«Ce qui nous arrive va aussi arriver aux autres»

Les grévistes de l’aéroport de Toronto prennent la parole

Des bagagistes et d’autres membres de l’équipe au sol sont en grève depuis plus d’un mois à l’aéroport international de Pearson à Toronto, en lutte contre Swissport, l’un des plus grands fournisseurs de services aériens.

Des travailleurs en grève retardent l’entrée de camions dans le principal aéroport de Toronto

Les 700 travailleurs se dressent contre les attaques de Swissport qui veut réduire davantage les salaires déjà peu élevés et attaquer les conditions de travail. Bien que Swissport, avec l’appui de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (AAGT) et l’appui tacite du gouvernement fédéral libéral, tente de briser la grève en utilisant des travailleurs de remplacement, la direction des Teamsters ne fait rien pour mobiliser la classe ouvrière en défense des travailleurs de Swissport. Les correspondants du World Socialist Web Site ont visité les piquets de grève à l’aéroport Pearson la semaine dernière pour parler aux grévistes.

David a commencé à travailleur à l’aéroport en 2003 au déglaçage central où il a été témoin de la détérioration des conditions avec les changements de propriétaires au fil des années. Un bagagiste depuis plus de trois ans avec Swissport, David a parlé au WSWS: «Ils veulent nous prendre nos salaires et avantages sociaux – ils veulent éliminer tout ça et ils veulent nous prendre nos vacances. Ils voulaient donner à tout le monde des quarts rotatifs, et donner à tout le monde seulement 96 heures pour dire, “OK, on va changer vos heures.”»

David a expliqué comment la décision de rejeter la dernière offre de convention collective dans un vote du 23 août et continuer la grève fut entièrement l’initiative des travailleurs. «Dans le dernier vote, le syndicat n’a rien dit sur la nouvelle offre de convention. Ils nous ont laissés faire le choix. Ils l’ont lu et ont ensuite dit: “Choisissez ce que vous voulez faire.”»

David a également parlé de la question de l’emploi de briseurs de grève non qualifiés par Swissport. «Ils ont des travailleurs d’agences qui n’ont pas de bonne formation», a dit David. «Que vont-ils faire, attendre que quelqu’un soit tué? Les choses ne sont plus faites de la façon dont elles devaient être faites quand j’ai été embauché. Dans le temps, il y avait un processus: il fallait avoir une passe jaune et être escorté. Il était interdit de sortir du bâtiment sans être accompagné. Maintenant ils distribuent ces passes comme s’il s’agissait d’autocollants. La sécurité n’est plus prise au sérieux ici. À mon avis, quelqu’un finira par être blessé.

Les grévistes de Swissport font plusieurs tâches, incluant la manutention des bagages, l’entretien, le remorquage et le déglaçage d’avions.

Gwen, qui travaille dans la manutention de bagages, a également soulevé des inquiétudes concernant la sécurité. «En ce qui concerne la grève, je pense que nous avons eu beaucoup d’appui de la part d’autres syndicats à l’aéroport. L’un des enjeux les plus importants est que l'AAGT a donné la permission de faire venir toutes sortes de travailleurs temporaires pour servir de briseurs de grève», a expliqué Gwen. «Malgré leurs promesses qu’ils n’utiliseraient pas de travailleurs de remplacement avant notre vote pour la grève, ils les permettaient déjà parce que Swissport les embauchait pour de l’aide d’été. Mais pendant toutes mes années de travail ici, ils n’avaient jamais des travailleurs d’agences temporaires pour de l’aide l’été. Jamais. L’un des problèmes les plus importants avec les travailleurs temporaires est la question de la sûreté et de la sécurité.»

Bob travaille en tant que bagagiste et aux opérations de déglaçage depuis plus de 27 ans. Il a raconté au WSWS comment les travailleurs ont tenté de défier l’emploi par Swissport de briseurs de grève sans formation. «On a porté plainte devant le Conseil du Travail. Notre argument est qu’ils avaient employé des briseurs de grève même avant la grève. Notre prochain rendez-vous est en septembre, alors on verra ce qui arrivera. On reste ici pour le long terme – on fera tout ce qu’il faut. Mais nous voudrions retourner à la table de négociations.»

Il a également souligné que les médias ignoraient le conflit. «Beaucoup de choses ne sont pas rapportées», a-t-il dit. «On n’entend pas beaucoup parler de retards de bagages aux nouvelles, mais il y en a beaucoup. Il y a eu des incidents. On a donné des vidéos et des images aux médias, mais on ne le voit pas vraiment aux nouvelles. Les autres syndicats sont tous là en solidarité, mais pour ce qui est d'agir avec nous, personne n’a vraiment fait le prochain pas.»

Bob a détaillé la pression croissante sur les travailleurs à l’aéroport. «Beaucoup des problèmes ici demandent de l’attention, les heures de travail, et ainsi de suite. C’est juste vol après vol après vol. Et ce n’est même pas tout. Ils étaient déjà en pénurie de main-d’oeuvre, alors c’est fou en ce moment», a-t-il ajouté.

«Selon la journée, on s’occupe d’avions à fuselage étroit et d’avions à fuselage large – il y a différents types d’avions. Avec le fuselage étroit, on est dans le ventre de l’avion, penchés et on balance en moyenne de 160 à 180 bagages par vol. Il se peut qu’on en fasse quatre ou cinq comme ça par jour; et dans toutes les températures: pluie et neige.»

«C’est demandant physiquement. Mais où est-ce qu’on peut aller? On essaie de travailler jusqu’à 65 ans, mais beaucoup de travailleurs se blessent. Alors on travaille jusqu’à un certain point et ensuite on est renvoyé, n’est-ce pas ?», a ajouté Bob.

Les travailleurs sont peu rémunérés pour ce travail pénible. «Le salaire minimum en entrant à ce moment est à 11,75 $, a-t-il ajouté. «Et les employés de longue date comme moi, ils veulent nous donner un montant forfaitaire de 2 % qui revient à environ 400 $. Dans trois ans mon salaire serait le même.»

La grève contre Swissport, l'un des plus grands fournisseurs de services aériens, en est à sa sixième semaine.

L’un de ses collègues a ajouté: «Ils parlent de limiter les salaires à 17,25 $ de l’heure. Qui peut vivre de ça? Je sais que nous on ne peut pas, et la plupart d’entre nous reçoivent beaucoup moins que ça.» Bob renchérit, notant que beaucoup de travailleurs perdraient leurs avantages sous un plan patronal visant à imposer un nombre minimum d'heures de travail pour empêcher les travailleurs à temps partiel d'avoir droit à ces avantages.

Glen, un manutentionnaire au sol et délégué syndical des Teamsters, était critique de la direction des syndicats en appui à la grève. «J’ai rencontré quelques autres syndicats hier quand je suis allé à la réunion et j’ai été très déçu», nous a-t-il informés. «Personnellement, je trouve qu’on n’a pas assez d’appui. Les syndicats qui travaillent dans l’aéroport en ce moment, comme IAM, USW et Unifor ne nous aident pas vraiment. Leurs négociations s’en viennent. Unifor négocie en ce moment. Ils vont se trouver dans la même situation que nous et nous serons là pour les appuyer.»

Glenn a commencé avec Handlex il y a 12 ans, qui a été acheté par ServisAir qui a ensuite été racheté par Swissport. Il a remarqué que l’entreprise mettait de la pression pour le plein contrôle des horaires. Ils peuvent me donner 72 heures d’avertissement pour me dire que je ferais le quart de nuit la semaine prochaine et le quart de jour la semaine d’après», a expliqué Glenn. «Je ne veux pas ça. Nous avons tous une vie de famille en dehors de Swissport.»

Il a remarqué que le plus haut salaire était de 22 $ de l’heure, même pour ceux employés depuis plus de 25 ans. «Je pense qu’ils veulent se débarrasser de tous ceux qui font les plus hauts salaires, faire rentrer des nouveaux et les former», a-t-il continué. «Je devais attendre 2 mois et demi pour ma passe jaune et regarde ce que ces briseurs de grève ont: des passes jaunes! L'AAGT leur a donné des passes jaunes tout de suite, après deux jours d’apprentissage. Ils les envoient sur la rampe, ils vont même leur dire de marcher sur les ailes et pour moi c’est un viol majeur des règlements de sûreté que le Conseil du Travail devrait vraiment examiner. L'AAGT et Swissport les laissent faire. Il y a tellement de violations de la sécurité à l’aéroport au moment où l'on se parle. Ça ne semble inquiéter personne.»

Steve, qui a commencé à travailler en tant que bagagiste avec Swissport en février, a un salaire de seulement 11,60 $. «On reçoit le salaire minimum, mais le travail que nous faisons n’est pas du travail de salaire minimum», a dit Steve. «C’est physiquement difficile et les horaires ne sont pas faciles à suivre. Ils veulent nous donner six jours de travail suivis de trois jours de congé, ce qui veut dire que je ne peux pas avoir d’autre vie. Je ne peux rien planifier en dehors de mon travail parce que je ne connais pas d’avance mes jours de congé.»

Pointant du doigt la file d’automobiles à l’entrée, Steve expliquait que les travailleurs appuyaient la grève. «La plupart des gens qu’on arrête travaillent ici. D’abord ils nous ont perçus comme étant dérangeants, mais ensuite ils ont réalisé que ce qui nous arrivait pouvait leur arriver. Ils ont ensuite essayé d’être plus empathiques et de nous appuyer plus», a-t-il dit. «Il y a une autre entreprise, Menzies, qui sont des bagagistes à Pearson, et leur contrat prend bientôt fin, je pense l’année prochaine au mois de mars et beaucoup d’autres contrats arrivent à échéance. Alors maintenant on a quatre agences temporaires qui ne font qu’attendre qu’une entreprise soit en grève.

«On essaie juste de se battre pour tout le monde maintenant: on est en quelque sorte le fer de lance. Ce qui nous arrive va aussi arriver aux autres.»

Lad, un bagagiste, disait que d’autres sections des travailleurs sont menacées. «Un autre truc est que Swissport veut d’immenses concessions de la part de l’équipage», a dit Lad. «Ils veulent une réduction salariale de 3 $. Ce sont nos collègues qui travaillent tout aussi fort que n’importe qui d’autre dans l’entreprise, d’habitude même plus fort. Présentement, ils reçoivent un bonus en faisant un entretien en profondeur, qui est incroyablement taxant physiquement, mais Swissport veut couper ça aussi.

«De plus, la direction rend notre travail souvent plus difficile. On nous demande souvent de faire une tâche sans qu’on nous donne les produits nécessaires ou l’équipement adéquat.»

(Article paru en anglais le 4 septembre 2017)

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