Perspectives

L’Inde “en première ligne” dans les projets américains de guerre contre la Chine

L'Inde va devenir une base de ravitaillement et de réparations pour la Septième Flotte américaine, l'armada au centre des préparatifs de guerre américains contre la Chine.

En février, le Pentagone a décerné un contrat d'un montant de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans à un chantier naval du Gujarat pour la maintenance des navires de la Septième flotte.

C'est une décision stratégique visant à concrétiser l'accord d'août dernier, qui permet aux forces armées américaines de se ravitailler et d'effectuer des réparations dans les bases et ports indiens.

La transformation de l'Inde en base de la Septième flotte marque une nouvelle étape dans l'intégration de l'Inde dans l'offensive stratégique de l'impérialisme américain contre la Chine.

La Septième flotte est la principale force américaine qui serait chargée de faire la guerre à la Chine. Elle est responsable du Pacifique occidental et des secteurs orientaux de l'Océan Indien jusqu'à la frontière indo-pakistanaise. En cas de guerre, selon le projet de « Guerre aéronavale » du Pentagone, elle doit imposer un blocus économique à la Chine, bloquer le détroit de Malacca et d'autres goulots dans l'Océan Indien et en mer de Chine méridionale, et bombarder massivement les installations militaires, les villes et les infrastructures de la Chine.

Depuis le début du 21e siècle, Washington travaille assidûment à développer l'Inde en tant que «contrepoids» à la Chine. Le Pentagone et le renseignement américain ont longtemps considéré que l'Inde est un « trophée géopolitique» en raison de sa taille, de son armée dotée d’armes nucléaires et de son emplacement stratégique. Pour les stratèges de l'impérialisme américain, l'Inde est le «ventre mou du sud » de la Chine et domine également l'Océan Indien, la voie navigable commerciale la plus importante pour la Chine et pour le monde.

Sous Narendra Modi et son BJP suprématiste hindou, New Delhi a considérablement développé sa large coopération militaire-stratégique avec Washington. A part l'accord sur les bases, l'Inde a développé les relations militaires et stratégiques bilatérales et trilatérales avec les principaux alliés asiatiques de l'Amérique, à savoir le Japon et l'Australie. En janvier, le chef du Commandement du Pacifique américain, l'amiral Harry Harris, a révélé que le Pentagone et l'Inde partagent leurs renseignements sur les mouvements de sous-marins et de navires chinois dans l'Océan Indien.

La menace que fait peser l'alliance indo-américaine sur les peuples d'Asie et du monde est soulignée par l'avènement du gouvernement Trump. Il a dénoncé la Chine comme «manipulateur de monnaie», a critiqué le «pivot vers l'Asie» de l'administration Obama qu'il traitait de faible et d'inefficace, et a menacé de refuser à Pékin l'accès aux îlots contrôlés par la Chine en mer de Chine méridionale, ce qui équivaudrait à une déclaration de guerre.

Trump a critiqué la politique étrangère d'Obama à plusieurs chefs. Mais sur l'Inde, le secrétaire à la Défense James Mattis a dit que Trump veut « consolider » les «progrès énormes» récents entre l’Inde et les Etats-Unis en matière de « coopération sur la défense».

Le BJP, l'opposition et les médias indiens font tout pour cacher aux ouvriers et aux paysans indiens comment l’Inde monte à présent en « première ligne » dans l'offensive américaine contre la Chine, visant à asseoir l'hégémonie américaine sur l'Eurasie. Si une mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière internationale ne l'arrête pas, cette politique mène inexorablement à une guerre entre des puissances dotées d’armes nucléaires.

L'accord sur la la Septième flotte américaine est si frappant, toutefois, que même médias indiens n'ont pas pu éviter d'observer que pendant la guerre froide, la Septième flotte a servi à Washington pour intimider et menacer New Delhi à plusieurs reprises. Selon le Times of India, «La septième flotte américaine, envoyée à la baie du Bengale en décembre 1971 par le président américain Richard Nixon ... afin de faire pression sur l'Inde pendant la guerre de libération du Bangladesh, va maintenant ironiquement être maintenue par une société indienne. »

Pendant la majeure partie de la guerre froide, en raison des liens stratégiques et commerciaux de New Delhi avec Moscou, Washington avait traité l'Inde comme un adversaire. Juste après son indépendance, l'Inde s’était empressée d'établir des relations chaleureuses avec Washington. Mais New Delhi a refusé de s’incliner face aux tentatives de l'impérialisme américain de forcer l'Inde à se subordonner à l'offensive stratégique de Washington contre l'URSS.

Washington a réagi en recrutant le Pakistan, l'État rival créé lors de la partition communautaire du sous-continent indien lors de son l'indépendance, à sa stratégie. Quand les Etats-Unis ont armé le Pakistan, l'Inde s'est tournée vers l'URSS pour obtenir des armes et un soutien stratégique. Elle est également devenue l'un des fondateurs et dirigeants du Mouvement des non-alignés.

Le Kremlin a aussi aidé New Delhi à contrer la pression économique exercée par les États-Unis sur l'Inde à cause de sa stratégie de nationalisation et de construction d'une industrie tournée vers le marché national, pour renforcer la bourgeoisie indienne face au capital international. Jawaharlal Nehru et le Congrès indien étaient également conscients que le soutien du Kremlin les aidait à manipuler le Parti communiste stalinien de l'Inde (CPI) et donc à l'utiliser pour contenir l'opposition ouvrière.

Cette politique de non-alignement n'avait rien à voir avec une véritable opposition à l'impérialisme. C'était un stratagème de la bourgeoisie indienne pour renforcer sa domination de classe. Quand sa stratégie de développement capitaliste s'est effondrée, suite à la mondialisation du capitalisme et à la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne en 1991, elle s’est vite débarrassée de sa rhétorique anti-impérialiste pour établir une relation servile avec Washington.

Ce sont les héritiers du Congrès de Nehru qui ont opéré ce virage politique. Un gouvernement dirigé par le Congrès a forgé le «partenariat stratégique global indo-américain» qui a préparé la transformation de l'Inde par Modi en base américaine pour une offensive contre la Chine.

Toutefois, le CPI, le Parti communiste indien (marxiste) et leur Front de gauche continuent à traiter le non-alignement d'«anti-impérialiste» et de prétendre que la bourgeoisie indienne peut jouer un rôle «progressiste» dans le monde.

Selon les staliniens, New Delhi peut pacifier l'ordre mondial impérialiste et mieux servir les intérêts de la bourgeoisie indienne en limitant ses liens stratégiques avec Washington et en s'opposant à « l'unilatéralisme » américain, et en préconisant « la multipolarité », c'est-à-dire, un plus grand rôle dans les affaires mondiales pour d'autres puissances impérialistes, pour la bourgeoisie indienne et pour les oligarques capitalistes qui gouvernent la Russie et la Chine.

En soutenant l'expansion de l'arsenal militaire et nucléaire de l'Inde, les staliniens ont démontré très clairement leur soutien pour les ambitions de la bourgeoisie indienne. S'ils disent qu'ils s'opposent à l'alliance entre Modi et Washington, ils n'ont pas cherché à alerter les travailleurs au fait que l'alliance indo-américaine encourage New Delhi à s'imposer en l'hégémon régional de l'Asie du Sud.

Les staliniens ont applaudi lorsque l'Inde a effectué des raids transfrontaliers illégaux au Pakistan en septembre dernier, plongeant les deux puissances nucléaires d'Asie du Sud dans leur plus grave crise diplomatique depuis au moins 2003.

L'élite réactionnaire du Pakistan a réagi à l’attitude de plus en plus provocatrice de l'Inde en menaçant d'utiliser des armes nucléaires en cas d'une attaque indienne, et en renforçant son partenariat stratégique avec Pékin.

L'offensive téméraire de Washington contre la Chine en Asie du Sud transformé la région en poudrière. Les conflits indo-pakistanais et sino-indiens sont à présent étroitement liés à la confrontation sino-américaine, ce qui donne à chaque conflit une nouvelle charge explosive ayant des implications potentiellement calamiteuses pour l'humanité entière.

L'Asie du Sud est donc un front clé dans le développement d'un mouvement international des travailleurs contre la guerre impérialiste et le système capitaliste dont la guerre est issue. Un tel mouvement, unissant les travailleurs et les masses rurales en Inde, au Pakistan et dans tout le sous-continent avec la classe ouvrière chinoise, américaine et internationale, n'apparaîtra qu’à travers une lutte impitoyable contre le rôle criminel joué par le CPM et CPI staliniens.

(Article paru en anglais le 7 mars 2017)

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