Rentrée politique du FN: Le Pen se pose en alternative à Macron

Le Front national (FN) a effectué une rentrée politique officielle tardive le 9 septembre avec un discours de son ex-candidate à la présidence Marine Le Pen. Un discours précédé de nombreuses interrogations des médias sur l‘état et la trajectoire de ce parti après sa défaite au deuxième tour de l’élection présidentielle. Jeudi 7 septembre, Le Pen avait parlé au journal de 20 heures de TF1 d’une crise dans son organisation. Pour expliquer son silence de deux mois à l‘Assemblée nationale, elle avait dit avoir un « mal de dos ».

Des conflits virulents avaient éclaté au FN après l‘élection présidentielle et les législatives. Les néo fascistes entamant une « refondation », nombreux furent ceux qui ont alors parlé de crise majeure et de déclin durable.

Au centre des dissensions secouant le FN, où Le Pen elle-même ne fut pas épargnée, il y avait le conflit à propos de la ligne néofasciste sur l‘Union européenne et l‘euro. Le parti, qui voulait un « Frexit » (sortie de l‘UE et de l‘euro) avait changé de ligne en pleine campagne électorale début 2017. Il réagissait à la pression des banques, hostiles à une sortie de l’euro, et au tournant de la politique impérialiste française vers une alliance militaire avec l‘Allemagne suite à l‘élection de Trump et à la décision de Berlin de lancer une politique militaire indépendante et à terme hostile aux Etats-Unis.

Un « séminaire de refondation » les 21 et 22 juillet avait seulement décidé de ne plus faire du « Frexit » une priorité. Le Pen avait dit le 6 juillet sur Europe1 vouloir tenter « la quadrature du cercle », concilier les deux lignes contradictoires de sortie et de maintien dans l‘UE.

Le principal défenseur du « Frexit » est le numéro deux du FN, l’ex-chevènementiste Florian Philippot ; le toujours président d‘honneur et fondateur du parti Jean-Marie Le Pen en est un autre. Un de ses principaux opposants est le secrétaire général du parti Nicolas Bay. « Pas la peine de s'obstiner » sur une sortie de l'euro, avait dit le responsable économique du FN, Bernard Monot, début juillet. La veille du discours de Le Pen, le député FN du Var Gilbert Collard avait déclaré que Le Pen était prête à abandonner l‘euro.

Dans son discours à Brachay (Haute-Marne) le 9 septembre, un exercice de démagogie repoussant tenu devant le logo « En avant pour un nouveau front », que les médias ont traité comme celui de tout autre parti traditionnel, Le Pen a surtout essayé d‘unir et de tranquilliser ses factions. Elle a répété maintes fois le mot « rassemblement » en enjoignant les frontistes à lancer la réorganisation du parti. L’objectif était manifestement d’éviter une dislocation prématurée.

Elle n‘a donc pas évoqué une seule fois la ligne du parti vis-à vis de l‘UE, se concentrant sur les thèmes de base des néofascistes, l‘agitation anti-immigrés et les invectives contre les musulmans en jouant de l‘amalgame nauséabond immigration-islam-terrorisme. Elle peignit l‘image apocalyptique d‘une France submergée par des hordes menaçant la « culture française ».

Autre objectif, celui de se présenter comme la seule opposition à Macron. Elle fustigea le libéralisme et les forces qui ont « pour seule valeur morale l‘argent », mêlant tout cela à une attaque du « cosmopolitisme » visant pêle-mêle Macron et Cohn-Bendit, en essayant de donner au tout une tonalité anti-capitaliste. Elle a dénoncé « un système économique inhumain », « l‘homme lui-même n‘est qu‘une force de travail, réduit au rang d‘objet au service de la production », qui rappelait surtout la vieille critique féodale réactionnaire du capitalisme par l‘aristocratie au 19e siècle.

Quel que soit le thème abordé, la conclusion était infailliblement la même : affaiblissement de la France, perte de l‘identité nationale, perte de la loyauté « entre le salarié et son entreprise ». Le Pen laissa peu de doute sur l‘orientation générale de son parti: la xénophobie, le nationalisme ultra, la répression étatique de la classe ouvrière et des couches les plus démunies de la société.

Les difficultés actuelles du FN ne veulent cependant pas dire qu’il a cessé d’être un facteur majeur de la politique de l‘aristocratie financière. Sa difficulté à résorber la crise est que la ligne défendue par Philippot reflète ce que pense une partie de la bourgeoisie, hostile à l‘Allemagne et qui voit ses intérêts mieux servis en dehors de l‘euro, alors que Macron et les sections dominantes de la classe dirigeante mènent une politique proallemande. Mais il n‘en est pas pour autant un parti « durablement affaibli » qui ne serait donc plus une menace pour la classe ouvrière.

Le FN a réussi à doubler ses électeurs entre 2002 et 2017, obtenant 10,6 millions de voix au 2e tour de la présidentielle, le PS ayant facilité son intégration comme parti présidentiel en l‘associant à ses opérations de renforcement de l’État et de destruction des droits démocratiques, puis en reprenant carrément ses politiques comme celle de la déchéance de nationalité. Entre 2012 et 2017, il s‘est établi dans de nombreuses régions. Le FN a 400 conseillers régionaux, contrôle une dizaine de mairies et a huit députés au parlement.

Comme le montre le discours de samedi, sa fonction principale est toujours d’être la troupe de choc de la bourgeoisie contre la classe ouvrière tout en la divisant sur une base raciste, même si Le Pen s‘est efforcée dans son discours de prendre ses distances envers le régime de Vichy (1940-1944), en citant de Gaulle en 1943.

Le passage à une politique de maintien dans l‘UE et de l‘euro est tout à fait compatible avec la traque aux immigrés, la suppression des droits démocratiques, la répression violente des travailleurs sous prétexte de guerre contre le terrorisme et l‘hystérie nationaliste pro-guerre. On a vu au siècle dernier l‘extrême-droite anti-allemande d‘avant la Première guerre mondiale se tourner, surtout après les grèves de 1936, vers une alliance avec l‘Allemagne qui déboucha sur Pétain et la collaboration avec les nazis. Selon les impératifs géopolitiques de l’impérialisme français et ceux de la contre-révolution sociale, le FN s‘engagera dans la voie qui s’impose.

Le FN reste un énorme danger pour la classe ouvrière. Considérer qu’il est en déclin parce qu’il a été momentanément écarté du pouvoir serait une grave erreur. La dévastation sociale mise en route par Macron, combinée à la politique de Mélenchon qui, de plus, apporte de l’eau à son moulin en niant la responsabilité de la France dans les déportations, fortifiera les néofascistes.

Dans la mesure où Mélenchon et les appareils syndicaux s'efforceront de bloquer l'expression de l'opposition indépendante des travailleurs à Macron, ceci aidera le FN à se présenter à des couches durement touchées par la crise comme une alternative à Macron et à l‘oligarchie financière.

Loading