Macron se rend en Arabie saoudite sur fond de risque de guerre avec l'Iran

Alors qu‘au Moyen-Orient l‘affrontement s‘accélère brusquement entre l‘Arabie Saoudite et l‘Iran, le président francais Emmanuel Macron, en voyage officiel à Abou Dhabi, a soudain décidé le 9 novembre de se rendre en Arabie Saoudite pour des pourparlers. Aux Émirats Macron avait, entre autres gestes officiels, visité une base militaire d‘où les avions français interviennent en Syrie et en Irak et y avait annoncé des opérations militaires.

La raison de son voyage soudain était le danger d'un conflit militaire ouvert entre l‘Arabie saoudite, soutenue par les Etats-Unis, et l‘Iran, en alliance avec la Russie en Syrie. Les deux rivaux régionaux s‘opposent déjà par procuration dans les guerres en Syrie et au Yémen. Le régime saoudien a attribué à l'Iran un tir de missile sur Ryad par les rebelles houthistes au Yémen et a déclaré qu'il est « en état de guerre » au Liban, en pressurisant le premier ministre libanais Saad Hariri à démissionner et à critiquer violemment l‘Iran.

Evoquant ces dossiers ainsi que l'opposition de Trump au traité nucléaire Iranien, Macron a déclaré : « Je souhaite sensibiliser le voisin saoudien à toutes ses questions ». Il a ajouté, «Les positions très dures exprimées par l’Arabie saoudite vis-à-vis de l’Iran .. ne sont pas conformes à ce que je pense».

Paris craint clairement un éclatement du Liban, une de ses anciennes colonies, où il espérait une stabilisation sur la base d‘une nouvelle constitution. « Nous souhaitons vraiment que l’unité, l’intégrité du Liban soient préservées, » a dit le ministre des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian. Macron et la direction saoudienne ont discuté la crise au Liban. Macron a réaffirmé l‘importance que la France attache à « la stabilité, la sécurité, la souveraineté et l‘intégrité du Liban. »

A Ryad, Macron a spécifiquement soulevé la question de l‘annulation de l‘accord sur le nucléaire par les Etats-Unis et proposé au contraire de « compléter » celui-ci par un accord sur le contrôle des missiles balistiques iraniens. Il a mis en garde contre des décisions qui pourraient déstabiliser plus encore la région, y entraîner la guerre ou une autre crise nucléaire comme en Corée du Nord.

Les actions de Ryad et de Washington risquent de provoquer une guerre généralisée au Moyen-Orient qui pourrait rapidement se transformer en confrontation entre Washington et Moscou. «Nous sommes au bord du gouffre, s’alarme Nahla Chahal, rédactrice en chef du Safir Al-Arabi, un magazine en ligne sur le monde arabe. Il suffirait d’un rien pour que la région s’embrase», citait Le Monde.

Ce danger de guerre découle de la défaite que subit actuellement l'Otan et ses alliés, les monarchies sunnites du Golfe persique, dans la guerre impérialiste en Syrie. Alors qu'en Syrie, l‘Arabie Saoudite voit ses plans d‘élimination d‘Assad en ruines, face à l‘intervention de la Russie et de l‘Iran à travers le Hezbollah, le régime saoudien tente de prendre sa revanche au Liban. Ses dirigeants ont multiplié les déclarations belliqueuses vis-à-vis de ce pays ces derniers jours et appelé ses ressortissants à le quitter.

Quelques jours avant la visite surprise de Macron, l‘Arabie saoudite avait selon toute vraisemblance retenu le premier ministre libanais Saad Harirri à Ryad. Dans un discours prononcé à la radio saoudienne le 4 novembre où il annonçait sa démission, celui-ci attaquait l‘Iran pour son «ingérence» dans les affaires du Liban, de la Syrie et du Yémen. Hariri a accusé le Hezbollah pro-iranien, qui fait partie de son propre gouvernement et combat en Syrie aux côtés des forces du régime Assad, de constituer un « Etat dans l’Etat ».

La plupart des dirigeants libanais réclament le retour de Hariri à Beyrouth. Le président de la République, Michel Aoun a dit qu‘il attendait son retour pour « évoquer avec lui les circonstances de sa démission pour en tirer les conséquences ». Walid Joumblatt, le chef du Parti socialiste progressiste a déclaré « ce n'est pas le moment pour Saad Hariri de démissionner, cela va avoir des répercussions graves sur l'économie libanaise et sur le Liban. »

Une source proche de la ‘coalition du 8-mars’ qui comporte aussi le Hezbollah, déclare : « C'est honteux qu'il ait présenté sa démission à Riyad et pas à Beyrouth.Nous sommes patients et raisonnables, mais il y a des limites. Ils nous accusent d'être liés à l'Iran, mais l'Iran n'a jamais dicté au Liban ce qu'il doit faire ou pas ».

Un dirigeant des Forces Libanaises, l'ex-milice chrétienne dans la guerre civile libanaise, a dit : « la cohabitation avec le Hezbollah est désormais impossible ». Pour l‘ex-ministre et député maronite influent Boutros Harb, cette démission « va créer une tension politique en raison de la rupture de l'accord qui a permis la formation du gouvernement fin 2016 ». Il a ajouté : « ll ne nous reste plus qu'à travailler ensemble pour éviter l'impact dangereux que (la démission) aura sur le Liban ».

« La situation est complètement surréaliste, on se dirait dans un thriller politique, » a dit un homme d‘affaire libanais en lien avec la famille Hariri.

La monarchie saoudienne est sans aucun doute encouragée par le soutien appuyé des Etats-Unis, en particulier depuis le voyage de Donald Trump au Moyen-Orient en mai de cette année et la formation d‘un nouvel axe avec les Etats-Unis et Israël, mis sur pied dans le but de contrer l‘alliance de la Russie, de l‘Iran et de la Turquie, soutenue par la Chine, qui a pris forme dans le contexte de la guerre syrienne.

Paris, comme Berlin, est hostile envers les préparatifs de guerre nucléaire du gouvernement Trump contre la Corée du Nord et envers ses menaces contre l‘Iran, que Trump qualifie d‘Etat terroriste. La bourgeoisie européenne est fortement opposée à la répudiation de l‘accord de 2015 sur le nucléaire iranien, qui signifierait la réimposition de sanctions menaçant directement leurs investissements, sites de production, exportations et profits dans ce pays.

L‘intervention de Paris dans le conflit irano-saoudien souligne l‘exacerbation du conflit entre les Etats-Unis et l‘Europe. En intervenant, Macron tente non seulement d’empêcher Trump de faire une politique que Paris et Berlin considèrent désastreuse pour leurs intérêts, mais d‘éviter que Paris ne se voie réduit au rôle de spectateur dans un affrontement majeur dans la région qui risque d'embraser le globe.

Les conflits de plus en plus dangereux que Macron tente à présent de conjurer sont eux-mêmes le résultat désastreux de la politique de guerres néo-coloniales agressives menées par le gouvernement Hollande en alliance avec les Etats-Unis, et dont Macron faisait partie. Hollande a armé les forces islamistes anti-Assad en Syrie et, armé du faux prétexte d‘attaques chimiques par Damas, fut à la pointe de l‘intervention militaire ouverte avortée en 2013. Celle-ci fut annulée au dernier moment par les Etats-Unis et l‘Angleterre, face à un vote négatif des Communes britanniques.

L‘impact de cette intervention a été non seulement la destruction de la Syrie, la décimation de sa population, et la transformation de millions de syriens en réfugiés démunis de tout (à qui l'on refuse l‘asile en France même), mais aussi la préparation d'une guerre qui embraserait toute la région.

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