La Chine lance officiellement son initiative internationale Belt and Road

Le forum international sur la Belt and Road Initiative (BRI - ceinture et route) de deux jours, qui s’est conclue hier à Beijing, a souligné les changements et les conflits dans les relations géoéconomiques et politiques résultant de la montée en puissance de la Chine devenue la deuxième économie mondiale.

Bien qu'il ait reçu peu d'attention dans les médias, le fait que les États-Unis n'étaient qu'un peu plus qu'un petit joueur lors d'un rassemblement économique, adoubé par certains comme l'avancement de l'équivalent au 21e siècle du plan Marshall d'après-guerre, souligne le déclin historique de leur position économique.

Le forum, qui comprenait les chefs de 28 États et des représentants de 100 pays, a été le lancement international du projet d’« une ceinture, une route » qui avait été annoncée par le président chinois Xi Jinping en 2013.

En évoquant l'histoire de la Route de la Soie de l'époque médiévale, le BRI envisage la construction d'une série de ports, de lignes de chemin de fer et de routes reliant les principaux centres économiques de Chine à l'Europe.

Le forum a été organisé dans un complexe à 1 milliard de dollars construit au nord de Pékin et a été accompagné d'une campagne de publicité massive par le gouvernement chinois.

En ouvrant le rassemblement dimanche, Xi a eu deux objectifs : gagner un soutien international pour le BRI, qui prévoit une dépense de plus de mille millions de dollars sur les projets d'infrastructure, renforçant ainsi la position mondiale de la Chine et la consolidation du soutien domestique pour son régime lorsqu'il entre dans son deuxième mandat en tant que président.

« Les anciennes routes de la soie, en s’étendant sur des milliers de kilomètres et des années, incarnent l'esprit de paix et de coopération, l'ouverture et sa nature inclusive, l'apprentissage mutuel et les bénéfices », a-t-il déclaré en faisant de l'initiative le « projet du siècle ».

« Nous devrions favoriser un nouveau type de relations internationales mettant en vedette une coopération gagnant-gagnant ; et nous devrions forger des partenariats de dialogue sans confrontation et d'amitié plutôt que d'alliance ».

Dans des conditions où la Russie et la Chine sont confrontées à une pression croissante des États-Unis, le président Vladimir Poutine a siégé à la place d'honneur parmi les représentants internationaux lors de l'ouverture du forum.

Xi a déclaré à son homologue russe que leurs pays étaient la « pierre de ballast » de la stabilité mondiale. Derrière les sourires et les poignées de main, il y a des tensions entre les deux puissances. La Russie a son propre plan pour étendre son influence économique et politique en Asie centrale et dans les anciennes républiques de l'Union soviétique sous son Union économique eurasienne et craint qu'elle puisse être subordonnée au BRI.

Xi et Poutine ont cherché à garder ce sujet-là en arrière-plan, avec Poutine soulignant que les projets chinois et russes étaient complémentaires et que l'intégration eurasienne est un « projet de civilisation pour l'avenir ».

Pour sa part, Xi a déclaré que le BRI ne visait pas à réduire les initiatives d'autres pays. Outre le projet de l'EEU russe, la Turquie a un plan visant à relier les États de langue turque dans un soi-disant « Couloir intermédiaire ».

Xi a insisté sur le fait que le projet chinois n'était pas destiné à remplacer les partenariats existants. « Le but de "une Ceinture et une Route" n'est pas de réinventer la roue. Plutôt, il vise à compléter les stratégies de développement des pays impliqués ».

Cependant, pour tous les mots de Xi sur la nécessité d'une plus grande ouverture, de la coopération, du rejet du protectionnisme, de la nécessité de développer des résultats gagnant-gagnant, ainsi que des garanties selon lesquelles la Chine se préoccupe du développement pour tous, les tensions internationales ont fait ressentir leur présence.

Le Japon, la deuxième plus grande économie de la région asiatique, a boycotté le forum en le considérant comme un moyen par lequel la Chine cherche à renforcer son pouvoir régional et mondial.

L'Inde a également boycotté le forum en raison de ce qu'elle a appelé des « problèmes de souveraineté ».

Ceux-ci concernent la décision chinoise de nommer un projet portuaire à 50 milliards de dollars le Corridor économique de la Chine et du Pakistan (CPEC). Celui-ci part du Xinjiang vers le Gwadar, et traverse des régions du Cachemire occupées par les Pakistanais et revendiquées par l'Inde. La rebuffade des Indiens est venue après des efforts considérables des Chinois pour assurer leur participation, en donnant l'assurance qu'ils respecteraient des décisions internationales sur la question du Cachemire.

Le porte-parole des Affaires extérieures, Gopal Baglay, a déclaré que le CPEC était promu comme une initiative phare du projet « Une Ceinture, Une Route » et que « aucun pays ne peut accepter un projet qui ignore ses principales préoccupations en matière de souveraineté et d'intégrité territoriale ». L'investissement chinois renforcera le Pakistan économiquement.

Les chefs d'État qui ont assisté à la réunion sont issus de pays moins développés avec les grandes puissances envoyant des représentants moins importants, reflétant à la fois des préoccupations quant à savoir si le projet se concrétisera réellement et tout en recherchant en même temps la meilleure position pour exploiter les avantages économiques qui pourraient en résulter.

L'Allemagne, qui est considérée comme un acteur clé de l'initiative en raison de sa position de principale économie européenne à la tête de la nouvelle Route de la Soie, a envoyé la ministre de l'Économie et de l'Énergie, Brigitte Zyrpies. Elle était accompagnée d'une importante représentation des grandes entreprises allemandes.

Mais elle a exprimé des réserves au sujet du projet, en disant tout d'abord que l'Allemagne ne signerait pas une déclaration commune, à moins que certaines garanties exigées par l'Union européenne sur le libre-échange et la mise en place d'un « terrain de jeu équitable » soient respectées.

« L'Allemagne veut participer, mais les offres doivent être ouvertes à tous ; c’est seulement ainsi que les entreprises allemandes participeront », a-t-elle déclaré. « Il faut également que ce qui va réellement être construit soit bien défini. À ce stade, ce n'est pas clair. »

Elle a aussi noté que les restrictions chinoises à la possibilité pour les entreprises étrangères d'acheter des actifs étaient également un problème. « Nous voulons que les entreprises allemandes puissent opérer en Chine de la même manière que les entreprises chinoises le peuvent en Allemagne ». Mais à ce stade, il n'y a pas de calendrier clair pour le démantèlement des restrictions.

En l'occurrence, l'Allemagne, ainsi que d'autres puissances européennes, y compris la Grande-Bretagne, n'ont pas signé un communiqué sur le commerce en raison des préoccupations concernant la transparence sur les achats ainsi que les normes sociales et environnementales. Les responsables européens s'inquiètent également de la croissance de l'influence chinoise en Europe centrale et orientale.

Bien qu'elle ait rejoint d'autres pays européens pour exprimer des réserves sur la façon dont elle fonctionnerait, la Grande-Bretagne a exprimé son soutien général au projet. Sa délégation était dirigée par le chancelier de l'échiquier au gouvernement de May, Philip Hammond, qui était accompagné de représentants des banques et institutions financières britanniques.

En mars 2015, le Gouvernement conservateur de David Cameron a défié la pression des États-Unis et de ses propres agences de sécurité et a décidé de se joindre à la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) financée par les Chinois, une décision qui reflète les intérêts de la City de Londres (la bourse) dans l'exploitation de toutes les occasions favorables qui pourraient s'ouvrir.

Et ces intérêts étaient fortement affichés de nouveau au forum BRI. Sherry Madera, conseillère spécial de la City de Londres pour l'Asie, a déclaré que Londres pourrait jouer un rôle clé dans le financement de l'initiative.

Elle a dit que pendant que le Royaume-Uni parlait de Brexit, l'Asie parlait d'affaires.

« Nous avons toujours été un centre financier mondial. Les banques et les investisseurs des États-Unis, du Moyen-Orient et d'Asie y sont facilement accessibles à pied, et c'est l'écosystème de Londres. C'est ce qui en fait de loin le centre financier mondial le plus important, bien plus que celui de Hong Kong ou de New York. »

Initialement, les États-Unis avaient décidé d'envoyer seulement un responsable mineur au forum, mais compte tenu de la taille du rassemblement et du fait que les pays d'Asie du Sud-Est ont participé, il a décidé d'améliorer sa représentation, en envoyant Matt Pottinger, le directeur principal pour l’Asie de l'Est au Conseil national de sécurité.

Des sections puissantes de l'establishment politique américain considèrent la Chine et ses initiatives économiques comme la menace la plus importante pour la position mondiale des États-Unis.

Ces points de vue ont été reflétés dans un article d'opinion publié sur Fox News par John Moody dans le forum intitulé « La menace soyeuse de la Chine pour la prépondérance américaine ».

Il a déclaré que tandis que les talk-shows de dimanche étaient obsédés par Trump et le chef du FBI licencié, James Comey, la Chine organise un rassemblement de haut niveau « qui lancera le plus grand défi jamais articulé contre la place de l'Amérique dans l'économie mondiale ». L'initiative était « une tentative ouverte de s’emparer de la prépondérance économique mondiale des États-Unis » en reliant des partenaires commerciaux émergents à Pékin « en leur offrant un accès au vaste marché de consommation de la Chine ».

Si l’on met de côté le potentiel des conflits internationaux déclenchés par le projet, le régime de Xi fait face aussi à des problèmes dans l'économie chinoise elle-même.

Le projet est largement considéré dans les milieux dirigeants non seulement comme un moyen d'étendre la position mondiale de la Chine, mais aussi comme un débouché pour l'excédent de capacité industrielle.

Mais, dans quelle mesure les entreprises chinoises et des institutions bancaires ont-elles la volonté d'investir dans des projets, qui pourraient ne pas leur donner un rendement suffisant, et d'où ils pourraient même subir des pertes, c’est une autre question.

À la veille du forum, le Financial Times a déclaré que l'investissement dans les projets BRI a diminué l'année dernière « suscitant des doutes quant à savoir si les entreprises commerciales se sont bien engagées dans une stratégie pour une nouvelle Route de la Soie définie autant par la géopolitique que par la recherche de profit. »

Selon le rapport, l'investissement étranger direct en provenance de Chine vers des pays identifiés comme faisant partie du BRI a diminué de 2 pour cent en 2016, ce qui représente 18 % de plus cette année. Il a cité des banquiers et des représentants d'entreprises d'État qui se sont plaints que le gouvernement les pressait pour entreprendre des projets BRI qui n'étaient pas rentables.

Ce développement souligne un conflit entre les motivations du régime pour favoriser le projet dans l'intérêt de ses préoccupations politiques nationales et internationales et la logique du marché, qui pousse les investissements vers les économies les plus développées.

Il ne fait aucun doute que l'unification de la masse continentale eurasienne à travers les systèmes de transport les plus modernes pourrait apporter un progrès économique important.

Mais dans un ordre socio-économique mondial dominé par le combat pour le profit privé, conjugué aux objectifs divergents des Etats-nations capitalistes et des grandes puissances impérialistes, le projet est déjà devenu un imbroglio d'intérêts conflictuels.

(Article paru d’abord en anglais le 16 mai 2017)

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