L'organisme anti-«fake news» de l'UE prépare une censure de masse

L’Union européenne (UE) a lancé la construction d’un organisme chargé de surveiller et de censurer les «fake news». Elle sélectionne un Groupe d’experts et sollicite les opinions des professionnels des médias afin de décider quels pouvoirs donner à cet organisme, dont les opérations débuteraient au printemps.

Un examen de l’annonce de l’UE démontre qu’elle prépare une censure massive visant non pas les fausses informations, mais des reportages ou des opinions politiques qui encouragent l’opposition à la classe dirigeante européenne.

Le terme «fake news» est tiré de la campagne abusive aux États-Unis pour affirmer que la victoire de Donald Trump était attribuable à une manipulation russe des présidentielles américaines de 2016 et à la publication d'articles nuisibles au candidat démocrate, Hillary Clinton. Cette campagne exige de plus en plus agressivement la censure d’Internet afin d’empêcher l’expression de critiques et de la colère sociale.

Devant le Sénat américain, l’ancien officier du FBI Clint Watts a appelé à la censure, et des sénateurs américains ont dénoncé la Russie pour avoir prétendument « amplifié les divisions raciales et sociales » aux Etats-Unis. Watts a déclaré : «Les mots, et non les coups de feu, lancent les guerres civiles. La guerre de l’Amérique avec elle-même a déjà commencé. Il faut agir maintenant sur le champ de bataille des médias sociaux pour réprimer les rébellions d’information qui peuvent vite provoquer des affrontements et nous transformer en États divisés d’Amérique ».

Lacensure anti-fake news en Europe servirait les mêmes fins politiques: de donner à une autorité non-élue le contrôle de ce que l'on peut lire ou dire sur Internet. «A notre époque, la circulation de l’information et la désinformation sont devenues presque écrasantes», a déclaré le vice-président de l’UE, Frans Timmermans. Il a ajouté que l’UE a la tâche de protéger ses citoyens des «fake news» et de «gérer les informations qu’ils reçoivent».

Selon le communiqué de l’UE, la Commission européenne, autre organe non élu, choisira le groupe d’experts, qui «se réunira d'abord en janvier 2018 et travaillera sur plusieurs mois». Il discutera des «actions futures possibles pour renforcer l’accès des citoyens à des informations fiables et vérifiées et empêcher la diffusion de la désinformation en ligne». Qui décidera quelles opinions sont «vérifiées», qui est «fiable» et quelles opinions sont de la «désinformation» qu'il faut supprimer de Facebook et retirer des résultats de recherche Google? L’UE, bien sûr.

Comme aux USA, la campagne anti-«fake news» de l’UE découle des opérations contre la Russie et tente de soustraire à la critique les politiques impopulaires de l’UE – notamment le virage de la bourgeoisie européenne vers le militarisme et la construction d'Etats policiers.

Selon son communiqué, cette initiative a commencé par la fondation en mars 2015 du «groupe de travail de communication stratégique de l’Est» (East Stratcom). C’était peu après l'organisation par Washington et Berlin d'un coup d'Etat en Ukraine en février 2014, via un putsch mené par le Secteur droit, une milice pronazie et anti-russe qui renversa le président prorusse à Kiev. Cela a provoqué une guerre civile dans les régions russophones de l’est de l’Ukraine qui faisait toujours rage en 2015.

L’UE était consciente du caractère fasciste de ses alliés ukrainiens. Le Parlement européen avait voté en 2012 une résolution dénonçant Svoboda, l’un des partis qu’il a ensuite mis au pouvoir à Kiev. Affirmant que les «opinions racistes, antisémites et xénophobes de Svoboda vont à l’encontre des valeurs fondamentales de l’UE», le Parlement européen a appelé les partis démocratiques à «ne pas s’associer à ce parti, à le soutenir ou à former des coalitions avec lui».

Cependant, après que l’impérialisme américain et européen aient mis Svoboda au pouvoir, les médias européens ont traité de «mensonge suprême» l'affirmation que l’UE travaillait avec les néo-fascistes.

Ce sont là les origines politiques réactionnaires de la campagne anti-fake news, et en particulier de l’East Stratcom. Selon le communiqué, l’agence doit «identifier, analyser et avertir quotidiennement quant aux campagnes de désinformation russes en cours». Selon ses statuts, son but principal est d’assurer «une communication et une promotion efficaces des politiques de l’UE dans le voisinage oriental», c'est-à-dire promouvoir la politique agressive de l’UE et ses liens avec les néo-fascistes en Europe de l’Est.

Ce qui se passe en Europe est un avertissement pour les travailleurs. Un organisme créé pour promouvoir Svoboda et le Secteur droit, qui glorifient les forces ukrainiennes qui ont participé à l’Holocauste nazi en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, pourra à présent censurer l’Internet et les médias européens.

Cela témoigne d'un effondrement historique de la démocratie européenne qui s'amplifie depuis des décennies. Les 26 ans après la dissolution par la bureaucratie stalinienne de l’URSS ont vu une spirale d'austérité et de guerres impérialistes au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe de l’Est. Le capitalisme européen est en faillite et, près d’une décennie après le krach de Wall Street en 2008, les inégalités atteignent des niveaux incompatibles avec les formes démocratiques.

Les jeunes et des dizaines de millions de chômeurs n'ont pas avenir, et la colère sociale atteint des niveaux explosifs. Selon le sondage «Generation What», plus de la moitié des jeunes Européens participeraient à un «soulèvement de masse» contre l’ordre social. La réaction de l’impérialisme européen est de préparer l'autoritarisme et la répression, et de dénoncer toute critique sérieuse de ses politiques comme étant des fake news russes.

Cette campagne anti-fake news vise notamment l'Espagne. En octobre, Madrid a suspendu l'autonomie catalane après l'agression par la police des électeurs au référendum sur l’indépendance catalane du 1er octobre. Berlin, Londres et Paris ont déclaré leur soutien pour Madrid. Le général Fernando Alejandre menaça la Catalogne d’une intervention militaire et salua les faits d'armes de l’armée espagnole « de toutes les époques », donc aussi l’invasion de la Catalogne en 1939 par le dictateur fasciste Francisco Franco pendant la guerre civile.

Les médias européens, Madrid et East Stratcom dénoncent les critiques de Madrid, et du soutien de l’UE pour la répression en Espagne, en tant que fake news. Lundi, le Guardian a écrit: «Selon des responsables de l'organisme East Stratcom à Bruxelles, il y a une augmentation de la désinformation liée au référendum catalan, en fonction de l’explosion de la médiatisation de ce dossier».

En tant qu'exemple de la «recrudescence de la désinformation pro-Kremlin et des mensonges sur la crise politique en Catalogne», le Guardian a cité le post sur Facebook d'un homme politique moldave, Bogdan Ţîrdea: «Les fonctionnaires européens ont soutenu la violence en Catalogne».

Comme en Ukraine, l’élite dirigeante traites de telles déclarations de fake news et de propagande russe non pas parce qu’elles sont fausses, mais parce qu’elles risquent de provoquer de l'opposition.

Les affirmations que Moscou et ses alliés ont provoqué la crise catalane ou l’ont utilisée pour calomnier l’UE sont des mensonges réfutés par les propres déclarations de Madrid. Une semaine après le référendum, Madrid saluait le soutien réactionnaire de Moscou à la répression. Son ambassadeur en Russie, Ignacio Ibanez Rubio, a dit : « L’Espagne approuve la position officielle de la Russie. Dès le début, la Russie a reconnu qu’il s’agissait d’une affaire intérieure de notre pays... Nous sommes donc très satisfaits de la position de la Russie sur la crise en Catalogne ».

Le mouvement vers un régime autoritaire policière en Europe et la campagne médiatique contre les «fake news » russes soulignent à nouveau l’importance des reportages du «World Socialist Web Site», son opposition à l’UE et sa lutte contre la censure mené par Google. Il s'avance en tant que principale voix d'opposition à la légitimation de autoritarisme et de l'extrême droite en Europe.

(Article paru d’abord en anglais le 16 novembre 2017)

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