Sommet de l’UE : nettes divisions internes et tensions avec les États-Unis

La réunion annuelle du sommet européen des 28 chefs de gouvernement de l’UE, qui a débuté jeudi, a été dominée par des tensions transatlantiques et une crise profonde de l’Union européenne.

Les conflits entre l’Allemagne et les États-Unis se sont intensifiés avant la première rencontre de la chancelière Angela Merkel avec le président Donald Trump la semaine prochaine. Lundi, Peter Navarro, conseiller économique de Trump, a qualifié le déficit commercial des États-Unis avec l’Allemagne d’« affaire grave » et d'« une des questions les plus difficiles » pour la politique commerciale américaine.

« Je pense qu’il serait utile d’avoir des discussions franches avec l’Allemagne sur comment nous pourrions faire réduire ce déficit en dehors des limites et des restrictions auxquelles ils prétendent être soumis », a déclaré Navarro à Washington.

L’Allemagne a répondu à la rhétorique de plus en plus belliqueuse de Washington en essayant de lier l’Europe sous sa direction et de se préparer à « une guerre commerciale avec les États-Unis », comme l’écrit le journal Süddeutsche Zeitung.

Les puissances européennes cherchent à exploiter l’annulation par Trump du Partenariat trans-Pacifique pour se développer économiquement sur les marchés asiatiques. Dans un article titré « L’Europe riposte à Trump », le Süddeutsche Zeitung a fait un reportage sur le projet de déclaration du sommet : « Lors de leur réunion à Bruxelles, les chefs de gouvernement de l’UE veulent tenir tête à « la politique de Trump de l’Amérique d’abord […] et sont résolus à remplir le trou que les États-Unis laisseront derrière le retrait de Trump du commerce mondial. »

L’UE s’efforce de conclure rapidement un accord commercial avec le Japon, qui est la deuxième économie asiatique après la Chine et qui négocie actuellement des accords de libre-échange dans le monde avec 20 autres pays, dont Singapour et le Vietnam.

Avant de se rendre à Bruxelles, Mme Merkel a indiqué dans une déclaration au Parlement allemand « que l’Europe agira de concert contre les pratiques commerciales déloyales et protectionnistes et défendra fermement ses intérêts, chaque fois que cela sera nécessaire. » À l’avenir, a-t-elle dit, l’UE devait « être en mesure de mener une gestion de crise indépendante ». L’Allemagne dépendait non seulement de l’accès au marché unique, mais aussi aux marchés mondiaux.

Afin de poursuivre militairement ces intérêts mondiaux, l’Allemagne et d’autres puissances européennes cherchent à établir une armée européenne. Avant le sommet de jeudi, une réunion des ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense a approuvé lundi la création d’un centre de commandement conjoint pour les interventions militaires. Selon les diplomates, le quartier général commencera ses travaux ce mois-ci et sera pleinement opérationnel d’ici juin.

Les aspirations de l’Allemagne à se hisser au rang de puissance hégémonique en Europe et son conflit croissant avec les États-Unis qui, en tant que puissance militaire protectrice et arbitre, ont soutenu l’unité européenne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, intensifient les divisions déjà fortes au sein de l’Union européenne.

Cela a été exprimé au sommet dans une vive dispute concernant la réélection du président du Conseil européen Donald Tusk. Bien que le gouvernement polonais actuel s’oppose avec véhémence à la réélection de Tusk, ancien Premier ministre polonais, le sommet a prolongé son mandat. L’élection d’un homme politique en position de chef de file au sein de l’UE contre la volonté de son propre gouvernement est un événement sans précédent dans l’histoire de l’UE. Tusk est un membre du plus grand parti d’opposition en Pologne, la Plate-forme Civique (PO), qui est engagée dans un conflit amère avec le PiS au gouvernement.

Le président de PiS, Jaroslaw Kaczyński, a décrit Tusk avant le sommet comme « le candidat de l’Allemagne ». Suite à l’élection le ministre polonais des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a parlé d’un « diktat de Berlin ». « Nous savons maintenant que c’est une UE où c’est Berlin qui mène le bal », a-t-il déclaré aux médias polonais. La délégation polonaise a annoncé qu’elle bloquerait toutes les décisions ultérieures au sommet avec son veto.

Dans un effort pour maintenir le gouvernement polonais de droite, anti-russe à bord, Berlin a adopté un ton plus strident contre la Russie. Le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel (SPD) a démonstrativement fait escale à Varsovie en route pour Moscou. Avec les trois pays baltes, la Pologne compte parmi les quatre pays d’Europe de l’Est où l’OTAN est en train de déployer 4 000 militaires, ainsi que des chars et autres armes lourdes. Gabriel a visité le bataillon mené par l’armée allemande en Lituanie la semaine dernière.

S’exprimant à Moscou, Gabriel a défendu avec véhémence le premier stationnement des troupes allemandes en Europe de l’Est depuis la guerre génocidaire lancée sous les nazis, et a blâmé la Russie pour « la violation des frontières au centre de l’Europe ».

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a rejeté l’accusation de Gabriel selon laquelle son pays menacerait les États d’Europe de l’Est membres de l’OTAN. « Nous avons des statistiques différentes à ce sujet », a-t-il déclaré, notant qu’en fait, la Russie est « encerclée par des armes de l’OTAN, des unités de l’OTAN […] Des troupes terrestres de l’OTAN apparaissent à nos frontières, y compris [des troupes] de la République fédérale d’Allemagne. »

L’intensification de la crise dans les Balkans était également à l’ordre du jour du sommet de l’UE. La région était soumise à des « défis et des tensions », a déclaré à Bruxelles la chef de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, « beaucoup plus que jamais ». Elle a averti que les Balkans étaient de plus en plus « un échiquier pour les jeux de pouvoir des grandes puissances ».

Au début de la semaine, la Grande-Bretagne a accusé la Russie de fomenter les tensions dans la région. Moscou s’efforçait de « saper les pays des Balkans occidentaux », ce qui était « totalement inacceptable », a déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson. En vérité, ce sont les puissances occidentales qui fomentent le conflit dans les Balkans. Dans les années 1990, elles ont fait éclater la Yougoslavie et l’ont bombardée. Il y a moins d’un an, en dépit des avertissements russes, l’OTAN a accepté le Monténégro comme nouveau membre de l’alliance militaire.

Les tensions croissantes au sujet des Balkans ne sont que la manifestation la plus visible des parallèles entre l’Europe actuelle et celle à la veille de la Première Guerre mondiale il y a plus de cent ans. Alors que le capitalisme mondial, affligé par une crise économique et politique toujours plus profonde dans tous les pays, les divisions internes à l’Europe ainsi qu’entre les puissances européennes et l’Amérique prennent de plus en plus la forme du protectionnisme, soutenu par le réarmement et la menace de la force militaire.

(Article paru en anglais le 10 mars 2017)

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