Perspectives

États-Unis : L’émeute de la police à Saint-Louis

Le meurtre de Anthony Lamar Smith en 2011 par un policier de Saint-Louis, Jason Stockley, était sans le moindre doute possible un meurtre par la police.

Smith était un Afro-Américain de 24 ans qui s’éloignait en voiture d’une zone d’intervention de la police dans ce qui, d’après les policiers, était une vente de drogue. Stockley, qui est blanc, a été enregistré sur une caméra embarquée disant : « Je vais tuer ce fils de pute, tu le sais, non ? » Moins de 45 secondes plus tard, son partenaire, Brian Bianchi, a percuté la voiture de Smith avec leur SUV (4x4) de police. La vidéo de l’incident montre que Smith est restée dans la voiture et n’a pas tenté de fuir.

Stockley a sauté du SUV et a tiré sur Smith cinq fois. Les preuves médico-légales ont révélé que Stockley a tiré la balle qui a tué Smith à six pouces de distance. L’officier est ensuite retourné dans son véhicule, a fouillé dans un sac à dos et est retourné à la voiture de Smith pour dissimuler un pistolet sur la victime. Les tests ont montré que l’arme n’avait que l’ADN de Stockley.

En plus de son arme de service, Stockley portait son propre AK-47 en violation du protocole officiel du service.

Malgré des preuves écrasantes, il fallut plus de quatre ans aux procureurs pour inculper Stockley. Lorsqu’il a finalement été arrêté pour meurtre au premier degré, une autre année et demie s’est écoulée jusqu’au verdict : « non-coupable » du vendredi dernier, prononcé par le juge de la Cour de circuit du Missouri, Timothy Wilson.

L’acquittement de Stockley a suscité une semaine de manifestations en grande partie pacifiques à Saint-Louis et dans les banlieues environnantes, exigeant la justice pour Smith et la fin de la violence policière.

La réaction violente et provocatrice de la police antiémeute, avec le kettling (encerclement et isolement d’une foule par des cordons policiers) et l’arrestation massive des manifestants et le spectacle fasciste des flics chantant « À qui sont les rues ? À nous ! » révèle l’état réel des relations de classe en Amérique.

L’Administration Trump et l’État capitaliste s’emparent de l’indignation inévitable provoquée par l’aval judiciaire de ce meurtre policier pour légitimer la violence quotidiennement exercée dans les communautés ouvrières par les troupes de choc en uniforme de la classe dirigeante. Il y a tout juste quelques semaines, Trump a pris la parole devant la police de Long Island et a encouragé les policiers à être « brutaux » avec les détenus.

Il y a eu une provocation délibérée dans les jours précédant l’annonce du verdict. En anticipant le blanchiment de Stockley, les responsables de la ville et de l’État, démocrates comme républicains, ont pratiquement défié directement les travailleurs et les jeunes d’oser descendre dans les rues, ils ont impliqué clairement que toute dissidence serait réprimée.

Les tensions ont été exacerbées par l’annonce, une semaine à l’avance, que le juge avait pris sa décision. Les médias prédisaient des émeutes sauvages. Les policiers ont été mobilisés bien avant la décision du vendredi par la Maire Démocrate, Lyda Krewson, tandis que le gouverneur Républicain, Eric Greitens, a placé la Garde nationale en alerte. Le palais de justice et la mairie ont été barricadés. Les écoles ont été fermées. Les entreprises ont été conseillées d’obturer leurs fenêtres et renvoyer les employés à la maison dès le jour du verdict.

La police a jusque maintenant arrêté 165 personnes, même si les manifestations ont été relativement faibles. Le droit constitutionnel de s’assembler pacifiquement et à la liberté d’expression ont été rendus nul et non avenu, car la police a cerné systématiquement les manifestants, elle leur a ordonnés de partir, puis elle les a arrêtés en justifiant l’arrestation par leur refus de se disperser.

L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) du Missouri a intenté un procès lundi contre la ville de Saint-Louis pour conduite inconstitutionnelle de la police, notamment le kettling, l’utilisation d’un spray au poivre, et tenter d’empêcher l’enregistrement vidéo de l’activité de la police.

Saint-Louis est en train d’être utilisé pour établir un précédent. Sous Trump, il n’y a aucune lutte contre les meurtres policiers et aucune enquête fédérale.

Le verdict de Stockley est intervenu trois ans et un mois après qu’un autre flic de la région de Saint-Louis a assassiné Michael Brown, âgé de dix-huit ans, à quelques pâtés de maisons d’où Smith a été tué et dans la même rue – l’avenue Florissant. Le tueur de Brown, Darren Wilson, n’a jamais été inculpé. Le ministère de la Justice sous Obama a refusé de porter plainte contre lui pour violation des droits civils.

Au lendemain du meurtre de Brown et des manifestations qui ont suivies à Ferguson, le Parti démocrate, l’Administration Obama et les journaux tels que le New York Times et le Washington Post ont pleuré des larmes de crocodile au sujet de sa mort et ont appelé à la « guérison ». Après que le Gouverneur d’alors, Jay Nixon, un démocrate, a appelé Garde nationale, un certain nombre de chroniqueurs, de politiciens et d’autres moralisateurs ont fait diverses suggestions : caméras corporelles, meilleure formation policière, plus de pouvoir pour des conseils de surveillance, le recrutement de plus de policiers et de chefs de la police afro-américains et issus des minorités, etc., etc.

Trois ans plus tard, les atrocités se poursuivent sans fin. Le nombre total de meurtres par la police à l’échelle nationale cette année devrait dépasser le total de 1116 de l’année dernière, avec 874 personnes déjà mortes cette année, à la date de vendredi. Prendre une balle de la police est un risque bien réel pour des dizaines de millions d’ouvriers américains, de toutes les races. Rien qu’au cours de la semaine passée, la police a tiré et a tué un étudiant blanc à Atlanta et un hispanique à Oklahoma City.

Ni capables ni disposés à proposer des politiques visant à remédier à la crise sociale désespérée à laquelle font face à des dizaines de millions de travailleurs et de jeunes, les agents politiques de l’oligarchie financière construisent l’appareil de répression de l’État. Maintenant, ils donnent à la police un feu vert pour mener à bien leurs activités d’escadrons de la mort en toute impunité.

Le maire démocrate de Saint-Louis et le gouverneur républicain ont fait l’éloge de la « retenue » de la police de Saint-Louis, et les médias patronaux ont fait des exactions de la police un non-sujet. Ni le New York Times ni le Washington Post n’ont commenté dans leurs éditoriaux le comportement de soudards des policiers.

Black Lives Matter et les partisans de pseudo-gauche de la politique fondée sur l’identité, y compris les Democratic Socialists of America et les Socialist Alternative, continuent d’insister sur l’idée que la violence policière ne serait qu’une question de race et de racisme. Ces organisations cherchent à obscurcir les problèmes fondamentaux de classe et à diviser la classe ouvrière selon les lignes de race, d’ethnie et de genre.

Il y a eu une différence notable dans l’approche adoptée par la police de Saint-Louis lors d’une manifestation White Allies Only [réservée aux blancs alliés] jeudi soir approuvée par la DSA et la Socialist Alternative, indiquant le soutien tacite de l’administration de la ville pour la politique fondée sur l’identité raciale de cet événement. Il n’y a pas eu d’arrestation et la police a regardé de loin, car les manifestants portaient des pancartes « Black Lives Matter » et « White Silence = White Violence ».

Bien que le racisme joue un rôle important dans le nombre disproportionné de victimes afro-américaines, le sang répandu quotidiennement par la police aux États-Unis viens de toutes les races et de toutes les ethnies. Ce que la grande majorité des victimes ont en commun, c’est qu’ils sont pauvres et ouvriers.

L’acquittement de Stockley était entaché de racisme. Dans sa décision, le juge Wilson a écrit que « un marchand d’héroïne urbain qui n’est pas en possession d’une arme à feu serait une anomalie ». Il ne fait aucun doute que ici « urbain » est un euphémisme pour « noir ».

Mais il faut aborder la question du racisme, comme toutes les autres questions sociales, du point de vue historique et scientifique. Ce n’est pas quelque chose d’ancré dans la « nature humaine ». Il est plutôt enraciné dans la structure sociale très matérielle et oppressive du capitalisme, fondée sur l’exploitation économique de la classe ouvrière. Il a longtemps servi et continue à servir, d’arme idéologique et politique de la classe dirigeante, pour diviser la classe ouvrière et entraver la croissance de la conscience de classe.

L’instrument essentiel pour défendre les intérêts de la classe dominante et réprimer la classe ouvrière est l’État qui, comme Lénine l’a expliqué en citant Engels, se compose de « corps spéciaux d’hommes armés », y compris la police, les prisons, etc. C’est l’État, non pas d’une race ou d’une couleur, mais d’une classe, de la classe capitaliste.

Dans son discours fasciste à l’ONU mardi, Trump a senti le besoin, apparemment venu de nulle part, de lancer une attaque contre le socialisme. Cela reflète la peur au sein de l’élite dirigeante de la croissance du sentiment anticapitaliste et socialiste dans la classe ouvrière. Cette peur est bien fondée.

L’opposition de masse à la guerre, à l’inégalité sociale et à la répression se développe. La tâche essentielle est le développement d’une nouvelle direction politique pour unir la classe ouvrière au-delà de toutes les frontières raciales, religieuses et nationales dans une lutte commune et politiquement consciente pour mettre fin à toutes les formes d’oppression, en mettant fin au système qui en est la cause – le capitalisme.

(Article paru d’abord en anglais le 23 septembre 2017)

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