Un mois de lock-out à l’aluminerie de Bécancour

L’Aluminerie de Bécancour Inc. (ABI), qui a mis ses employés en lockout le 11 janvier, maintient une ligne dure face aux demandes qu’elle reprenne les négociations avec le syndicat. Dans un communiqué diffusé en fin d’après-midi vendredi, l’entreprise a insisté qu’elle «doit augmenter sa productivité afin d’être plus compétitive» et que le lock-out faisait partie des «mesures nécessaires pour protéger ses gens et ses actifs après que le syndicat ait rejeté son offre».

Réagissant au communiqué, Clément Masse, le président de la section locale 9700 du Syndicat des Métallos qui représente les quelque 1030 employés de l’Aluminerie de Bécancour, a déploré l’absence d’une «volonté claire de négocier».

Depuis le début du lock-out, qui a été déclenché après que les travailleurs ont rejeté à plus de 80% l’offre finale de l’entreprise, le Syndicat des Métallos n’a rien fait pour mobiliser ses membres à la défense des employés d’ABI. Et dans un contexte où le syndicat ne cesse de répéter qu’il est ouvert à des concessions, ses appels à la négociation reviennent à offrir ses services à la compagnie pour les imposer.

L’aluminerie, possédée à 75% par Alcoa et 25% par Rio Tinto, exige des concessions majeures dans les retraites et la mobilité de la main-d’œuvre. Dans sa dernière offre, la compagnie proposait un nouveau régime de retraite dans lequel tous les risques financiers seraient assumés par les travailleurs.

Démontrant la servitude des syndicats et le gouffre qui les sépare des travailleurs qu’ils disent représenter, Clément Masse a souligné que des compromis, «on en a fait un méchant paquet». Et il a ajouté: «Des discussions avaient même lieu quant à la possibilité de renoncer à l’actuel régime de retraite pour en instaurer un nouveau répondant aux exigences de l’employeur».

Consciente de la colère des membres de la base, et de la sympathie dont ils jouissent parmi les gens ordinaires, la direction syndicale fait tout pour isoler les employés d’ABI. Elle refuse de lancer un appel à l’ensemble des travailleurs qui font face au même assaut patronal sur les plans de retraite et les conditions de travail. Elle craint avant tout la réponse enthousiaste que recevrait un tel appel, qui pourrait échapper à son contrôle et déclencher une vaste contre-offensive ouvrière pour la défense des emplois et des pensions.

Au cours des dernières semaines, des infirmières dans au moins trois hôpitaux, dont un situé à quelques kilomètres de Bécancour, ont mené des «sit-in» pour manifester contre la surcharge de travail. Sur Facebook, deux infirmières ont dénoncé les conditions de travail dans le réseau de la santé en publiant des messages qui sont devenus «viraux», chacun ayant été partagé plus de 60.000 fois et reçu des milliers de commentaires en appui.

Le Syndicat des Métallos, qui se targue d’être le plus grand syndicat du secteur privé et d’être affilié à la Fédération des travailleurs du Québec, a refusé de mobiliser l’ensemble de ses membres en défense des travailleurs de Bécancour. La FTQ, avec ses quelques 600.000 membres, ne mène aucune campagne sérieuse et se limite à quelques appuis verbaux insignifiants.

Les chefs syndicaux se tournent plutôt vers les partis de l’establishment, en particulier la faction «souverainiste» de l’élite dirigeante québécoise. Celle-ci est un défenseur tout aussi endurci de la grande entreprise, n’ayant pas hésité chaque fois qu’elle était au pouvoir sous l’emblème du Parti québécois (PQ) à adopter de féroces lois anti-grève et à sabrer dans la santé, l’éducation et d’autres services publics vitaux au nom du «déficit zéro».

Le Syndicat des métallos a déjà chaleureusement accueilli sur les lignes de piquetage Martine Ouellet, la chef du Bloc québécois, le parti frère du PQ sur la scène fédérale. Plus récemment, il a salué les efforts de tous les partis à l’Assemblée nationale qui ont voté une motion complètement bidon présentée par Québec Solidaire. La motion se contente de souligner «les impacts négatifs» du lock-out sur l’économie pour demander ensuite aux parties de «retourner à la table de négociation».

Avec cette motion, qui a été appuyée par l’ensemble des 125 députés de l’Assemblée nationale, le parti supposément «de gauche» qu’est Québec Solidaire sème des illusions fatales dans le régime parlementaire. Il cherche à camoufler la véritable nature de l’Assemblée nationale, à savoir que c’est l’instrument politique de la classe dirigeante québécoise dans son attaque tous azimuts – autant sous des gouvernements libéraux que péquistes – sur les programmes sociaux, les régimes de pension et les droits des travailleurs.

L’«appui» de QS aux lockoutés d’ABI est d’autant plus cynique qu’en 2015, le parti avait accueilli l’entente pourrie qu’avaient conclue les syndicats du secteur public avec le gouvernement – une entente qui imposait à plus de 500.000 travailleurs une augmentation de l’âge de la retraite et des hausses salariales sous l’inflation.

Depuis le début du conflit, les chefs syndicaux affirment que le lock-out n’a rien à voir avec les efforts de la compagnie pour augmenter ses profits sur le dos des travailleurs et que c’est seulement une façon de faire pression sur le gouvernement du Québec pour obtenir de meilleurs tarifs d’électricité. Cette analyse du conflit sert à justifier une attitude conciliatrice envers la compagnie, des appels aux actionnaires et aux partis de l’establishment, et surtout le refus de mobiliser leurs propres membres ainsi que les autres employés d’Alcoa et de Rio Tinto à travers le Canada et dans le monde.

Le caractère frauduleux de la ligne syndicale a été mis à nu par une entrevue du PDG de l’Association de l’aluminium du Canada, Jean Simard, accordée au quotidien Le Nouvelliste où il explique les motifs réels de l’entreprise dans son recours au lock-out.

Simard explique que les alumineries souhaiteraient évidemment toujours de meilleurs tarifs, mais ce que la compagnie et l’industrie désirent fondamentalement est de réduire les coûts de la main-d’œuvre pour augmenter leurs profits. «En Chine, il y a à peu près 200 usines qui produisent, en moyenne, 800.000 tonnes d’aluminium par année», souligne-t-il. «Les coûts de construction sont trois fois moins élevés qu’ici. La main-d’œuvre coûte beaucoup moins cher et les nouvelles usines sont beaucoup plus automatisées».

Si les chefs syndicaux demeurent silencieux sur la compétition mondiale c’est que depuis des décennies, plus particulièrement avec la mondialisation et l’apparition des transnationales, ils utilisent la menace des fermetures d’usines pour forcer les travailleurs à accepter des réductions de salaires et d’autres concessions.

Ils rejettent entièrement toute perspective basée sur l’unité internationale des travailleurs dans la lutte commune contre l’assaut patronal. En tant que bureaucrates grassement payés, ils cherchent plutôt à maintenir leurs privilèges en offrant leurs services au patronat pour imposer à leurs membres les reculs exigés.

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