Diffamation des réfugiés

Un journal allemand publie un article faux sur des « agressions sexuelles de masse »

Dans son édition régionale de Francfort du 6 février, le journal Bild avait publié un article intitulé « 37 jours après le nouvel an, les victimes brisent le silence – agressions sexuelles de masse rue Freßgass » – une longue rue piétonne de la ville. La nouvelle se répandit rapidement mais se révéla être un tissu de mensonges.

Le reportage s’était articulé autour du témoignage d’un sympathisant du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), Jan Mai, un propriétaire de bistro. S’appuyant sur les propos de Mai, le journaliste de Bild, Stefan Schlagenhaufer, avait écrit qu’une foule de « 900 réfugiés pour la plupart ivres » avait semé le chaos le soir de la Saint-Sylvestre, en volant et en harcelant sexuellement ceux qui voulaient faire la fête.

L’article rapportait que des dizaines d’hommes étrangers avaient envahi le bar de Mai, le First-In, où ils auraient agressé des femmes et dérobé plusieurs vestes.

Le tabloïd a cité Mai comme suit : « Lorsque je suis arrivé, tout le local était rempli d’un groupe d’environ 50 Arabes. Ils ne parlaient pas allemand, ils buvaient les boissons des clients et dansaient de manière provocante. Les femmes m’ont appelé à l’aide parce qu’elles étaient attaquées. L’ambiance avait complètement changé. » Même deux heures plus tard selon lui, il y avait encore eu des « problèmes avec les masses de réfugiés » devant le bar.

Bild a également cité un témoin, la femme d’affaires Irina A., qui a dit avoir été sexuellement harcelée dans le bar par « une cinquantaine d’Arabes », des « masses de réfugiés », « 900 réfugiés pour la plupart ivres. » Le vocabulaire utilisé par Bild est exactement celui associé à l’extrême droite AfD et au mouvement Pegida. Le reportage du Bild fut ensuite repris par de nombreux autres organes de presse, dont la chaîne de télévision Sat.1, le journal d’ultra-droite Junge Freiheit et l’édition britannique de Breitbart News en Grande-Bretagne.

Des articles à sensation apparurent dans des journaux et des quotidiens « sérieux » comme le Frankfurter Rundschau, le Frankfurter Allgemeine Zeitung et le Offenbacher Post.

Le lendemain, le Frankfurter Neue Presse et le Frankfurter Allgemeine Zeitung publiaient des commentaires critiques en faisant référence à « Une agression sexuelle de masse que personne n’a vue » (FAZ). Cependant, ces mensonges avaient déjà été rapidement diffusés sur Facebook et Twitter par des groupes d’extrême-droite.

Ce reportage falsifié a fait le jeu des principaux politiciens locaux. Christoph Schmitt (CDU) a protesté contre « les inconvénients de la politique à l’égard des réfugiés », c’est-à-dire « les masses d’hommes […] qui rendent la ville dangereuse ». Il a réclamé « davantage de police dans les rues et une vidéosurveillance mobile. »

Stephanie Wüst, du groupe FDP (Parti libéral démocrate) au parlement de Francfort, a convenu : « L’État devrait punir les auteurs avec toute la sévérité de la loi et ne pas avoir peur des expulsions ». Bild, publia un nouvel article en exigeant hystériquement : « Tolérance zéro ! Surveillance vidéo ! Plus de police ! »

La police de Francfort n’a toutefois pu trouver aucune preuve des incidents allégués. Elle ouvrit une enquête qui s’avéra infructueuse. Lorsque la police interrogea les gens vivant dans le quartier concerné, elle ne put rien trouver pour étayer les allégations de Mai.

La police a ensuite fait appel au procureur, qui a entrepris des enquêtes sur les témoins cités par le journal Bild. Une perquisition de l’appartement d’Irina A., le principal témoin du reportage, ils ont découvert des billets d’avion et autres preuves montrant qu’elle avait passé la Saint-Sylvestre à Belgrade. La femme, qui avait prétendu que des hommes étrangers l’avaient « touchée partout » au First-In, a dû admettre qu’elle n’était pas à Francfort le soir du Nouvel An.

Moins d’une semaine après, l’édifice mensonger s’effondrait et la police reconnut que suite à leurs « enquêtes intensives et approfondies », l’article du Bild « manquait de fondement ». Toute l’histoire des réfugiés qui s’étaient déchaînés le soir du réveillon à Francfort était fabriquée de toutes pièces.

Le 16 février, le Bild-Zeitung a dû s’excuser publiquement pour les « reportages mensongers et les accusations portées contre les personnes touchées. » Mais l’histoire avait déjà été colportée dans le monde entier.

Le 23 février, le New York Times écrivait : « L’histoire de la horde d’hommes arabes déchaînant leur furie dans les rues huppées de Francfort en agressant sexuellement les femmes allemandes a dû être irrésistible au point que Bild, un journal à grand tirage, l’a publié au début du mois sans une vérification minutieuse au préalable. »

Le Bild-Zeitung a indirectement admis cette critique. Julian Reichelt, le directeur de la rédaction, a dit au Tagesspiegel de Berlin : « Le reproche [formulé à l’encontre du journal] que nous n’avions pas signalé les incidents concernant les réfugiés est, apparemment devenu la motivation de ce reportage. »

Bild s’était fié à un « témoin » qui a été facilement identifiable comme un adepte de l’AfD. Sur sa page Facebook (qu’il a maintenant supprimée), Mai avait publié des commentaires haineux contre les réfugiés en louant l’AfD. Après que l’AfD a obtenu plus de 14 pour cent lors du récent vote à Berlin, il avait écrit : « Continuez le bon travail, AfD. » Il avait également posté une vidéo ultra-droite intitulée « Merkel doit partir. »

Le propriétaire du groupe gastronome MAI Gastro Group GmbH appartient à une couche d’arrivistes qui semblent avoir été encouragés par la montée de Donald Trump et les « faits alternatifs » invoqués par sa porte-parole Kellyanne Conway. Mai possède un certain nombre de bars, de restaurants et d’établissements de luxe à Francfort et dans les environs, ainsi que de nombreuses autres propriétés immobilières. Il avait servi auparavant pendant deux ans comme soldat de métier dans un régiment de parachutistes.

Le dévoilement de son histoire et les mensonges répandus par le Bild jette un éclairage supplémentaire sur le présumé harcèlement sexuel de masse des femmes survenu la veille du Nouvel An 2015 et 2016 à Cologne. Les prétendues attaques de 2015 furent le prétexte à une campagne xénophobe sans précédent et à un renforcement de l’appareil d’État et ce bien qu’il n’existe à ce jour aucune preuve formelle que de telles agressions de masse ont eu lieu.

L’année suivante, des milliers de policiers furent mobilisés à Cologne et des nouvelles alarmantes furent alors diffusées sur les agissements de centaines de soi-disant « Nafris » (terme raciste utilisé par la police pour « délinquants multirécidivistes nord-africains »). La police avait sélectionné des personnes sur la base de critères racistes. Elle avait retenu plusieurs centaines de jeunes hommes dans un cordon policier en ne leur permettant pas d’entrer dans le centre-ville.

Par la suite, la police dut s’excuser et rectifier ses déclarations. La police avait tout d’abord parlé d’environ 2000 « jeunes gens d’apparence nord-africaine » qui étaient venus à Cologne. Plus tard, elle a admis n’avoir identifié que 674 suspects, dont 30 seulement en provenance d’Afrique du Nord !

Les événements qui s’étaient passés la veille du Nouvel An 2015 dans la ville de Hambourg avaient également été falsifiés et exagérés. Le 1ᵉʳ novembre 2016, une juge du tribunal de grande instance de Hambourg a acquitté les trois derniers accusés en portant de graves accusations contre le travail d’enquête mené par la police et le parquet.

L’image médiatique de « hordes criminelles et dangereuses d’étrangers qui importunent les femmes et les jeunes filles allemandes » fait partie de l’arsenal de l’extrême droite et sert de propagande à la construction d’un État autoritaire.

(Article original paru le 1ᵉʳ mars 2017)

 

 

 

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