L’Aluminerie de Bécancour tient ses employés en lock-out depuis plus d’une semaine

Cela fait plus d’une semaine que les quelque 1100 employés de l’Aluminerie de Bécancour Inc. (ABI) ont été mis en lock-out par la direction de l’usine. Selon le syndicat, les négociations sont au point mort alors que la compagnie est déterminée à imposer une restructuration majeure des retraites et d’autres reculs au niveau des droits d’ancienneté.

L’impact du lock-out se fait déjà ressentir dans la région. Par exemple, l'important sous-traitant MBI, un des 150 fournisseurs et sous-traitants faisant affaire avec ABI, a déjà licencié 80 travailleurs permanents.

L’usine d’ABI, qui est détenue à 75% par Alcoa et à 25% par Rio Tinto Alcan, est la deuxième plus grande aluminerie en Amérique du Nord. Les cadres continuent d’exploiter une des trois séries de cuves à l’électrolyse, mais le syndicat a affirmé avoir de forts soupçons que la compagnie ait également recours à des briseurs de grève.

Les tribunaux ont récemment penché en faveur de l’entreprise en octroyant une injonction provisoire limitant à 15 le nombre de syndiqués présents aux piquets de grève. La compagnie a également embauché des gardes de sécurité provenant d’une entreprise privée qui photographient et filment les travailleurs et s’assurent de faire respecter l’injonction.

La compagnie a déclenché le lock-out le 11 janvier dernier après que les travailleurs affiliés à la section locale 9700 du Syndicat des Métallos aient rejeté massivement les dernières offres patronales. Les travailleurs avaient rejeté une première offre de la compagnie pour un système de pension à deux vitesses, ce qui aurait forcé les employés plus récemment embauchés à adhérer à un régime de retraite à cotisations définies dans lequel les travailleurs n'ont pas de prestation de retraite minimum garantie. Ils avaient également donné aux dirigeants syndicaux un puissant mandat de grève de 97%, que le Syndicat des Métallos a refusé d’exercer en insistant sur la nécessité d’un «règlement négocié» et sur le fait qu’il était prêt à faire des concessions.

La compagnie a ensuite proposé un système de pension financé entièrement par les travailleurs, peu importe l’ancienneté. Le rejet à plus de 80% de cette nouvelle entente pourrie a poussé la transnationale à déclencher le lock-out, qui cherche à mettre les travailleurs à genou et les forcer à accepter son diktat.

Bien que la compagnie cite la compétition des marchés mondiaux pour justifier son assaut sur les acquis de ses employés, Alcoa engrange des profits monstres. En 2016, l’entreprise a engrangé des recettes de plus de 9 milliards de dollars US. Son président directeur général actuel, Roy Harvey, reçoit un salaire et des compensations de près de 4 millions de dollars par année.

Faisant le silence sur ces profits faramineux, les médias de la grande entreprise cherchent, comme toujours, à monter la population contre les travailleurs. Dans un reportage publié samedi, La Presse parle de «clivage entre la population et les travailleurs» et préconise un nivellement vers le bas en qualifiant d’«enviables» les conditions des employés d’ABI.

L’attaque du géant de l’aluminium contre les travailleurs de Bécancour fait partie d’une offensive des grandes compagnies à l’échelle mondiale contre les acquis sociaux remportés de haute lutte par des générations de travailleurs. Que ce soit dans le secteur industriel comme celui de l’automobile et de l’aviation, dans le domaine manufacturier ou celui des ressources naturelles, les entreprises sont déterminées à maximiser leurs profits en attaquant les salaires, les conditions de travail et les acquis comme les retraites décentes.

Malgré l’ampleur des concessions demandées par l’entreprise, les dirigeants du Syndicat des Métallos, qui est affilié à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), ont une fois de plus affirmé leur ouverture et leur volonté de négocier avec l’employeur pour imposer des reculs aux travailleurs. «Nous, on est ouvert. On est prêt à s'asseoir et à aller négocier n'importe quand. On pense qu'on a des pistes de solution», a affirmé le chef de la section locale, Clément Masse.

Bien que les travailleurs de Bécancour font face aux mêmes attaques que leurs frères et sœurs de classe à travers le Québec et le Canada, le Syndicat des Métallos n’a lancé aucun appel sérieux pour mobiliser ses quelques 60.000 membres à la défense des ouvriers d’ABI, laissant ceux-ci complètement isolés. De son côté, la FTQ, avec ses 600.000 membres, n’a pas levé le petit doigt pour organiser la moindre résistance aux attaques patronales. Au lieu de se tourner vers d’autres sections de la classe ouvrière, les dirigeants des Métallos proposent plutôt de faire pression sur les élus gouvernementaux et les actionnaires de l’entreprise.

Des reporters du WSWS se sont rendus sur les lignes de piquetage afin de recueillir les impressions des travailleurs sur le conflit et développer une discussion autour des questions politiques soulevées. De manière générale, les travailleurs démontraient une grande volonté de lutter pour défendre leurs acquis et une ouverture à discuter des enjeux du conflit.

Une travailleuse a expliqué que le rejet des changements dans les retraites était motivé par le souci d’équité et l’importance de léguer un meilleur héritage aux prochaines générations. «Le gros litige au départ, c’était les retraites», a-t-elle dit. «Pour nous, l’important c’est de se battre pour qu’on ait tous les mêmes conditions. C’est inacceptable d’imposer aux nouveaux de moins bonnes conditions».

Un groupe de travailleurs qui faisait du piquetage à un autre endroit dans le parc industriel a accueilli les reporters du WSWS dans leur roulotte. Ils ont donné leur opinion sur le conflit et exprimé leur mécontentement face à la position de l’entreprise. Après quoi, la discussion a permis aux reporters d’élaborer sur la nécessité d’une lutte unifiée des travailleurs à l’échelle mondiale pour défendre tous les salaires et tous les emplois – de la même manière que les grandes transnationales de l’aluminium comme Alcoa et Rio Tinto qui organisent leur production et exploitent leur main-d’œuvre à l’échelle internationale.

Mais une telle lutte est impossible si elle demeure entre les mains du Syndicat des Métallos. Autant aux Canada qu’aux États-Unis, la United Steelworkers a torpillé les luttes fois après fois, conspirant avec les gouvernements et les patrons pour imposer des reculs aux travailleurs. Ce n’est pas le résultat de quelques mauvaises pommes dans la direction, mais d’un long processus historique. Au tournant des années 1980, les syndicats dans tous les pays ont répondu à la mondialisation en s’intégrant dans la gestion du système capitaliste et en collaborant ouvertement avec le grand patronat pour réduire les coûts de la main-d’œuvre et ainsi attirer les entreprises transnationales.

Pour rompre leur isolement, les travailleurs d’ABI devraient former des comités de la base indépendants de la bureaucratie syndicale et lancer un appel à tous les travailleurs industriels de la province, et aux employés d’Alcoa et Rio Tinto de par le monde, afin qu’ils viennent à leur défense dans une lutte commune pour assurer à tous des emplois de qualité. Ceci devrait servir de fer-de-lance d’un vaste mouvement d’opposition politique de toute la classe ouvrière contre le système de profit.

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