Espagne : Podemos se divise à mesure que le référendum sur l’indépendance catalane approche

Pendant des décennies, le séparatisme et le régionalisme ont été utilisés pour diviser la classe ouvrière et l’empêcher de mener une lutte indépendante et unifiée contre le capitalisme. Maintenant, le parti de la pseudo-gauche Podemos souffre de divisions entre factions sur le type de nationalisme à cultiver.

La toile de fond est la forte tension entre Madrid et Barcelone, après que le Premier ministre catalan Carles Puigdemont a annoncé un référendum sur l’indépendance qui aura lieu le 1ᵉʳ octobre. Le gouvernement espagnol sous le Parti conservateur minoritaire le Parti populaire (PP) a qualifié le référendum de « coup contre l’État » qui ne sera pas autorisé.

Ce mois-ci, la ministre de la défense, María Dolores de Cospedal, menaçant les sécessionnistes catalans, a fait un discours aux dirigeants de l’armée qui leur rappelle leur devoir de « protéger l’intégrité et la souveraineté du pays ».

Le Premier ministre Mariano Rajoy a rencontré le chef de l’opposition du Parti socialiste Pedro Sánchez pour montrer leur « accord absolu » sur les « questions fondamentales » liées à la Catalogne : le rejet du référendum et la défense de la Constitution espagnole. Sánchez, cependant, craint que les menaces des PP d’utiliser l’article 155 de la Constitution pour prendre le contrôle de la Catalogne « ne servent qu’à alimenter l’indépendance ».

Le président du Parlement catalan, Carme Forcadell, a répondu aux menaces en indiquant que « les députés catalans défendent leurs droits en tant que représentants mandatés par les citoyens de Catalogne et donc de la souveraineté du peuple catalan. »

Peu de temps après la décision, la coalition Junts pel Sí (Ensemble pour Oui), et la candidature de pseudo-gauche et ultra-nationaliste de Candidature d’unité populaire (CUP) ont présenté au Parlement un projet de loi référendaire donnant au référendum une couverture légale. Selon la parlementaire de la CUP Gabriella Serra, le projet signifie que si le oui gagne, la déclaration sur l’indépendance sera effectuée dans les 48 heures.

Dans ce contexte, d’autres divisions apparaissent dans Podemos.

Le parti a déjà été secoué par un conflit entre factions entre l’aile Errejonista dirigée par l’ancien numéro deux, Iñigo Errejon et l’aile Pablista (Pabliste) dirigée par le chef de parti Pablo Iglesias. Leurs divers désaccords sont sur la meilleure façon de supprimer l’opposition dans la classe ouvrière, que ce soit par des manifestations symboliques en alliance avec les syndicats ou en évitant toute mobilisation sociale en faveur de manœuvres purement électorales et parlementaires orientées vers le PSOE. Mais lors du Congrès Vistalegre II de Podemos en février, un nouveau conflit a éclaté au sujet de la relation entre la direction centrale et les organisations affiliées régionales.

Dès sa création, Podemos fut un amalgame de forces avec des vues opposées sur le nationalisme régional. Son aile pabliste, représentée par Anticapitalistas, défend le droit des sécessionnistes de tenir un référendum et déclare que le démembrement de l’Espagne – toujours appelée « L’État espagnol », est progressiste. Son aile stalinienne s’oppose à cette idée et favorise plutôt des concessions économiques et constitutionnelles à la bourgeoisie catalane comme moyen de défendre l’unité de l’État. Le couvercle mis pat le passé sur ces différences est en train de sauter maintenant.

En Andalousie, la dirigeante pabliste du parti, Teresa Rodríguez, exige que son affilié régional soit libéré du contrôle de Madrid. En Castilla La Mancha, les dirigeants locaux consultent actuellement leurs membres sur une invitation du PSOE à entrer dans une coalition formelle, la première fois depuis la création de Podemos, afin d’obtenir le budget approuvé dans le parlement régional.

En Catalogne, une faction de Podem (la branche catalane de Podemos) – contre la volonté d’Iglesias – a refusé de rejoindre le parti fédérateur Catalogne en commun (CiC), fondé en janvier par la maire de Barcelone, Ada Colau. CiC intègre la majorité des organisations catalanes de pseudo-gauche, y compris l’Initiative pour les Verts de Catalogne, la Gauche unie et alternative, dirigée par les staliniens, Barcelone en Comú et les verts du parti Equo.

Podem a annoncé publiquement qu’il soutient le référendum et invite les gens à voter comme un acte de protestation contre l’obstination et l’autoritarisme du gouvernement espagnol. Leur différence principale avec les sécessionnistes est qu’ils ne considèrent pas le vote comme contraignant et s’opposent donc à une déclaration d’indépendance immédiate.

L’annonce de Podem va à l’encontre de la position déclarée de la direction de Podemos, exprimée par Iglesias, qui a déclaré : « Si j’étais citoyen catalan, ce que je ne suis pas, je ne participerais probablement pas au référendum du 1ᵉʳ octobre et je ne voterais pour aucune des options. » Il a déclaré que le vote n’avait « aucune garantie » et ne peut donc pas être considéré comme un exercice du « droit de décision ».

La position de la direction a été approuvée le 8 juillet par l’exécutif de CiC, qui a voté à 85 contre 29 à l’appui de « toutes les mobilisations en défense du droit de décision » mais a ajouté qu’il ne demanderait pas activement la participation au référendum « parce que nous comprenons que, probablement, certaines choses n’ont pas été bien faites dans la feuille de route » vers l’indépendance.

La déclaration de CiC représente un échec pour les séparatistes catalans, qui ont courtisé le parti de Colau. En effet, le positionnement des dirigeants de Podemos et de CiC signifie qu’un référendum ne peut être tenu que par un accord avec le gouvernement espagnol et par des amendements de la constitution, chose pratiquement impossible étant donné que de tels changements exigent le soutien des trois quarts des députés du Congrès.

Cette position est entrée en conflit avec une série de forces de pseudo-gauche autour de Podemos et CiC. Typiquement, Lucha de Clases, liée à la Tendance marxiste internationale et travaillant à l’intérieur de Podemos, qui a affiché, « Nous ne partageons pas tout le positionnement » de CiC et Podemos, et appelle à une « République catalane ».

Ces forces encouragent depuis des années les travailleurs et les jeunes à mettre leurs espoirs dans les forces séparatistes catalanes comme moyen de résoudre des problèmes sociaux profonds. Ils présentent comme progressiste le projet de scission de la région la plus prospère d’Espagne, elle contribue 20 pour cent du PIB espagnol, en disant qu’il fournirait de meilleures conditions sociales aux Catalans.

Le séparatisme, sous la forme de mouvements séparatistes d’extrême droite comme Lega Nord en Italie, Vlaams Belang en Belgique ou les supposés « progressistes » de la Catalogne et de l’Écosse, n’offre rien à la classe ouvrière. Ces forces exploitent des griefs sociaux légitimes alimentés par les coupes sauvages et les mesures d’austérité imposées par les gouvernements centraux pour forger des liens directs avec l’Union européenne et le capital financier mondial. Leur réaction, dans ce qui est presque toujours la partie la plus prospère d’un pays avec le contrôle potentiel d’un atout précieux tel que les taxes qui proviennent du pétrole de la mer du Nord en Écosse, est essentiellement de dire : « Nous payons trop pour que le gouvernement central subventionne les pauvres, nous voulons qu’on nous rembourse ».

Ils sont aidés par les tendances de pseudo-gauche, qui espèrent également que la richesse relative de leurs régions leur permettra une existence plus privilégiée.

Dans un article récent publié dans le Viento Sur pabliste, un vétéran d’Anticapitalistas, le dirigeant Jaime Pastor, affirme que ces opposants à l’indépendance sont les mêmes personnes qui ont approuvé l’article 135 de la Constitution, qui a inscrit l’austérité dans la constitution, rongent sur les éléments « non-confessionnal » (laïques) de l’État en donnant plus de pouvoir à l’Église catholique et en attaquant les « droits fondamentaux comme la liberté d’expression ». Il ajoute ensuite au mélange les énormes scandales de corruption du PP.

Cependant, Pastor oublie que les partis séparatistes catalans ont imposé une brutale austérité dans la région, au point où elle est devenue le « laboratoire des coupes », et que le plus grand parti, la Convergence démocratique (CDC), a été obligé de se refonder comme le Parti démocratique européen catalan (PDECAT) l’année dernière en grande partie à cause de son association avec les scandales de corruption – notamment son chef de longue date et président catalan, Jordi Pujol.

Pire encore, Pastor est complètement indifférent quant au destin des travailleurs dans le reste de l’Espagne. Pour lui, ils pourraient pourrir avec le PP, l’austérité, la corruption et le reste. Pendant ce temps, les catalans seraient sous les séparatistes, occupés à imposer une austérité et à canaliser la colère sociale contre plus de la moitié de la population qui s’oppose à l’indépendance.

La recette de Pastor est la balkanisation de l’Espagne et de l’Europe, où des travailleurs lutteraient les uns contre les autres dans une course vers le bas en termes d’emplois, de salaires et de conditions de travail, ou, pire encore, se battraient entre eux dans des guerres fratricides, comme le montre la si terrible expérience de la Yougoslavie.

Podemos en même temps est un solide défenseur de l’État-nation espagnol et de ses intérêts géopolitiques dans le monde entier. Tout en défendant les concessions aux nationalistes catalans comme un moyen d’arrêter le mouvement sécessionniste, ils détestent la possibilité que l’Espagne perde la richesse générée par la région.

Dans leurs querelles internes, toutes les factions de la pseudo-gauche articulent les intérêts des couches privilégiées de la classe moyenne. Ce sont des outils auxiliaires de la classe dirigeante pour aider à diviser la classe ouvrière, lorsque tout dépend de la lutte unifiée sur la base de l’internationalisme socialiste. Cela signifie le renversement de l’impérialisme espagnol et de son appareil d’État, et non la création d’un nouvel État répressif en Catalogne.

(Article paru en anglais le 24 juillet 2017)

 

 

 

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