La grève de la construction au Québec secoue l'élite dirigeante canadienne

Les 175.000 travailleurs syndiqués de la construction ont déclenché une «grève générale illimitée» mercredi matin, paralysant les chantiers de construction industriels, commerciaux, institutionnels, de la voirie et résidentiels partout dans la province. 

Même si la grève est menée par une coalition de syndicats de droite, qui ne sont pas moins déterminés que les employeurs et le gouvernement à y mettre rapidement fin, la mobilisation du pouvoir industriel d'une section importante de la classe ouvrière a secoué l'établissement. 

Les médias, les représentants du gouvernement et des employeurs se plaignent des conséquences économiques de la grève. Selon eux, la grève «coûte» chaque jour 45 millions $ au Québec. 

La semaine dernière, le premier ministre Philippe Couillard a pratiquement annoncé officiellement que son gouvernement du parti libéral rendrait illégale toute grève des travailleurs de la construction, tout comme le gouvernement du Parti Québécois l'avait fait en 2013. Il a dit lors d'une conférence de presse que si un «aspect vital» de l'économie québécoise était paralysé, il ne «resterait pas les bras croisés».

Mercredi, le premier ministre a été encore plus explicite. En visite officielle en Israël, Couillard a dit que son gouvernement présenterait une loi de retour au travail à l'Assemblée nationale si la grève ne prenait pas fin bientôt. «Il faut absolument que j'envoie ce signal-là très tôt, a dit Couillard, parce que c'est l'économie du Québec qui est en jeu et c'est l'intérêt supérieur du Québec qui est en jeu.» 

Les travailleurs de la construction font face à des demandes de concessions radicales de la part des employeurs. Entre autres: 

• L'annulation du paiement des heures supplémentaires pour le travail le samedi, si, en raison du mauvais temps, un travailleur n'a pas fini ses 40 heures de travail pendant la semaine régulière de 5 jours; 

• La réduction du taux de rémunération pour les 4 premières heures supplémentaires, de temps double à temps et demi; 

• Le prolongement de la plage horaire pendant laquelle les travailleurs pourraient devoir commencer le travail, qui est de 6h à 9h actuellement pour passer de 5h à 11h;

• Une convention collective de 5 ans avec des augmentations de 0,7% par année. Cela reviendrait à une baisse substantielle des salaires réels pendant la durée de vie de la nouvelle convention. L'inflation se trouve en ce moment à près de 2% par année. 

Mercredi, la ministre du Travail Dominique Vien a rencontré en commun les représentants du groupe de négociation de l'employeur et de l'Alliance syndicale de la construction. À la fin de la réunion, Vien a dit que les deux parties étaient d'accord pour reprendre les négociations, mais elle a réitéré la menace d'une loi «spéciale» de retour au travail du premier ministre Couillard. «Nous n’en sommes toujours pas à déposer une loi spéciale, a déclaré Vien, mais je serai prête à le faire si le premier ministre me demande de présenter la loi spéciale au conseil des ministres.»

Manifestement, le gouvernement espère que les syndicats s'occupent eux-mêmes de mettre fin à la grève, ce qui lui permettrait de ne pas se ranger si ouvertement du côté des employeurs.

En 2014, tandis que le gouvernement libéral nouvellement élu déclarait publiquement qu'il n'allait pas tolérer de grève des travailleurs de la construction, les syndicats avaient négocié en douce des ententes au rabais.

Selon le porte-parole de l'Alliance Michel Trépanier, les syndicats avaient fait des concessions aux patrons lors d'un blitz de négociation plus tôt cette semaine, à l'insistance d'une médiatrice nommée par le gouvernement. «On avait décidé d’accepter les recommandations de la médiatrice, a dit Trépanier à Radio-Canada, pas que ça nous faisait plaisir, mais pour éviter un conflit. On espérait un oui de la partie patronale. Ça a été un non catégorique.»

«La médiatrice, a ajouté Trépanier, est revenue à la charge avec une deuxième proposition de règlement, on a accepté de nouvelles concessions, mais on s’est fait niaiser par la partie patronale» jusqu'à la toute dernière minute.

Le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) Daniel Boyer et d'autres chefs syndicaux se plaignent que les employeurs comptent sur le gouvernement libéral pour mettre un terme à la grève.

En réalité, Boyer et le reste de la bureaucratie syndicale savaient très bien depuis le début que l'intervention de l'État serait au cœur de la stratégie de négociation des patrons de la construction. Mais ils ont décidé de ne pas dire au mot sur cette menace, de la même façon qu'ils maintiennent les travailleurs dans l'ignorance à propos de tous les autres aspects des négociations.

Depuis des décennies, les gouvernements au Québec et à travers le Canada ont recours aux fameuses lois de retour au travail pour criminaliser toute résistance des travailleurs et imposer des ententes au rabais, que ce soit directement par un décret du gouvernement, ou bien par l'intermédiaire d'un arbitre nommé par le gouvernement.

Et en pratique, les syndicats font respecter ces lois. Qu'il s'agisse de Postes Canada en 2011, de la construction au Québec en 2013 ou des négociations du secteur public québécois en 2015, pour ne nommer que ces exemples, les syndicats ont gardé le silence radio sur les préparatifs du gouvernement pour criminaliser tout mouvement de revendication des travailleurs. Ils ont utilisé ensuite l'imposition de la loi, ou la menace imminente qu'elle représentait, pour saboter la lutte et dire aux travailleurs qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de retourner au travail ou accepter les ententes au rabais.

La grève de la construction au Québec fait partie d'une montée des luttes ouvrières au Canada et internationalement. Après des années d'austérité et de conventions collectives bourrées de concessions, un sentiment de militantisme et d'opposition à la grande entreprise et au capitalisme grandit chez les travailleurs et les jeunes.

Pour que cette contre-offensive se développe, les travailleurs doivent rompre politiquement et de façon organisationnelle avec les syndicats procapitalistes. Au cours des trois dernières décennies au Canada, et à travers le monde, les syndicats sont devenus des prolongements de la grande entreprise, dont les fonctionnaires grassement payés collaborent étroitement avec le patronat et ses gouvernements pour étouffer la lutte des classes.

Cela fait cinq ans ce mois-ci que des centaines de milliers de travailleurs au Québec sortaient dans les rues pour appuyer les étudiants en grève de la province et s'opposer à la loi 78, un projet de loi visant à casser la grève et criminaliser toute manifestation sur n'importe quel enjeu. Durant des semaines, les syndicats ont fait pression sur les étudiants pour qu'ils mettent fin à leur grève militante contre la hausse des frais de scolarité universitaires. Craignant le développement d'un mouvement de masse contre l'austérité, qui aurait menacé la position «concurrentielle» du capitalisme québécois et canadien, ils ont porté le coup fatal.

La FTQ a déclaré que la grève étudiante était terminée, le parfait exemple de cette position étant son slogan «De la rue, aux urnes». Le syndicat a redoublé d'efforts pour détourner l'opposition aux politiques d'austérité du gouvernement libéral Charest derrière le Parti Québécois (PQ) propatronal. De plus, le président de la FTQ Michel Arsenault avait écrit secrètement aux syndicats du Canada anglais, leur disant de n'appuyer d'aucune façon les étudiants en grève. Au même moment, le Nouveau Parti démocratique (NPD) allié des syndicats a refusé d'appuyer même symboliquement les étudiants et n'a pas voulu condamner la loi 78 sous prétexte que c'était une question d'ordre provincial.

L'isolement de la grève étudiante et sa liquidation par les syndicats, qui l'ont finalement enchaînée au PQ, ont permis à l'élite dirigeante de restabiliser rapidement la situation et au cours des cinq dernières années, d'abord sous un gouvernement péquiste en ensuite libéral à Québec, et sous Harper et ensuite Trudeau à Ottawa, d'intensifier considérablement l'assaut contre la classe ouvrière.

Pour vaincre les demandes de concessions des patrons de la construction et la loi antigrève du gouvernement Couillard, les travailleurs de la construction doivent s'emparer de la direction de leur lutte en opposition aux appareils syndicaux et lutter pour mobiliser l'appui des travailleurs à travers le Canada et internationalement. Bien que les syndicats vont prétendre que les travailleurs sont isolés et impuissants devant le gouvernement, ils pourraient gagner un appui de masse, et le gagneraient, s'ils faisaient de leur grève contre les concessions le fer de lance d'une offensive industrielle et politique de la classe ouvrière contre l'austérité capitaliste et pour défendre des emplois aux salaires décents, les services publics et les droits des travailleurs.

(Article paru en anglais le 25 mai 2017)

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