Les collèges de l'Ontario lancent un ultimatum aux enseignants en grève

Douze mille enseignants des collèges communautaires de l'Ontario entament le deuxième mois d'une grève dirigée contre les salaires de misère, les contrats de travail temporaires précaires et l'absence de liberté académique, après que l'agent négociateur des collèges a quitté les négociations le 6 novembre. Les travailleurs sont en grève depuis le 16 octobre.

Le Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario (SEFPO), qui représente les enseignants en grève, et le Conseil des employeurs des collèges (CEC), qui représente les 24 collèges financés et administrés par la province, s'accusent mutuellement de bloquer les négociations.

Se servant d'une clause réactionnaire du Code du travail de l'Ontario, le CEC a annoncé qu'il allait contourner le SEFPO et faire voter directement les travailleurs de la base sur son offre «finale» dans le but d'imposer ses demandes de reculs. Le vote est prévu du 14 au 16 novembre cette semaine.

Les deux parties ont été rappelées à la table de négociations le jeudi 2 novembre par le ministère du Travail libéral de la province. D'après l'équipe de négociation du syndicat, une entente avec le CEC était possible le dimanche soir suivant. Mais la journée d'après, le CEC exigeait de nouvelles concessions et informait le syndicat qu'il suspendait les négociations et allait faire la demande au Conseil des relations de travail de l'Ontario d'organiser un vote direct sur son offre «finale».

Le contenu de l'«entente» sabotée entre le SEFPO et l'employeur confirme les avertissements qui avaient été lancés par les Étudiants et jeunes internationalistes pour l'égalité sociale (EJIES). Dans une récente déclaration, l'EJIES a exhorté les étudiants à rejoindre leurs professeurs en grève, à mener une lutte indépendamment du SEFPO et à transformer celle-ci en une lutte plus large de la classe ouvrière contre l'assaut sur l'éducation publique. L'EJIES a affirmé que le syndicat était déjà prêt à «lever le drapeau blanc» et trahir la grève.

Fidèle à lui-même, le SEFPO a dans les faits laissé tomber sa demande pour qu'au moins 50% du corps enseignant aient un contrat permanent, pour ceux qui travaillent à temps plein ou partiel. Actuellement, 80% des éducateurs des collèges sont embauchés sur la base de contrats temporaires et précaires, ce qui veut dire qu'ils n'ont aucune sécurité d'emploi et qu'ils ne reçoivent qu'une fraction du salaire et des avantages sociaux des employés permanents, même s'ils font le même travail.

Le SEFPO a accepté d'abandonner sa demande limitée pour une meilleure sécurité d'emploi en échange de la création d'un groupe de travail provincial dont le but serait d'examiner la question du travail précaire et de faire des recommandations non contraignantes. Et le syndicat qualifie cela de «gain important».

Comme l'ont exprimé avec passion de nombreux enseignants en grève à une équipe du WSWS la semaine dernière, la lutte contre le travail précaire et le principe «à travail égal, salaire égal» est l'enjeu qui est au cœur de la grève. Les enseignants contractuels peinent à joindre les deux bouts: beaucoup d'entre eux gagnent moins de 30.000 $ par année. Nombre d'entre eux doivent avoir plusieurs emplois pour obtenir un revenu équivalant à un emploi à temps plein.

Malgré cela, la bureaucratie syndicale voit la création du groupe de travail comme la meilleure issue possible du conflit et relègue au second plan la question du travail précaire. La bureaucratie du SEFPO s'est dépêchée de faire de la liberté académique le principal point d'achoppement dans les négociations, afin de masquer le fait qu'ils ont déjà laissé tomber les principales demandes des travailleurs.

Le CEC, ayant pris note de l'attitude de la bureaucratie syndicale, est sûr de faire accepter ses demandes de concessions. Parmi ces demandes, il y a des mesures pour forcer les professeurs à temps plein à travailler autant d'heures supplémentaires que nécessaire, ainsi que le maintien de l'emprise de la direction sur les programmes d'étude.

Le CEC espère pouvoir intimider les travailleurs pour qu'ils acceptent son «offre finale». Mais si cela échouait, il compte sur le gouvernement libéral provincial pour décréter une loi antigrève et sur le SEFPO pour l'imposer à ses membres.

Même si le gouvernement prétend que le CEC est autonome, c'est le gouvernement qui est responsable du financement et qui détermine en fin de compte comment les collèges de la province sont gérés.

La première ministre de l'Ontario Kathleen Wynne a indiqué à plusieurs reprises qu'elle allait intervenir si une entente «négociée» n'était pas conclue bientôt. Lorsqu'on lui a demandé si son gouvernement allait criminaliser la grève, Wynne a répondu: «Il ne faut jamais écarter d'option.» En 2012, les libéraux, sous le prédécesseur de Wynne, Dalton McGuinty, avaient imposé la loi 115 pour criminaliser toute grève des enseignants des écoles publiques de la province et décréter des baisses de salaire.

Le bilan anti-ouvrier des libéraux a été appuyé avec enthousiasme par la bureaucratie syndicale, qui a dépensé des millions de dollars au cours des quatre dernières élections provinciales pour garder les libéraux au pouvoir, sous prétexte d'empêcher l'arrivée au gouvernement des progressistes-conservateurs. La Working Families Coalition de l'Ontario, constituée de divers syndicats, a déjà commencé à rendre publiques des publicités en appui aux libéraux, en vue de l'élection provinciale de juin prochain.

Les médias du patronat ont sans surprise adopté une position anti-travailleurs tout au long de la grève. Tout en ignorant les difficiles conditions de travail et de vie du personnel enseignant et de sa situation précaire, ils tentent de monter les étudiants contre leurs professeurs en accusant les grévistes pour les heures de cours perdues.

Ces positions ont été renforcées par une campagne réactionnaire menée par plusieurs associations étudiantes qui ont demandé au gouvernement d'intervenir dans le conflit. Se présentant faussement comme étant «neutres» par rapport à la grève, les syndicats étudiants font exprès de ne pas informer les étudiants qu'une intervention du gouvernement libéral de Wynne viserait à imposer toutes les demandes de concessions des employeurs.

Les conditions difficiles vécues par les étudiants – l'anxiété d'être absent à un examen ou de manquer la période d'embauches, le stress causé par le fait de devoir travailler et étudier en même temps, et l'incertitude entourant la possibilité de trouver un emploi plus tard – sont semblables et liées aux problèmes que vivent les enseignants, qui sont, en grande majorité, dans une situation précaire.

L'absurdité flagrante de la tentative des médias de présenter les demandes du CEC comme étant raisonnables devient encore plus évidente si l'on considère le contexte d'immense inégalité au sein du système collégial et de la société dans son ensemble.

Les gouvernements libéraux, conservateurs et néo-démocrates ont décimé les ressources du système de collèges communautaires. En 1965, au début du système, le financement provenant du gouvernement constituait 80% de ses revenus d'exploitation. Aujourd'hui, ce financement est passé à 44%.

Il n'est pas rare pour un président de collège de gagner un salaire d'un demi-million de dollars ou plus, et d'obtenir des augmentations annuelles à cinq chiffres. Régulièrement, les collèges enregistrent des surplus financiers de millions de dollars, souvent grâce au soutien d'importantes subventions provenant du milieu des affaires et de riches donateurs.

Dans la société canadienne, l'inégalité sociale explose. Des statistiques récentes révèlent que deux des plus riches milliardaires du pays, David Thomson (Reuters) et Galen Weston Sr. (Loblaws), possèdent autant de richesse que les 11 millions de Canadiens les plus pauvres. Les sociétés canadiennes ont engrangé des profits de 91,9 milliards $ seulement dans le premier trimestre de 2017.

Et pourtant, les gouvernements à tous les niveaux ne cessent de répéter qu'il n'y a pas d'argent pour financer l'éducation publique et les autres services sociaux fondamentaux, et que les travailleurs et les jeunes doivent se serrer la ceinture et faire des sacrifices. Aucun sacrifice n'est exigé de la classe dirigeante, qui s'enrichit d'année en année, pendant que la classe ouvrière s'enfonce dans l'insécurité économique et la pauvreté.

Des centaines d'étudiants, et c'est tout à leur honneur, appuient leurs professeurs. Le mot-clé Twitter #standwithfaculty (appuyons les enseignants) liste des centaines de tweets d'étudiants qui soutiennent la lutte de leurs enseignants. Des dizaines d'étudiants ont participé à un rassemblement au Queen's Park de Toronto, en solidarité avec les grévistes.

Toutefois, un appui aux travailleurs de la base ne doit pas signifier un appui au SEFPO, qui a clairement indiqué qu'il compte bien trahir la grève et capituler devant une future loi antigrève des libéraux. La bureaucratie syndicale, qui aide depuis des années les libéraux à se maintenir au pouvoir, ne peut pas et ne veut pas mener cette lutte.

Les enseignants, les conseillers et les libraires en grève doivent s'allier aux 500.000 étudiants touchés par la grève et former des comités de grève dans chaque collège afin de prendre eux-mêmes la direction de la grève, en opposition à la bureaucratie du SEFPO; ils doivent s'adresser aux travailleurs et étudiants à tous les niveaux d'éducation à travers l'Ontario et le Canada; et il faut élargir la lutte.

Pour défendre et faire avancer l'éducation publique ainsi que les droits sociaux et démocratiques, une lutte politique est nécessaire. La classe ouvrière doit s'organiser indépendamment des syndicats procapitalistes, et en opposition à eux, et lutter pour le socialisme: c'est-à-dire la réorganisation de la vie socio-économique sous un gouvernement des travailleurs, pour faire des besoins sociaux, et non les profits privés d'une minuscule clique de capitalistes, le principe directeur de la société.

 

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