Après le renvoi du directeur du FBI par la Maison Blanche

Les républicains rejettent la demande des démocrates pour un procureur spécial

La crise politique qui s’abat sur Washington s’est aggravée mercredi à la suite du renvoi inattendu par le président Donald Trump du directeur du FBI, James Comey.

Trump a déclenché un tollé politique mardi quand il a brusquement renvoyé Comey, qui dirigeait l’enquête la plus active sur le piratage allégué des élections américaines de 2016 par le gouvernement russe et sur des accusations de collusion entre la campagne électorale de Trump et le Kremlin.

Les démocrates au Sénat et les autres responsables du parti ont tous demandé en bloc mercredi la désignation d’un procureur spécial ou l’établissement d’une commission indépendante pour enlever l’enquête des mains de l’entourage de Trump, une demande qui a été fermement rejetée par les dirigeants républicains du Congrès.

Ni le Parti démocrate ni les organismes de renseignement n’ont produit de preuves substantielles pour étayer leurs allégations selon lesquelles Moscou aurait piraté les courriels du Comité national démocrate et du directeur de la campagne de Hillary Clinton, John Podesta, afin de faire basculer les élections en faveur de Trump. Mais cela est traité comme un fait indéniable par la plupart des médias patronaux et sert l’agitation en faveur d’une politique qui mène inexorablement à la guerre contre la deuxième puissance nucléaire du monde.

La réaction des démocrates au renvoi de Comey a encore une fois souligné que leur opposition à Trump n’a rien de commun avec l’opposition populaire de masse à son assaut sur les soins de santé, l’éducation, les règles environnementales, les droits des migrants et les droits démocratiques en général. Au contraire, elle est axée sur la politique étrangère impérialiste des États-Unis et s’allie à des factions puissantes au sein des services de renseignement et de l’armée qui considèrent que Trump n’est pas suffisamment agressif dans sa confrontation avec la Russie.

Dans la mesure où les démocrates critiquent les méthodes autoritaires de Trump, c’est de peur qu’elles discréditent davantage l’ensemble du système politique et déclenchent un mouvement social incontrôlable de la classe ouvrière.

La raison officielle de Trump pour le renvoi de Comey n’est pas crédible. La lettre du substitut du procureur général Rod Rosenstein publiée mardi cite la violation de protocole du ministère de la Justice par Comey lors de la tenue d’une conférence de presse en juillet dernier pour annoncer sa décision de ne pas poursuivre pénalement Clinton au sujet de son utilisation d’un serveur de messagerie privée pendant son mandat de secrétaire d’État, tout en critiquant injustement son « extrême négligence » dans le traitement de documents classés secrets. Elle cite également la lettre extraordinaire de Comey au Congrès 11 jours avant le jour des élections annonçant la réouverture de l’enquête sur la messagerie privée, une décision qui, d’après Clinton, lui aurait coûté l’élection.

Le problème est que Trump n’a jamais soulevé la décision de Comey de contourner la chaîne de commandement du ministère de la Justice. Il a ensuite félicité le directeur du FBI lorsque ce dernier a annoncé la réouverture de l’enquête sur la messagerie privée à l’approche de l’élection. Cette version officielle n’explique pas non plus pourquoi Comey se fait renvoyer maintenant pour des choses qu’il a faites il y a des mois.

Tard le mercredi soir, le Washington Post a rapporté que Rosenstein a menacé de démissionner mardi soir « après que la version des faits sortant de la Maison Blanche mardi soir l’a dépeint comme l’instigateur principal de la décision de renvoyer Comey et le président comme n’agissant que sur sa recommandation. »

Une série de développements au cours de la semaine passée soulignent que Trump a renvoyé Comey parce que non seulement il résistait à la pression de la Maison Blanche pour mettre fin à l’enquête sur la Russie, mais il l’étendait.

Les reportages des médias révèlent que ces derniers jours, les procureurs fédéraux travaillant sous les ordres de Comey ont lancé des assignations du grand jury pour les dossiers des associés du général Michael Flynn, ancien conseiller de Trump à la sécurité nationale. Flynn a été renvoyé en février sur des allégations qu’il aurait trompé la Maison Blanche au sujet des conversations qu’il a eu avec l’ambassadeur de Russie aux États-Unis concernant les sanctions imposées par le président Obama en représailles à l’ingérence supposée de la Russie dans les élections américaines.

Il a également été rapporté que la commission de renseignement du Sénat, qui mène sa propre enquête sur les accusations de piratage russe, a envoyé une demande au Trésor pour les dossiers financiers des associés de Flynn. Enfin, les membres du Congrès rapportent que Comey leur a dit qu’il avait envoyé une demande au substitut du procureur général Rosenstein la semaine dernière pour plus d’argent afin de mener l’enquête du FBI.

Comey devait témoigner jeudi devant la commission sénatoriale de renseignement. Trump était déjà enragé par son témoignage au Congrès du 20 mars, dans lequel Comey avait annoncé que le FBI mènerait une enquête sur les allégations de piratage russes, y compris les accusations de collusion entre la campagne de Trump et le Kremlin. Trump aurait également été indigné de l’incapacité de Comey à soutenir son affirmation selon laquelle Obama avait mis les téléphones du siège de sa campagne à la Trump Tower sur écoute.

Mercredi matin, le chef des démocrates (minoritaires) du Sénat, Charles Schumer, a pris l’initiative inhabituelle d’inviter tous les sénateurs démocrates à être présents pour l’ouverture de la session. Le leader de la majorité républicaine, Mitch McConnell, a ouvert la session et a catégoriquement exclut la désignation d’un procureur spécial ou d’une autre forme d’enquête indépendante.

En réponse, Schumer s’adressant au Sénat a demandé : « Est-ce que ces enquêtes touchaient de trop près le président ? »

Schumer a appelé à des séances d’information distinctes et, le cas échéant classifiées, de tous les sénateurs par le procureur général Jeff Sessions et le substitut Rosenstein pour répondre aux questions sur le renvoi de Comey, ainsi qu’une séance plénière de sénateurs pour interroger Comey. Il a demandé qu’un procureur spécial soit nommé, non par une personne proche de Trump au ministère de la Justice, mais plutôt par un haut fonctionnaire de carrière du ministère. Ensuite les démocrates ont suspendu toutes les audiences des commissions, ce qui a pratiquement mis fin à toute activité au Sénat pour la journée.

Le président du Comité national démocrate, Tom Perez, a parlé à des centaines de personnes lors d’un rassemblement devant la Maison Blanche organisé par Moveon.org qui brandissaient des drapeaux russes et des pancartes disant « Libérez Comey ! » Il a traité le renvoi de Comey de « pire que le massacre de samedi soir » (une référence au scandale de Watergate de Nixon) et a déclaré que le Sénat devrait bloquer la confirmation de tout remplacement jusqu’à ce que le gouvernement accepte de nommer un procureur spécial pour enquêter sur les liens de Trump avec la Russie.

Les représentants supposés de « la gauche » du Parti démocrate, les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren, se sont précipités pour se solidariser avec la chasse aux sorcières anti-Russie. Sanders a publié une déclaration disant : « Nous avons besoin d’une enquête indépendante sur les liens de la campagne de Trump avec la Russie ». Warren a accordé un entretien à CNN dans lequel elle a attaqué Trump pour ses liens avec « l’ennemi » russe et a rajouté l’accusation complètement infondée que le gouvernement russe était derrière le piratage de la campagne d’Emmanuel Macron en France juste avant le second tour, et préparerait des efforts similaires pour manipuler les prochaines élections en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Dans la plupart des cas, les médias ont adopté des positions similaires, une exception notable étant le Wall Street Journal, qui a défendu le renvoi de Comey. Le New York Times a publié un éditorial mardi soir sous le titre « Le renvoi de Comey par Trump est lié à l’enquête sur la Russie. » Le Times a écrit, « M. Comey a été limogé parce qu’il menait une enquête active qui pourrait faire tomber un président. »

Le Washington Post a été encore plus strident, concluant son éditorial d’un appel de mauvais augure à une commission indépendante pour « non seulement […] déterminer si quelqu’un doit être accusé d’un crime, mais développer une image complète des capacités et intentions russes, ainsi que des recommandations pour monter d’une défense de la démocratie américaine. »

Il y a eu des défections républicaines importantes de la position de soutien total à Trump pris par le leader de la majorité sénatoriale républicaine McConnell et le président de la Chambre Paul Ryan. Un certain nombre de sénateurs, y compris le président républicain de la commission du renseignement, Richard Burr, ont déclaré qu’ils étaient « perturbés » par le calendrier choisi pour le renvoi de Comey. Mais seulement Lindsey Graham, qui a soutenu le renvoi, a rejoint John McCain, qui l’a dénoncé, en appelant à une commission spéciale du Congrès pour enquêter sur les liens allégués entre Trump et Moscou.

Lors d’une conférence de presse de la Maison Blanche mercredi après-midi, la secrétaire adjointe à la presse Sarah Huckabee Sanders a nié que le renvoi de Comey avait quelque chose à voir avec l’enquête sur la Russie. En réponse aux questions sur son calendrier, elle a déclaré que Trump envisageait de renvoyer Comey dès son élection – une affirmation qui contredit complètement de nombreuses déclarations de Trump et de ses porte-parole exprimant une confiance totale dans le directeur du FBI.

Un « grand catalyseur » pour la décision finale fut, d’après elle, le témoignage de Comey le 3 mai devant la commission judiciaire du Sénat, dans lequel il a défendu sa décision en juillet dernier d’organiser sa propre conférence de presse sur l’enquête des courriels de Clinton sans même en informer le procureur général ou d’autres responsables du ministère de la Justice. En traitant ce contournement des canaux normaux d’« atrocité », elle a déclaré : « M. le directeur Comey a fait une révélation assez surprenante selon laquelle il avait essentiellement pris un bâton de dynamite et l’a jeté dans le ministère de la Justice en contournant la chaîne de commandement ».

C’était peut-être sa seule déclaration qui sonnait vrai. Il est tout à fait plausible que Trump ait été alarmé par le témoignage de Comey, l’interprétant comme un signal qu’il n’allait pas s’incliner devant la pression de la Maison Blanche pour freiner son enquête, incitant Trump à passer à l’action.

(Article paru en anglais le 11 mai 2017)

 

 

 

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