Trump intensifie sa politique de guerre commerciale

L’allocution prononcée vendredi par le président américain Trump devant la Conservative Political Action Conference (CPAC) très à droite, a permis d’approfondir la politique de guerre commerciale qui est au cœur des politiques économiques de son administration – programme qui a déjà provoqué des avertissements sur ses conséquences dévastatrices pour l’économie mondiale.

Elle a été immédiatement suivie d’un rapport dans le Financial Times (FT) que l’administration a demandé au bureau du Représentant commercial américain d’établir une liste de mécanismes qui pourraient être utilisés pour imposer unilatéralement des sanctions commerciales contre la Chine et d’autres pays.

Selon l’article, des personnes qui en ont été informées ont dit que le but était de trouver des moyens de contourner les procédures de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui régissent les relations commerciales internationales depuis 1995. Si elles étaient couronnées de succès, de telles manœuvres pourraient conduire à l’éclatement d’une guerre commerciale.

Cela est dans la droite ligne remarques de Trump sur le commerce au CPAC. Comme toutes ses déclarations publiques, il ne s’agissait pas tant d’un discours que d’une diatribe, dénonçant les accords commerciaux du passé qui selon Trump sont la cause du déclin de la performance économique du capitalisme américain. Et sur fond de chants de « USA, USA » de la foule, cela a été assorti d’un engagement à réaliser « l’un des plus grands renforcements militaires de l’histoire américaine. »

Expliquant les raisons de sa décision de se retirer du Partenariat trans-Pacifique (PTP) entre 12 nations, négocié sous Obama, Trump a exposé la façon dont il envisage des négociations commerciales à l’avenir.

« Nous allons passer des accords commerciaux, mais nous allons le faire un par un […] et s’ils se comportent mal, nous mettons fin à l’accord. Et puis ils vont revenir et passer un meilleur accord. Rien à faire de ces gros marchés marécageux qui sont un désastre. »

Dans son audition de confirmation comme secrétaire du commerce, Wilbur Ross a élaboré l’avis de l’administration sur les accords multilatéraux. Pour lui, les négociations avec 12 pays, comme dans le PTP, impliquent des concessions qui, en retour, prennent « un petit morceau » aux États-Unis. « Continuez à le faire 12 fois. Vous obtenez beaucoup de morceaux », a-t-il dit.

La politique de « l’Amérique d’abord » ne s’applique pas seulement au commerce. Bloomberg a indiqué que dans les discussions tenues jeudi dernier le secrétaire du Trésor Mnuchin a déclaré au gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, que l’administration Trump favoriserait les intérêts nationaux américains dans toute discussion sur la réglementation financière.

Selon un communiqué publié par le Trésor américain sur les négociations, Mnuchin a fait remarquer que « l’un des principes fondamentaux de l’administration pour la réglementation financière est de promouvoir les intérêts américains dans les négociations de réglementation financière internationale ». Cette déclaration fait écho à un décret émis par Trump le 3 février qui a décidé que les États-Unis « défendraient les intérêts américains dans les négociations et les réunions internationales sur la réglementation financière ».

Cette affirmation stridente du nationalisme économique américain n’est pas seulement dirigée contre le TPP et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec le Canada et le Mexique, que Trump dit vouloir renégocier. Comme le montre le reportage du FT, le programme du gouvernement est beaucoup plus large. Au cours de la campagne électorale, Trump a qualifié l’OMC de « catastrophe », menaçant que les États-Unis se retirent de l’organisation si elle n’acceptait pas l’imposition de taxes à l’importation et d’autres mesures dirigées contre des pays considérés comme nocifs pour les intérêts économiques américains.

Le passage des États-Unis aux accords bilatéraux a également été le message que le principal stratège de Trump, Stephen Bannon, a adressé à l’Union européenne au début du mois. Selon un reportage de Reuters, il a déclaré à l’ambassadeur allemand à Washington qu’il considérait l’Union européenne comme un concept erroné et que l’administration Trump préférait les accords individuels.

En réponse à ce reportage, un responsable de l’UE a déclaré à Reuters : « Il semble n’y avoir aucune compréhension à la Maison Blanche qu’un détricotage de l’UE aurait des conséquences désastreuses. »

La Maison Blanche a confirmé que la réunion avait eu lieu, mais a déclaré que le compte-rendu de la conversation était inexact. Cependant, l’essentiel des propos de Bannon correspond aux remarques de Trump lors de la réunion de la CPAC.

Les ministres du commerce de l’UE tiennent une réunion informelle cette semaine où ils discuteront de leur réponse au nouveau programme commercial formulé à Washington au milieu des avertissements sur ses implications.

Plus tôt ce mois, le ministre français des Finances, Michel Sapin, a déclaré que l’administration Trump posait un « grave risque » pour le commerce international dans un discours à un rassemblement d’économistes internationaux à Paris. Il a dit que les États membres de l’UE devraient tenir tête à Trump pour empêcher « la dislocation de nos institutions économiques. »

« Ni la France, ni l’Europe ne pourront assister impuissantes, car nos institutions économiques risquent d’être disloquées […] En tant que le plus grand bloc commercial du monde, l’UE continuera à protéger et défendre ses propres intérêts et fera tout ce qu’il faut pour contrer les politiques commerciales de M. Trump. »

D’autres, dont la chancelière fédérale allemande Angela Merkel, ont déclaré que l’UE devra envisager des relations économiques plus étroites avec d’autres pays et régions si elle ne parvient pas à s’entendre avec les États-Unis.

La crainte dans les milieux européens et internationaux est que « l’Amérique d’abord », où le commerce serait conçu comme un jeu à somme nulle, aboutisse aux mêmes guerres commerciales qui ont aggravées la Grande Dépression des années 1930 et ont joué un rôle non négligeable dans la création des conditions pour l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale.

Vers la fin des années 1930, au fur et mesure qu’il devenait évident qu’une autre guerre mondiale était pratiquement inévitable, le secrétaire d’État du président Roosevelt, Cordell Hull, a conclu que l’une des raisons de la prochaine guerre était la formation de blocs commerciaux et économiques rivaux. Il a affirmé que des mécanismes devraient être mis en place pour assurer que cela n’ait pas lieu dans le monde d’après-guerre.

Après avoir battu militairement ses deux principaux rivaux, l’Allemagne et le Japon, et fait en sorte que la puissance économique hégémonique précédente, la Grande-Bretagne, soit saignée à blanc économiquement, les États-Unis ont utilisé leur position de domination économique mondiale sur le système capitaliste mondial pour établir un nouvel ordre économique fondé sur le libre-échange.

Cette politique pourrait être décrite comme relevant d’un intérêt égoïste bien compris. Elle reposait sur la reconnaissance que si les relations commerciales des années 1930 revenaient, cela aurait des conséquences désastreuses pour l’économie mondiale, y compris pour les États-Unis, qui dépendaient d’un marché mondial en expansion, entraînant d’énormes bouleversements sociaux qui portaient avec eux la perspective d’une révolution sociale, notamment en Amérique.

Sur la base de cette analyse, les États-Unis ont été les principaux instigateurs de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) qui est entré en vigueur en janvier 1948. Dans le but d’une réduction substantielle des barrières tarifaires et d’autres barrières commerciales et de « l’élimination des préférences », C’était le fondement du système commercial international d’après-guerre.

Le GATT n’a pas supprimé les tarifs douaniers, mais il a établi le principe selon lequel les concessions commerciales offertes par un pays ne pouvaient être sélectives ; si elles étaient accordées à un seul, elles devaient être accordées à tous. Il s’agissait d’essayer d’éliminer le type de traitement préférentiel qui avait conduit à la formation de blocs commerciaux dans les années 1930.

Les diverses négociations commerciales menées dans le cadre du GATT ont permis d’accroître le commerce mondial, ce qui a contribué à soutenir le boom économique de l’après-guerre. Le GATT a été remplacé par l’Organisation mondiale du commerce en 1995. Mais l’histoire de celle-ci a été sensiblement différente.

Les négociations ont débuté en 2001 sur un nouveau train de mesures de libéralisation des échanges – ce que l’on appelle le Cycle de Doha. Mais dans des conditions de diminution de la croissance mondiale, en particulier après la crise financière de 2008, elles ont calé, conduisant à l’abandon virtuel du Cycle de Doha en 2014. La rupture de l’établissement d’autres accords commerciaux a vu d’autres transactions commerciales impliquant des groupes de pays sélectionnés, dont l’ALENA et le PTP qui était en discussion, ce qui constituait une violation des principes établis en 1948.

En proposant le PTP, qui a délibérément exclu la Chine, l’administration Obama a maintenu que son but était de faire des États-Unis le centre d’un réseau de relations commerciales et d’investissement.

Bien avant l’accession de Trump à la présidence américaine, la montée des accords commerciaux limités et régionaux et la désintégration du cadre mondial du GATT-OMC avaient suscité de plus en plus de préoccupations du fait que le commerce mondial ressemble de plus en plus à un « embrouillamini » d’accords potentiellement conflictuels.

Comme tant d’autres orientations politiques, les mesures commerciales de l’administration Trump représentent à la fois une continuation de celles de ses prédécesseurs, mais aussi un changement qualitatif. Maintenant, même les accords multilatéraux doivent être mis au rebut et les États-Unis procéderont à des accords bilatéraux, avec la menace qu’ils soient déchirés dès qu’ils deviendront désavantageux pour les États-Unis et que le pays contractant soit forcé de conclure un nouvel accord selon les termes dictés par Washington. Et les mécanismes mis en place par l’OMC pour régler les différends seront tout simplement contournés.

Le programme de Trump a suscité de nombreuses inquiétudes quant à la trajectoire du système capitaliste mondial. Dans un commentaire du mois dernier sur l’allocution d’investiture de Trump, le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf, l’a qualifiée de « déclaration de guerre économique ».

« Une fois que la puissance hégémonique attaque le système qu’elle a créé, il n’y a que deux résultats qui semblent vraisemblables : l’effondrement ou la création d’un nouveau système autour d’une nouvelle puissance hégémonique », écrivait-il.

Tandis que Wolf n’a pas précisé les implications de son analyse, elles sont claires. Les deux voies mènent à la guerre. Dans le cas d’un effondrement, le système commercial descend dans une guerre économique de tous contre tous, dont la logique est que chacune des grandes puissances cherche à éliminer ses rivaux – finalement par des moyens militaires.

L’autre scénario, fondé sur l’établissement d’une nouvelle puissance hégémonique – Wolf a soulevé la perspective d’une alliance entre l’Europe et la Chine – va dans le même sens. Le remplacement d’une puissance par une puissance unique ou un groupe de puissances n’est aucunement une transition pacifique. Comme le montre l’histoire du XXᵉ siècle, le capitalisme mondial n’a jamais réglé la question de ses relations économiques fondamentales de cette manière, mais seulement par la guerre mondiale.

Le programme économique et commercial de Trump met le monde de nouveau sur cette voie, menaçant la destruction de la civilisation elle-même.

(Article paru en anglais le 28 février 2017)

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