un point d’interrogation sur leur existence même en tant que forces majeures dans la politique électorale québécoise.

La fondation de Québec solidaire en 2006 était une réponse préventive au risque d’une rupture politique consciente entre les travailleurs et le PQ et, d’abord et avant tout, son programme d’indépendance du Québec.

Durant la dernière décennie, QS a lutté pour donner un vernis «progressiste» et «démocratique» au mouvement pour la souveraineté ou l’indépendance du Québec. Même s’il critique le PQ pour s’être «adapté au néolibéralisme» et ne pas être assez agressif dans sa promotion de l’indépendance, QS fait régulièrement des avances au PQ et se présente comme un membre de la famille des partis souverainistes. Cela trouve une expression formelle dans la participation de QS à la coalition, menée par le PQ, des organisations pro-souveraineté, OUI Québec.

Tout en couvrant systématiquement le caractère de classe du PQ et en pardonnant ou minimisant la teneur réactionnaire de ses actions, QS prétend que l’État-nation peut être un levier pour le progrès social et un rempart contre les «excès» de la mondialisation capitaliste. C’est un mensonge.

L’État-nation, tout comme le capitalisme au sein duquel il s’est historiquement développé, a été transformé à l’époque de l’impérialisme en frein et en danger public. Il sert de plate-forme aux différentes cliques nationales qui rivalisent pour les marchés, les ressources et les avantages stratégiques, ce qui se fait de plus en plus au moyen de l’agression et de la guerre.

Seul le renversement du capitalisme et du système d’États-nations par l’action révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale peut permettre aux puissantes forces de l’économie mondiale, actionnées par le travail collectif de générations d’ouvriers, d’être utilisées rationnellement dans le but de satisfaire les besoins humains et, du même coup, éradiquer la guerre et la misère sur la planète.

Toute l’activité politique de QS est dirigée contre cela. Plutôt, la fonction centrale de QS est de combattre le développement de la conscience socialiste internationaliste dans la classe ouvrière; de pousser les travailleurs à s’identifier politiquement comme «Québécois» ayant plus en commun avec les capitalistes francophones comme les Desmarais ou Péladeau que les travailleurs en Ontario ou aux États-Unis; et les lier à la faction de la bourgeoisie québécoise qui cherche à créer un troisième État impérialiste en Amérique du Nord.

De façon significative, les principaux éléments qui composent aujourd’hui Québec Solidaire faisaient parti de la soi-disant «coalition arc-en-ciel» établie par le premier ministre péquiste Jacques Parizeau avant le référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec. Allant du parti populiste Action démocratique du Québec (ADQ) à droite jusqu’aux pablistes de Gauche socialiste à «gauche», cette coalition a endossé le programme d’un Québec capitaliste indépendant qui ferait partie de l’OTAN, de l’ALÉNA et de NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord).

Le rôle de Québec solidaire pour contenir la classe ouvrière

Les liens incestueux de Québec solidaire avec le PQ et la bureaucratie syndicale, ainsi que son hostilité envers tout véritable mouvement d'opposition de la classe ouvrière à l'austérité ont été mis en évidence lors de la grève étudiante de 2012.

Ayant mobilisé pendant sept mois des centaines de milliers d'étudiants opposés à la hausse draconienne des frais de scolarité par les libéraux de Jean Charest, cette grève avait le potentiel de devenir le fer-de-lance d'une contre-offensive de toute la classe ouvrière à travers le Canada, surtout en mai 2012 lorsque les travailleurs sont sortis massivement dans les rues du Québec pour s'opposer au projet de loi qui criminalisait la grève et restreignait radicalement le droit de manifester pour n'importe quel enjeu.

Les syndicats, qui avaient systématiquement isolé les étudiants en grève, étaient effrayés de la situation. Ils ont exhorté la population à passer «De la rue, aux urnes» et redoublé d'efforts pour isoler les étudiants et ramener l'opposition au programme d'austérité du gouvernement Charest derrière le PQ pro-patronal.

QS a prétendu appuyer les étudiants, mais n'a pas émis la moindre critique des syndicats. Il s'est plutôt joint à eux pour essayer de présenter le PQ comme une force «progressiste». En juin 2012, il a proposé au PQ de faire bloc électoral avec lui. Et quelques jours seulement avant l'élection de septembre 2012, QS a juré que s'il remportait assez de sièges pour détenir la balance du pouvoir, il appuierait inconditionnellement un gouvernement minoritaire péquiste pour au moins un an.

Son image «progressiste» redorée par les syndicats et QS, le PQ a remporté suffisamment de sièges pour former durant 18 mois un gouvernement minoritaire, de septembre 2012 jusqu'en 2014. Mais, à sa grande déception, QS n'a pas pu obtenir la balance du pouvoir. Durant cette période, QS n'a cessé de répéter combien il était «déçu» du PQ qui, après avoir fait certaines concessions symboliques pour mettre fin à la crise politique provoquée par la grève étudiante, a mis en œuvre des mesures d'austérité encore plus sévères que celles de Charest.

Tout aussi révélatrice a été la réaction de Québec solidaire au virage chauvin anti-musulman du PQ, qui visait à détourner l'attention de ses politiques d'austérité et diviser la classe ouvrière. Selon sa «Charte des valeurs québécoises», le PQ a proposé d'interdire le port des symboles religieux «ostentatoires» (mais pas les «crucifix discrets») aux employés du secteur public: une mesure explicitement dirigée contre les femmes musulmanes portant le hidjab.

QS a appuyé l'idée de la Charte, tout comme il avait auparavant légitimé le débat réactionnaire provoqué par l'ADQ et les tabloïds de droite sur les supposés accommodements «excessifs» accordés aux minorités religieuses au Québec. La seule plainte de QS était que l'interdiction de «symboles religieux» par le PQ n'était pas assez ciblée.

Depuis le retour des libéraux au pouvoir à Québec, QS a travaillé avec les syndicats pour étouffer l'opposition grandissante de la classe ouvrière, d'abord aux coupes dans les pensions des travailleurs municipaux, et ensuite aux vastes coupes dans les programmes sociaux et les services publics. En 2015, il a donné son plein appui aux syndicats tandis qu'ils divisaient l'opposition aux coupes sociales de la lutte pour les contrats de travail de plus d'un demi-million de travailleurs du secteur public. Lorsque la bureaucratie syndicale du Front commun a signé une entente de trahison comprenant une baisse du salaire réel, une hausse de l'âge de la retraite et une charge accrue de travail, QS a qualifié ces attaques massives de «concessions précieuses» qui auraient été «arrachées» au gouvernement Couillard.

Un parti toujours plus à droite

Même si QS cherche systématiquement à empêcher que les travailleurs du Québec lient leurs luttes à celles des travailleurs du reste du Canada, il s'allie de temps à autre aux syndicats, au NPD et à la pseudo-gauche du Canada anglais pour contenir et détourner politiquement l'opposition sociale.

À l'automne 2008, QS a appuyé la tentative par les libéraux, le NPD et le BQ de chasser le gouvernement Harper et former une coalition, dirigée par les libéraux, qui se serait dédiée à la «responsabilité financière», c'est-à-dire l'austérité, 50 milliards de dollars en baisses d'impôt pour les sociétés et la guerre en Afghanistan jusqu'en 2011.

De même, QS a appuyé la campagne des syndicats «N'importe qui sauf Harper» durant les élections fédérales de 2015 et accueilli ensuite l'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau.

QS fait tout ce qu'il peut pour démontrer à l'élite du Québec que ses politiques économiques sont «responsables» et «crédibles». En mai 2014, tandis que les libéraux nouvellement élus au Québec s'apprêtaient à imposer une nouvelle série de politiques draconiennes d'austérité, le député de QS Amir Khadir a donné son appui à l'objectif de «déficit zéro» du gouvernement, proposant seulement de l'étaler sur plus d'un an. Il a ensuite présenté le gouvernement libéral ontarien de Wynne, qui a réduit les dépenses sociales, imposé des baisses de salaire réel aux employés de la fonction publique de la province et criminalisé les grèves des enseignants, comme un modèle à suivre pour les libéraux de Couillard.

L'«aile gauche» de Québec solidaire adopte entièrement cette orientation qui est de plus en plus explicitement à droite.

Benoît Renaud, autre membre dirigeant de QS longtemps associé au groupe supposément de gauche International Socialists, a publié en décembre 2014 un texte où il appelait la «gauche politique et sociale» à s’opposer au «1 pour cent» le plus riche en courtisant les prochains «9 pour cent», c’est-à-dire la couche très privilégiée qui forme le reste des 10 pour cent les plus riches de la population québécoise.

Renaud évoquait la possibilité pour «la mairesse d’une ville importante, un homme d’affaires socialement responsable ou un gestionnaire du secteur de l’éducation» de «faire le saut et porter les couleurs de Québec solidaire en 2018». Dans cette même optique, QS annonçait l'année suivante, une «tournée des régions» dans le but de rencontrer les chambres de commerce, courtiser les petits entrepreneurs et se vendre à eux comme un parti «crédible et novateur sur le plan économique», c'est-à-dire qui défend le système de profit.

Renaud est le représentant de toute une couche de groupes pseudo-révolutionnaires au Québec (y compris Gauche socialiste, Alternative socialiste et La Riposte) qui se sont dissous dans QS et tentent de couvrir d'un mince vernis «marxiste», et même «trotskyste», ses politiques nationalistes réactionnaires.

Dix années d’existence de Québec solidaire l’ont démasqué en tant que représentant des classes moyennes aisées, un parti nationaliste, pro-capitaliste et pro-impérialiste, et un farouche allié de la bureaucratie syndicale. Avec l'intensification de la lutte des classes, il entrera de plus en plus ouvertement en conflit avec la classe ouvrière. S’il venait à prendre le pouvoir, seul ou en coalition avec le Parti québécois, il démontrerait rapidement, en paroles comme en gestes, qu'il est le parti frère de Syriza: un complice dans l'imposition de l'austérité et du militarisme.

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