«Ils font la guerre quand c’est nécessaire»

Le ministre de la Défense du Niger révèle le rôle militaire des États-Unis en Afrique de l’Ouest

En soulignant que l’embuscade du 4 octobre qui a tué quatre Bérets verts américains va servir de prétexte pour une intensification majeure des opérations militaires américaines dans la région, le ministre nigérien de la Défense, Kalla Mountari, a demandé aux États-Unis de déployer des drones armés contre des militants réputés.

Au cours d'une interview accordée à Reuters mercredi, Mountari a dit: «Je leur ai demandé il y a quelques semaines de les armer (les drones) et de les utiliser au besoin.» Lorsqu'on lui a demandé si Washington avait accepté, Mountari a sinistrement répondu: «Nos ennemis vont le découvrir.»

Washington prétend que les 800 membres des forces spéciales américaines cantonnées au Niger ne jouent un rôle que d’entraînement et d’aide à la surveillance aux forces nigériennes et ne participent pas au combat directement.

Jetant une lumière sur l’opération conjointe du 4 octobre dirigée par les soldats d’élite américains, Mountari a révélé que l'équipe de 12 commandos et de 30 soldats nigériens s'était rendue «jusqu'à la frontière du Mali et avait neutralisé quelques bandits» quelques instants avant l'embuscade.

Discréditant la version frauduleuse américaine de son rôle de non-participation aux combats Mountari a déclaré: «Ils [le contingent américano-nigérien] sont revenus au Niger, ils ont accueilli la population, ils ont recueilli des renseignements et c'est à l'intérieur du pays, alors qu'ils ne s'attendaient à rien, que l'attaque a eu lieu.»

Cet aveu accablant de la part du plus haut responsable militaire du Niger ne fait pas que démasquer le mensonge selon lequel les soldats d'élite de Washington ne joueraient aucun rôle de combat direct, mais illustre clairement que les États-Unis mènent de front l'offensive militaire dans la région.

Mountari a corroboré ceci en disant: «Les Américains ne font pas qu’échanger des informations avec nous. Ils font la guerre quand c'est nécessaire. Nous travaillons main dans la main. La preuve évidente est que les Américains et les Nigériens sont tombés au champ de bataille pour la paix et la sécurité de notre pays.»

L'annonce publique de la demande de frappes de drones survient alors que le gouvernement Trump a accepté de fournir 60 millions de dollars pour une nouvelle offensive militaire soutenue par l'ONU en Afrique de l'Ouest, ainsi que l'achèvement d'installations de 100 millions de dollars pour accueillir des drones à Agadez au Niger.

Lorsque tous ces développements sont pris ensemble, il faut supposer qu'une importante attaque militaire américaine est imminente dans la région riche en ressources.

L'ampleur du déploiement des forces américaines dans toute la région a été soulignée par des reportages récents sur l'assassinat en juin du sergent-major des Bérets verts Lance Melgar dans un complexe de logements à l'ambassade des États-Unis au Mali voisin, soupçonné d'avoir été exécuté par deux Navy Seals (commandos américains) non identifiés.

Les troupes d'élite faisaient partie des opérations antiterroristes américaines au Mali, chargées d'une mission similaire à celle menée par les soldats d'élite au Niger.

Illustrant le caractère meurtrier du type d'opérations menées par les commandos d'élite déployés au Sahel, les Navy Seals faisaient partie de l'opération spéciale menée en 2011 sur l'enceinte d'Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, dans laquelle le dirigeant d'Al-Qaïda a été tué.

Les soldats américains déployés en Afrique de l'Ouest proviennent principalement d'unités militaires d'élite, comme les Navy Seals et les Bérets verts, qui mènent les opérations les plus secrètes et illégales de Washington dans le monde entier: assassinats, raids antiterroristes, reconnaissance spéciale, guerre non conventionnelle, opérations psychologiques et entraînement de troupes étrangères.

Lundi, lors d'une audience devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'ambassadrice Nikki Haley a promis officiellement une contribution de 60 millions de dollars à la force du G5 Sahel, une unité militaire dirigée par les États-Unis et la France composée de 5000 soldats des cinq pays ouest-africains, le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger.

En juin, la France a présenté un projet de résolution devant le Conseil de sécurité de l'ONU demandant à l'instance de financer le G5 Sahel, et a demandé au Conseil d'accorder à la force des 5 nations un mandat de grande envergure pour «utiliser tous les moyens nécessaires» afin de mener à bien sa mission de neutralisation des militants islamistes, trafiquants de drogue et trafiquants de personnes.

La demande de désignation du G5 Sahel comme force offensive montre une similitude avec le mandat confié à la brigade d'intervention de la force de l'ONU formée en 2013 pour neutraliser la milice rwandaise du M23 dans l'est du Congo.

Washington, en acceptant de financer le G5 Sahel, s'est opposé vivement à la proposition française de donner une autorisation complète à la force, arguant que la résolution était trop générale et inutile. Les préoccupations sous-tendant cette opposition de Washington sont liées à l'idée que la France pourrait obtenir un avantage stratégique sur les États-Unis en Afrique de l'Ouest.

Le secrétaire d'État américain, Rex Tillerson, en promettant le financement, a clarifié l'objectif de Washington d’une domination géopolitique du Sahel: «Vaincre le terrorisme, c'est s'assurer que les organisations terroristes ne peuvent trouver refuge sur aucun continent. C'est un combat que nous devons gagner, et ces fonds joueront un rôle clé dans la réalisation de cette mission.»

L'objectif déclaré de Washington de «combattre les rebelles islamistes» laisse délibérément de côté le fait que ces mêmes militants islamistes faisant des ravages à travers le Sahel sont le résultat de la stratégie des États-Unis d'utiliser ces mêmes forces comme une armée par procuration dans la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Libye. Suite à l'effondrement de la société libyenne et à l'assassinat du dirigeant du pays, Mouammar Kadhafi, ces combattants se sont dispersés à travers l'Afrique du Nord et à travers le Sahel.

Derrière l'escalade américaine de son offensive militaire dans le Sahel repose la conception impérialiste plus large de Washington de sécuriser les vastes ressources économiques de l'Afrique pour l'élite capitaliste américaine, en concurrence directe avec leurs rivaux européens qui maintiennent des intérêts économiques importants dans leurs anciennes colonies sur le continent.

Surtout, la poussée de Washington pour la domination géostratégique sur l'Afrique de l'Ouest est motivée par les inquiétudes sur l'influence économique croissante de la Chine dans la région, que Washington perçoit comme une intervention intolérable qui ne peut être contrée que par la puissance militaire.

Pékin a obtenu des accords avec le gouvernement nigérien en 2008 pour extraire les gisements de pétrole du pays, en acquérant le bloc d'Agadem près de la frontière avec le Tchad. Selon les termes de l'accord, la société d’État chinoise China National Petroleum Company (CNPC) a projeté la construction d'une raffinerie et d'un pipeline de 3200 km qui permettraient la production de 20.000 barils par jour.

(Article paru en anglais le 2 novembre 2017)

Voir aussi:

Pourquoi les États-Unis sont-ils en guerre en Afrique de l'Ouest?

[16 octobre 2017]

 

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