Non au tournant vers la droite à l’université Humboldt!

L'université Humboldt de Berlin traverse un conflit politique dont l’importance dépasse largement le campus universitaire. Le professeur Jörg Baberowski, qui met régulièrement de l’avant des points de vue xénophobes, autoritaires et militaristes, recourt à la justice et mobilise des étudiants de droite pour étouffer toute critique de ses conceptions d’extrême-droite.

Si Baberowski devait avoir gain de cause, ce serait un coup dur pour la liberté d'expression et un pas supplémentaire dans la transformation de l'université Humboldt en un centre favorisant l’idéologie militariste de droite. Alors que Baberowski se sert de son poste de titulaire de la chaire d'histoire de l'Europe orientale pour propager des positions d'extrême droite à l'université et au-delà, les étudiants qui contestent ses points de vue risquent des sanctions et des blocages dans leur carrière professionnelle.

Il ne s’agit pas seulement ici d’un conflit à l'université Humboldt: des questions politiques fondamentales sont en jeu. Les attaques de Baberowski visant les réfugiés et ses appels à un État fort constituent désormais la politique officielle allemande. Les réfugiés sont discriminés et déportés, la police et les services de renseignement sont renforcés et le budget de la défense a été doublé. Des discussions publiques sont même en cours sur le rétablissement du service militaire et la nécessité pour l'Allemagne d'acquérir ses propres armes nucléaires.

De vastes couches de la population s'opposent à ces développements. Comme dans les années 1930, la concrétisation d'un tel programme exigerait une dictature. C'est pourquoi Baberowski se prononce en faveur d'un État fort, se félicite de l'élection de Donald Trump, soutient le parti d’extrême-droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) et fait l’éloge du juriste nazi et théoricien de l'état d'urgence, Carl Schmitt.

Comment Baberowski traite ses critiques

L’année dernière, Baberowski avait demandé une injonction temporaire contre le Comité général des étudiants (Asta, Allgemeiner Studierendenausschuss) de l’université de Brême, lui interdisant de citer et de critiquer certaines de ses déclarations droitières.

En octobre dernier, l'Asta de Brême avait appelé à une manifestation pacifique contre la présence du professeur de droite à l'université où il devait prendre la parole sur invitation de la fédération des étudiants chrétiens-démocrates (RCDS) de l’Université de Brême et de la Fondation Konrad Adenauer (KAS). L'Asta avait cité les prises de position de Baberowski à propos de la crise des réfugiés et de la «guerre contre le terrorisme», ce que l’organisation n’est désormais plus à même de critiquer ou de citer sous peine d’amende à hauteur de 250.000 euros. L'Asta a contesté cette ordonnance qui l’a contraint au silence, et le Tribunal de grande instance de Cologne est appelé à se prononcer sur l'affaire le 15 mars.

L'action engagée par le professeur de Humboldt contre l’organisation étudiante d’une autre université a suscité l'indignation. Le parlement étudiant de l'Université libre de Berlin et le FRIV (Fachschaftsräte-und-initiativenversammlung, regroupement interdisciplinaire de tous les conseils et initiatives d’étudiants de l’université Humboldt), ainsi que d'autres organisations étudiantes, ont protesté contre. A Brême, une centaine d'étudiants ont participé à une réunion de solidarité au cours de laquelle des représentants de l'IYSSE ont présenté un rendu compte du conflit avec Baberowski à Berlin. L'IYSSE a organisé une réunion de solidarité largement suivie, au cours de laquelle des représentants de l'Asta de l'Université de Brême venus à Humboldt se sont adressés à l’auditoire.

Baberowski a réagi à cette vague de solidarité par d’odieuses insultes personnelles et des menaces visant directement les membres de l'IYSSE qui mènent une campagne de solidarité en faveur des étudiants de Brême. Lors d'une de ses conférences, il a accusé l'IYSSE, le mouvement de jeunesse trotskyste qui a quatre représentants élus au parlement étudiant, d’être une «secte stalinienne». Il a accusé la direction de l'université d'être «lâche» pour avoir permis à ces «criminels» de faire ce qui leur plaît. Il a demandé à ses étudiants, dont les notes et les perspectives de carrière dépendent de lui, d'agir contre l'IYSSE.

Une lettre ouverte, adressée à la directrice de l’université Humboldt et accusant l’IYSSE de diffamer et de calomnier Baberowski, circule actuellement parmi les étudiants et les assistants étudiants de droite de l’UFR (unité de formation et de recherche) des sciences historiques. Elle exhorte la direction de l’université d'interdire les critiques de l'IYSSE. Jusque-là, la direction a gardé le silence sur ces faits et ce, bien que l'IYSSE se soit plaint dans une lettre des insultes et du comportement menaçant de Baberowski.

Il est significatif de noter que ni Baberowski ni les étudiants qu'il a mobilisés n'ont dit le moindre mot sur le contenu de ses positions droitières. Ils font tout leur possible pour faire taire les critiques à l’encontre de Baberowski, en étant cependant incapables de répondre sur le fond, ne serait-ce qu’à un seul des arguments.

Et pourtant, aucun autre professeur n’apparaît aussi fréquemment dans les médias ou dans des réunions publiques pour se prononcer ouvertement en faveur de positions xénophobes, autoritaires et militaristes. Il ne cherche même pas à démarquer formellement son rôle d'agitateur de droite de ses activités d'enseignant à l'université. Sur son site web officiel de l’université, où sont habituellement affichés les publications universitaires, il n’énumère pas moins de 101 interviews radiophoniques, 39 contributions télévisées, 32 articles de journaux et 148 dissertations, dont la grande majorité concerne des sujets politiques.

La propagande droitière de Baberowski

La liste comprend également les chroniques démagogiques que Baberowski rédige tous les mois pour le journal Basler Zeitung qui appartient au populiste de droite suisse Christoph Blocher. Les points de vue diffusés par Baberowski correspondent à ceux avancés par le stratège en chef de Donald Trump, Stephen Bannon. Ce n'est pas par hasard que le site Breitbart News, que Bannon avait précédemment dirigé, a maintes fois chanté les louanges du «très estimé professeur» Baberowski pour sa propagande contre les réfugiés.

Tout comme Trump et Bannon, Baberowski salue le Brexit – «un point d'exclamation démocratique» – comme une décision des citoyens de Grande-Bretagne allant à «l’encontre de la politique des frontières ouvertes... que la chancelière Merkel veut imposer à l'Europe».

Ses tirades contre la politique de Merkel à l’égard des réfugiés alternent avec des appels à la violence impitoyable de l’État contre le terrorisme islamique. «L'indifférence n'est qu'un autre mot pour la lâcheté», écrit-il. «Quiconque ne comprend d’autre langage que celui de la violence devrait la subir lui-même.» Faisant référence aux politiciens qui ont appelé à la prudence suite à l'attentat terroriste de Berlin, Baberowski a pesté: «Sur la scène politique, on proclame les vertus de l'auto-dépossession».

Il célèbre la victoire électorale de Trump dans le Basler Zeitung comme étant un coup porté «contre la culture du politiquement correct». Il défend l'AfD contre «l'insinuation sans fondement» que des fascistes se trouvent parmi ses députés au parlement.

Un autre problème récurrent, qui fait penser à Trump et à Bannon, sont les attaques de Baberowski contre les médias et les partis politiques traditionnels. Le professeur, qui a accès à un large éventail de canaux médiatiques et qui attaque impitoyablement ses critiques, veut faire croire qu’il vit dans une dictature où aucune opinion n’est permise. À propos de la critique des idées nationalistes et de la xénophobie, il écrit: «Avec un pistolet moral dérouillé, la dictature du politiquement correct oblige les citoyens à ne parler que comme elle l’entend.»

En octobre 2015, au plus fort de la crise des réfugiés, Baberowski s’était déchaîné dans la Neue Zürcher Zeitung contre la «manie de la vertu» des «autorités» qui excluaient du débat sur l’immigration les opposants aux réfugiés. «La justesse et la sagesse sont proscrits du monde des moralisateurs, ce en quoi les médias dominants ont transformé l'Allemagne. Quiconque évoque le bon sens risque l'exclusion et le mépris. Quiconque enfreint les limites de la république de la vertu doit être condamné à l’obscurité en Allemagne.»

Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Baberowski a, dans le style de l’AfD ou du Front National, cherché à dresser les couches socialement défavorisées de la population contre les réfugiés. «Pourquoi un immigrant recevrait-il gratuitement ce pourquoi ceux qui vivent ici ont dû travailler dur pendant des décennies ?» a-t-il demandé. «Les secrétaires, les ouvriers du bâtiment, les mères de famille qui ont peu d'argent dans leurs vieux jours, les coiffeurs qui ne trouvent pas de logement parce que leurs salaires ne suffisent pas, tous ceux-là ne comprennent pas pourquoi le filet de protection sociale est là pour ceux qui n’ont pas contribué à son financement.»

Il a finalement recouru à l’argument du racisme culturel pour justifier sa propagande contre les réfugiés. «L’intégration de plusieurs millions de personnes en un laps de temps très court perturbe la continuité de notre patrimoine traditionnel qui est garant de stabilité et de cohérence sociale», a-t-il écrit.

Il ne peut y avoir aucun doute quant au caractère d'extrême droite des opinions de Baberowski. Même Jannis Panagotidis, Patrice Poutrous et Frank Wolff ont critiqué dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung le fait que Baberowski a renoncé dans sa polémique «à la connaissance acquise par la recherche historique sur les migrations en faveur des professions de foi pré-scientifiques d’un "citoyen inquiet"».

Dans le journal taz, Daniel Bax a accusé des «publicistes éminents» d'agir comme les «porte-parole des cercles de droite et d'extrême-droite», en prenant l’exemple de Baberowski. «Au début du mois d'octobre, Baberowski a été invité à une réunion du CSU (Union chrétienne-sociale) à Erding», a-t-il écrit. «Mais ses thèses sont également défendues par le NPD (un parti néofasciste).»

Le fait que Baberowski met en avant des positions ultra-droitières est reconnu non seulement par ses critiques, mais aussi par l'extrême droite. En plus de Breitbart News, le site web néo-nazi Daily Stormer a salué Baberowski pour sa propagande contre les réfugiés. C’est pour la même raison que le journal d'extrême droite Junge Freiheit et le NPD fasciste font son éloge en Allemagne.

[subhead] Baberowski révise l’histoire [/subhead]

Il y a une bonne raison pour que Baberowski n’établisse pas de distinction entre son rôle de propagandiste de droite et son travail d'historien. C’est qu’il défend aussi dans sa discipline académique des thèses d'extrême-droite basées sur le révisionnisme historique.

Ses travaux sur la violence stalinienne sont motivés par son soutien des travaux d'Ernst Nolte qui a minimisé la montée des nazis comme une réaction en définitive compréhensible au bolchevisme. Bien que le régime de terreur de Staline en 1937 et en 1938 visait avant tout les dirigeants de la Révolution d'Octobre, Baberowski a obstinément refusé de reconnaître toute rupture entre la Révolution d'Octobre et le stalinisme. Et bien que la simple accusation de trotskysme équivalait à une condamnation à mort, il nie le fait que l'Opposition de Gauche trotskyste a mené une lutte acharnée contre le stalinisme sur la base d'une perspective socialiste et internationaliste.

Début 2014, Baberowski avait dit au magazine Der Spiegel avoir déjà, dans ses années d’étudiant, plaidé en faveur de Nolte à l’époque du Historikerstreit (querelle des historiens). «Nolte a subi une injustice, historiquement il avait raison», avait-il ajouté. Comme dans le cas de Nolte, les écrits de Baberowski se caractérisent par une banalisation des crimes des nazis. Lors de la même interview, il a déclaré au Spiegel: «Hitler n'était pas un psychopathe, et il n'était pas féroce. Il ne voulait pas que les gens parlent de l'extermination des juifs à sa table.»

L’on trouve dans les livres de Baberowski de nombreux passages suggérant que la guerre menée par les nazis à l’est n’était pas une guerre d’anéantissement, mais qu’elle était imposée par Staline à la Wehrmacht. C’est également le cas dans son tout dernier livre, Räume der Gewalt (Espaces de violence) où, de plus, il nie en grande partie les motifs antisémites des nazis.

Le mot antisémitisme ne figure pas une seule fois dans tout le livre et le mot «antisémites» seulement trois fois, et uniquement dans un sens négatif, comme l'a remarqué Alan Posener dans Die Welt. Ce dernier a cité l'affirmation de Baberowski: «Pas même dans les Einsatzgruppen (les escadrons de la mort paramilitaires des SS), l’on trouvait des antisémites particulièrement motivés», en ajoutant ironiquement: «Ils ont simplement assassiné des Juifs». Posener résume sa critique en déclarant: «Il fut un temps où une telle banalisation du rôle joué par l'antisémitisme dans l'Holocauste aurait été un scandale en Allemagne. Le niveau intellectuel du pays est tombé au point que Baberowski est applaudi.»

Le livre de Baberowski traitant de la violence est dépourvu de la méthodologie scientifique la plus élémentaire et sert à justifier la politique droitière de la loi et de l’ordre. Sa théorie de la violence présente les êtres humains comme immuables et violents en expliquant la violence uniquement sur la base de la situation immédiate et en n’admettant aucune cause sociétale ou idéologique pertinente.

D’après sa thèse, l'ordre ne peut être établi que par la force de l'État et non par le progrès social. Lors d'une table ronde à Berlin, il a dit: «Les énormes sommes d’argent gaspillées en programmes sociaux pour civiliser les gens pourraient tout aussi bien être jetées dans la Spree [rivière qui traverse Berlin]». À la place, il demande que l’État soit mieux équipé pour renforcer son monopole sur l'emploi de la force. Ces vues coïncident également avec celles de Bannon qui veut «déconstruire» l'État-providence en renforçant la police.

[subhead] Le tournant vers la droite de l’élite dirigeante [/subhead]

L'agressivité avec laquelle Baberowski fait valoir ses positions de droite et attaque ses critiques ne peut être comprise que dans le contexte du virage global vers la droite effectué par les élites dirigeantes dans tous les pays. Tout comme au siècle dernier, elles réagissent à la crise mondiale du capitalisme, qui s'est encore aggravée depuis la crise économique de 2008, en se tournant vers la guerre et la dictature.

L'arrivée au pouvoir de Donald Trump, le président le plus à droite de l'histoire américaine, a accru le danger que l'humanité soit balayée dans une guerre nucléaire. Trump et son gouvernement, qui est composé de milliardaires, de généraux et d'idéologues de droite, ont déclaré la guerre à la classe ouvrière américaine et au monde entier.

La situation est la même en Allemagne et en Europe. C'est la raison pour laquelle un professeur de droite comme Baberowski ne rencontre quasiment aucune opposition des grands médias et des cercles politiques, et est célébré comme étant un «historien de renom».

Tout comme aux États-Unis, l'élite dirigeante se prépare à de nouvelles guerres. «Dans les années à venir, l’Allemagne sera confrontée à une politique étrangère et à des défis en matière de sécurité que le pays n’ose pas s’imaginer même dans ses pires cauchemars», évrivait récemment dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Jan Techau, directeur d'un think-tank américain à Berlin. C’est pourquoi, selon Techau, les Allemands doivent donc instamment être «contraints d'abandonner leur souci névrotique d'une politique étrangère moralement propre».

Ce qui se passe actuellement en Allemagne et en Europe se terminera par une catastrophe si les jeunes travailleurs et les étudiants ne commencent pas à réfléchir sérieusement aux questions politiques et à participer à la construction de l'International Youth and Students for Social Equality. En tant que mouvement de jeunesse du Comité international de la Quatrième Internationale, l’IYSSE construit un mouvement mondial qui relie la lutte contre la guerre, la dictature et les attaques sociales à la lutte pour le socialisme.

(Article original paru le 2 mars 2017)

 

 

Loading