Les leçons de la grève des travailleurs de l'usine CAMI au Canada

Les près de 2800 travailleurs de General Motors qui ont fait grève dans l’usine de CAMI à Ingersoll en Ontario pendant un mois ont subi une importante défaite. GM, de connivence avec le syndicat Unifor, a employé les menaces afin d’imposer une autre convention collective pourrie qui ne répond à aucune des demandes des grévistes, incluant la sécurité d’emploi.

Lorsque la lutte en était à quatre semaines, la direction de GM a démontré son total mépris à l'égard des travailleurs et de leur famille en menaçant de fermer l'usine et de déplacer la production au Mexique à moins que la grève soit arrêtée. Moins d'un jour plus tard, Unifor capitulait sans opposer de résistance et liquidait la grève en imposant virtuellement la même convention collective, truffée de concessions, que celle proposée aux travailleurs de l'automobile des «Trois Grands» (Big Three) opérant au Canada en 2016, qui fut ratifiée malgré un niveau historique d'opposition de la part des travailleurs de ces usines. Le président d'Unifor, Jerry Dias, qui a affirmé seulement 24 heures avant la fin de la grève qu'Unifor ne serait pas intimidé par ces menaces de GM, a plutôt assuré que le syndicat se mette à genou.

La grève n'a pas réussi à atteindre ses objectifs, non pas à cause d'un manque de combativité de la part des travailleurs de GM. Au contraire, les travailleurs ont été clairs avec le vote d'appui massif à la grève, le mois enduré avec la maigre compensation de 250$ par semaine offerte par le syndicat et par des commentaires sur les piquets de grève, qu'ils étaient prêts à soutenir une contre-offensive en réponse à des années de gel des salaires, du système honnie du «deux-tiers» (Two-tier system) et d'autres concessions imposées par Unifor et son prédécesseur, le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA).

Néanmoins, celle lutte a été sabotée par Unifor. Malgré que GM ait engrangé des profits de 11,82 milliards l'an passé, incluant des records dans les revenus en Amérique du Nord pour ses investisseurs de Wall Street et Bay Street, les représentants d'Unifor ont assuré la compagnie que la grève «n'était pas à propos de l'argent». La «sécurité d'emploi» dont Unifor fait grand cas ne se réduit dans l'entente qu'à une augmentation du délai de préavis lors de futurs congédiements ou de fermeture complète de l'usine.

Les résultats de la grève soulignent que les travailleurs de l'automobile à CAMI et dans d'autres installations à travers l'Amérique du Nord doivent tirer les leçons essentielles de cette défaite afin qu'elle ne se répète pas.

En premier lieu, dans des conditions où GM, une multinationale ayant des installations dans 31 pays, produit le même modèle Equinox que celui manufacturé à CAMI à Spring Hill au Tennessee et Ramos Arizpe et San Luis Potosí au Mexique, le programme nationaliste mis de l'avant par Unifor a laissé les travailleurs de l'automobile sans défense contre les menaces de la compagnie de délocaliser la production au sud.

Deuxièmement, l'insistance de GM depuis le début des négociations que de par son droit de propriété privée des moyens de production d'automobiles, l'entreprise ne négocierait pas sur les volumes de production ou l'emplacement de ses usines, démontre que seul un combat politique guidé par un programme socialiste peut faire avancer la cause des travailleurs.

Troisièmement, un tel combat ne peut être mené qu'avec une lutte sans relâche contre Unifor et la bureaucratie syndicale en entier. Les travailleurs de l'automobile doivent rompre, de manière organisationnelle et politique, avec Unifor qui a développé un partenariat corrompu avec les patrons de l'automobile et les grandes entreprises. Pour défendre leurs intérêts, les travailleurs doivent construire leurs propres organisations indépendantes pour joindre leur lutte pour la défense des emplois et de leurs conditions de vie avec leurs frères et sœurs de classe des États-Unis, du Mexique et internationalement.

Pendant les négociations, l'unique demande d'Unifor était que GM désigne l'usine CAMI comme «principale productrice» de l'Equinox. Le syndicat a proposé que si des emplois devaient être éliminé advenant une baisse de la vente automobile, que ce soit les employés des deux usines mexicaines qui soient congédiés en premier. Au cours des négociations, et bien avant, les représentants d'Unifor ont demandé aux travailleurs de ne pas se mettre sur «un piédestal» en espérant obtenir un quelconque programme économique qui tenterait de renverser les successions de concessions que le syndicat a négociées depuis la dernière décennie et plus.

Dès la seconde semaine de grève, des journaux mexicains indiquaient que des quarts additionnels pour produire l'Equinox étaient créés à Ramos Arizpe et que des arrangements étaient en cours pour augmenter encore plus la production.

Unifor n'avait rien à offrir aux travailleurs en échange, parce que son principal souci était de préserver sa relation privilégiée avec les patrons en bloquant la lutte conjointe des travailleurs de l'automobile canadiens, américains et mexicains dans la défense de leurs intérêts communs. Unifor a subordonné la grève de CAMI à la maintenance de son alliance avec les libéraux, parti de la grande entreprise, alliance conçue dans le but d'étouffer la lutte de classes. Unifor a mené la charge en 2015 en élisant Justin Trudeau, un politicien totalement conventionnel du patronat qui combine une rhétorique «progressiste» avec un programme ouvertement de droite qui allie politiques pro-entreprises, militarisme et des attaques sur les droits démocratiques et sociaux des travailleurs.

L'AFL-CIO, le Congrès du travail du Canada, le United Steelworkers, la United Auto Workers (UAW) et Unifor ont tous adhéré à l'appel du président américain Trump pour un «commerce équitable» et colportent sans cesse les affirmations frauduleuses selon lesquelles il est possible de faire pression sur Trudeau et Trump, ce dernier étant célèbre pour ses envolées chauvines anti-mexicaines, dans le but d'atteindre un accord qui ferait avancer les intérêts des travailleurs dans la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Mais sous le capitalisme, ce fameux commerce équitable ne peut exister: les entreprises font tout en leur pouvoir pour mettre en faillite leurs compétiteurs en imposant l'exploitation la plus brutale sur leurs propres forces de travail. Les syndicats procapitalistes s'alignent derrière cette poussée sans relâche, soutenant des mesures visant à faire porter le poids de la crise économique aux travailleurs «étrangers». L'ALÉNA est utilisé par les grandes entreprises américaines et canadiennes, et leurs partenaires mineurs au Mexique, afin de dresser les travailleurs les uns contre les autres dans un nivellement vers le bas. Et les syndicats ont été complices dans cette affaire, étouffant constamment la lutte des classes et imposant des baisses de salaire et d'avantages sociaux tout en accélérant la cadence de travail dans le but de sauver des emplois «américains» ou «canadiens».

Durant le conflit, Unifor – un syndicat qui se targue d'avoir 300.000 membres – est demeuré ardemment opposé à mobiliser les 23.000 travailleurs de l'automobile au sein des usines des «Trois Grands» de Detroit au Canada en soutien de la grève de CAMI. Aucun appel à la solidarité n'a été fait aux centaines de milliers de travailleurs de l'auto aux États-Unis ou au Mexique, ou à ceux des secteurs manufacturiers et dans le secteur public à travers le Canada qui font face à des attaques similaires sur leurs emplois et leurs conditions de travail.

Le rôle méprisable d'Unifor consiste à préserver les politiques qu'il a adoptées, avec le concours de l'UAW, au cours des trois dernières décennies. La naissance du TCA tire ses origines directement de la promulgation du programme nationaliste qui a divisé les travailleurs de l'Amérique du Nord et ouvert la porte aux «Trois Grands» de l'automobile pour asseoir leurs pratiques de «va-et-vient» des contrats de chaque côté des frontières canadiennes et américaines. Après sa séparation d'avec la UAW, le TCA a fondé sa collaboration avec les employeurs sur l'avantage du coût du travail canadien grâce à la faiblesse du dollar canadien et du système de santé subventionné. Cet «avantage» a depuis été éliminé grâce à de brutales coupes salariales aux États-Unis ainsi qu'à l'exploitation par les géants de l'automobile d'une main-d'œuvre bon marché au Mexique. Cela a intensifié la guerre au nivellement vers le bas des salaires et des conditions de travail, dans laquelle Unifor et l'UAW cherchent à surpasser l'autre en offrant aux patrons de l'auto les plus bas prix de main-d'œuvre.

Qu'est-ce qui explique cette complète prosternation des syndicats? Une contre-offensive de la classe dirigeante, qui tire ses origines dans la rupture du boom d'après-guerre et des changements dans la production capitaliste, a amené les syndicats et les partis sociaux-démocrates – lesquels pendant des décennies ont œuvré à contenir les luttes de classe dans le cadre étroit de la négociation collective et des réformes législatives, c'est-à-dire confinées dans le système du profit capitaliste – à virer brusquement à droite dès les années 1980. La mondialisation de la production et le démantèlement des industries qui lui est lié dans les pays les plus avancés ont fatalement réduit les capacités des syndicats à faire pression sur le capital pour obtenir des concessions dans le marché de l'emploi national. Les bureaucraties syndicales à travers le monde ont répondu à cette situation en se joignant aux employeurs et en demandant aux travailleurs de rendre leur entreprise plus «compétitive», c'est-à-dire accepter des concessions, une accélération de la cadence du travail et des pertes d'emploi, et en faisant la promotion du nationalisme économique.

Depuis le début de la grève, l'Autoworker Newsletter du WSWS a combattu pour une plus large mobilisation de la classe ouvrière derrière les travailleurs de CAMI. En particulier, le bulletin d'information a défendu l'idée que les travailleurs de l'automobile avaient besoin d'une stratégie internationale afin d'unir les travailleurs canadiens, américains et mexicains dans une lutte commune contre les fabricants automobiles internationaux et les gouvernements d'Ottawa, Washington et Mexico, qui ont appuyé GM dans sa lutte pour réduire les coûts de main-d'œuvre et augmenter ses profits.

Puisque le bulletin de nouvelles n'appuyait pas Unifor, l'appareil du syndicat a fait tout en son pouvoir pour empêcher les reporters du WSWS d'avoir accès aux piquets de grève, a supprimé les articles du WSWS sur des pages Facebook et a intimidé les travailleurs qui s'exprimaient à travers le bulletin. Incapable de répondre aux critiques politiques du WSWS, Unifor a accru ses attaques en agressant un correspondant de l'Autoworker Newsletter lors d'un de ses ralliements.

L'Autoworker Newsletter du WSWS a pressé les travailleurs de CAMI à élire des comités de travailleurs dans l'usine indépendants d'Unifor afin de formuler leurs demandes, incluant le triplement immédiat des indemnisations de grèves. Ces comités devraient prendre la direction de la grève des mains des représentants d'Unifor et établir des lignes de communication entre les travailleurs de CAMI et ceux aux États-Unis, au Mexique et à travers le monde afin de constituer une lutte commune pour défendre le droit à un emploi stable et bien payant pour tous les travailleurs. À la suite de la défaite de la grève, l'adoption d'un tel programme devient encore plus urgente.

Toute contre-offensive industrielle par les travailleurs doit être combinée avec le développement d'une nouvelle stratégie politique afin de mobiliser la classe ouvrière en opposition à l'ensemble des partis dirigés par les entreprises – libéraux, conservateurs et néo-démocrates. Un nouveau parti de masse socialiste de la classe ouvrière est requis afin de lutter pour la transformation de l'industrie automobile en une industrie sous propriété publique en tant que composante d'une réorganisation socialiste de l'économie afin de répondre aux besoins humains, et non au profit privé. Dans ce combat en cours, nous exhortons les travailleurs à s'inscrire à l'Autoworker Newletter et à contacter le Parti de l'égalité socialiste dès maintenant.

(Article paru en anglais le 28 octobre 2017)

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