Une nouvelle étape dans la campagne de censure de Facebook: la priorité aux «nouvelles locales»

Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a annoncé le 29 janvier que la plate-forme de médias sociaux donnerait la priorité aux nouvelles provenant de «sources locales» dans le Fil d’actualité affiché aux utilisateurs. Cette annonce est la troisième dans ce qui est un déploiement progressif de mises à jour annoncées par Facebook depuis le début de l’année visant à censurer les informations en ligne.

Le 12 janvier, Facebook a signalé que les informations et le contenu politique seraient dépriorisés, c’est-à-dire affichés moins souvent, afin de favoriser plutôt l’affichage de «moments personnels». Une semaine plus tard, Zuckerberg annonçait que la priorité serait donnée aux articles publiés par ce qu’il appelle des sources «dignes de confiance», c’est-à-dire des médias pro-establishment tels que le New York Times et le Wall Street Journal.

Dans son message affiché annonçant ce plus récent changement, Zuckerberg a fait peu d’efforts pour dissimuler ses motifs politiques. Cela permettra de «calmer les ardeurs autour des questions nationales les plus conflictuelles et de se concentrer plutôt sur des problèmes locaux concrets», écrit-il, afin que la population puisse «progresser tout ensemble».

Vraisemblablement, cela signifie plus d’informations sur les ventes de biscuits par les étudiants et les événements sportifs, et moins sur l’administration Trump, la crise mondiale du capitalisme et le danger croissant de guerre mondiale.

Zuckerberg regrette apparemment le grand progrès technologique qui a créé le «World Wide Web» et a permis aux gens de tous les continents de communiquer rapidement entre eux et sans que les censeurs du monde des affaires et du gouvernement contrôlent ce qu’ils disent. Il préfère faire l’autruche avec la tête fermement enfoncée dans le sable.

Son message est bourré de novlangue orwellienne pour décrire toutes les mesures de censure de Facebook. Priver les utilisateurs de Facebook de lire ce qui se passe en dehors de leur voisinage immédiat aidera à «construire la communauté – tant en ligne que hors ligne» et à s’assurer que Facebook «n’est pas seulement amusant, mais aussi bon pour votre bien-être et la société».

Le milliardaire de Facebook ne veut pas que la population ait accès à des informations non filtrées sur des questions comme les préparatifs de guerre nucléaire du gouvernement américain contre la Corée du Nord, la Russie et la Chine, la censure sur Internet et l’espionnage de la population effectués par le gouvernement, les manifestations de masse dénonçant les raids anti-immigrants, la violence policière, les grèves des travailleurs ou des détails sur les niveaux croissants d’inégalité sociale, notamment le fait que cinq multimilliardaires (dont Zuckerberg) possèdent autant de richesse que la moitié de la population mondiale.

Bien que le changement ne s’applique initialement qu’aux comptes Facebook américains, Zuckerberg déclare que «l’objectif est de l’étendre à d’autres pays cette année». Signalant d’autres annonces de censure à venir, Zuckerberg conclut en se disant «impatient de partager plus de mises à jour bientôt».

Il y a plus de 2 milliards d’utilisateurs de Facebook dans le monde, et la majorité accède à l’information via la plate-forme de médias sociaux. Environ 45 % de la population américaine, soit 145 millions de personnes, accèdent aux nouvelles sur Facebook – le taux de lectorat le plus élevé de toutes les plates-formes de médias sociaux – selon une étude du Pew Research Center de novembre 2017.

Des millions de personnes se sont tournées vers des publications d’information indépendantes et alternatives par les médias sociaux précisément parce qu’elles fournissaient un moyen de contourner les médias de l’establishment, qui sont perçus et correctement identifiés de plus en plus par la population comme des moyens de propagande progouvernementale. Selon un autre sondage de Pew Research datant de 2016, la confiance de la population américaine envers les médias a chuté à 32 % cette année-là, soit le niveau le plus bas jamais enregistré.

En confinant les utilisateurs aux «nouvelles locales», les géants des médias sociaux cherchent à revenir au temps où la population n’avait accès aux nouvelles que par les journaux locaux essentiellement, et où elle ne pouvait rien lire à propos des événements internationaux autrement qu’en passant par la presse officiellement sanctionnée par le monde des affaires.

Dans son annonce, Zuckerberg explique que les journaux seront promus en fonction du nombre d’utilisateurs qui, dans une zone géographique restreinte, auront cliqué sur les liens menant vers leurs articles. Ce moyen de passer superficiellement en revue le contenu relègue explicitement en arrière-plan les sites Web qui par leur nature sont orientés vers un lectorat national ou international, tel que le World Socialist Web Site (WSWS), qui s’adresse à la classe ouvrière mondiale.

Elle impose également le monopole des conglomérats des médias géants, qui possèdent la grande majorité des plus petites publications locales. La concentration de la propriété des journaux s’est énormément développée au cours des deux dernières décennies, à travers un processus continu de fusions et d’acquisitions. Selon newsownership.com, une poignée de grandes sociétés médiatiques privées possédaient collectivement 1449 journaux en 2014, par rapport à 1128 dix ans plus tôt seulement. Et de nombreux autres journaux locaux ont tout simplement fermé leurs portes.

Plus tôt ce mois-ci, Facebook a annoncé qu’elle testait une nouvelle section de son application de téléphone mobile intitulée «Today in», qui n’inclue que des nouvelles, des activités et des annonces locales. Ce test est mené dans six villes américaines pour le moment. Tous les journaux qui y apparaissent doivent d’abord être approuvés et reconnus par l’équipe des partenariats d’actualités de Facebook.

La dernière annonce de Facebook a également coïncidé avec la sortie restreinte par Google, le 26 janvier, d’une nouvelle application pour téléphones intelligents, «Bulletin», afin de promouvoir ce que l’entreprise appelle des nouvelles «hyperlocales», définies comme étant «des nouvelles de votre communauté et pour votre communauté».

L’application permettra aux utilisateurs de publier des articles directement sur le Web par Google, sans avoir à créer leur propre blogue, page Web ou utiliser les médias sociaux. Ce que cela signifie dans la pratique, c’est que Google aura un contrôle encore plus direct sur l’hébergement de contenus d’information indépendants non contrôlés par les médias reconnus par l’État et le monde des affaires.

Google est déjà engagé dans la mise à l’index systématique des publications socialistes et de gauche – et tout particulièrement du WSWS – en réglant les résultats de son moteur de recherche de façon a bloquer les liens vers des domaines web spécifiques. Ce changement a été initié par Google en avril 2017 sous la bannière de la lutte contre les «fausses nouvelles» et de la promotion de ce que l’entreprise qualifie de contenu «fiable».

Le but des changements en cours a été clairement indiqué dans l’article de Zuckerberg accompagnant le dernier rapport sur les résultats de la société. Ce rapport a montré que l’utilisation de Facebook a en fait diminué pour la première fois l’an dernier, un fait que Zuckerberg accueille favorablement dans son message. Zuckerberg affirme que Facebook prend des mesures pour reléguer en arrière-plan les «vidéos virales», car ce matériel – qui comprend des vidéos sur la violence policière et des crimes de guerre – n’est «pas bon pour le bien-être des gens et la société». Cet argument vient compléter la campagne maccartiste menée par le Parti démocrate, les agences de renseignement et les sociétés de technologie, qualifiant toute l’opposition politique aux États-Unis comme le résultat de l’influence russe et des «fausses nouvelles» promues par le Kremlin.

Dans son message, Zuckerberg note en outre que Facebook utilise l’intelligence artificielle pour analyser chaque photo, vidéo, publication et message sur la plate-forme, afin de «comprendre tout le contenu de Facebook», ce qui revient essentiellement à surveiller des milliards de personnes (voir «De Facebook à Policebook»).

L’avalanche de nouvelles mesures de censure et de surveillance politiques de masse, maintenant publiées chaque semaine et même chaque jour, témoigne de l’exactitude et de l’urgence de la lettre ouverte du World Socialist Web Site «Pour une coalition internationale contre la censure d’Internet» adressée aux sites Web, personnes et organisations socialistes, de gauche et antiguerre. Nous exhortons nos lecteurs à lire et à partager largement la lettre et à entreprendre ce combat.

(Article paru en anglais le 6 février 2018)

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