La première ministre britannique May appelle à une lutte pour «vaincre le socialisme»

La première ministre Theresa May a promis un combat renouvelé pour «vaincre le socialisme» devant un auditoire de donateurs ultra-riches la semaine dernière lors du dîner annuel de collecte de fonds du Parti conservateur.

Ceux qui arrivaient en voiture Rolls-Royce, Bentley et Jaguar avec chauffeur à l’événement Black and White Ball, tenu au Natural History Museum de Londres, ont payé 15.000 £ pour franchir la porte.

Une fois à l'intérieur, les multimillionnaires et les milliardaires ont eu droit à un banquet dans le luxe, tout en se disputant des prix qui incluaient l'attention personnelle de la première ministre et des principaux membres de son cabinet.

Une journée avec Theresa May a été obtenue par une offre de 55.000 £ d'un donateur anonyme. Le dîner avec le secrétaire à la Défense, Gavin Williamson, dans les salles de guerre Churchill à Westminster, a rapporté 30.000 £ et un dîner fait maison avec le secrétaire à l'environnement Michael Gove et sa femme Sarah Vine, chroniqueuse du Daily Mail, a recueilli la somme inquiétante de seulement 12.000 £.

On comptait parmi les plus petits prix un chèque-cadeau de 1000 £ pour faire du magasinage au magasin de marque préféré de la première ministre, Fluidity, (même s’il est vrai que cette somme ne permet pas d’acheter grande chose), et une affiche d'origine de la campagne électorale de Margaret Thatcher en 1979 signée par elle-même intitulée Le Parti travailliste ne marche pas.

Les divisions amères au sein du parti qui ont menacé de déposer May à la tête du parti ont été mises de côté pour la soirée. Les principaux partisans d'un Brexit dur (sortie de l’UE sans accord) comme remplacement possible de May, Boris Johnson et Jacob Rees-Mogg, ont côtoyé le ministre des Finances Philip Hammond, dont certains ont exigé la démission pour avoir suggéré que le gouvernement britannique devrait minimiser les perturbations commerciales avec l'Union européenne (UE) à la sortie.

May a remercié les financiers super-riches du parti de ne pas être des «amis peu fiables» tandis qu’elle a promis «de protéger et de promouvoir les intérêts des entreprises britanniques qui font du commerce en Europe, et de même pour les entreprises de l’UE ici», après le Brexit.

«Nous élargirons nos horizons au-delà de nos proches voisins à travers les océans Pacifique et Atlantique vers des nations éloignées afin d'élargir et d'approfondir nos relations commerciales et de sécurité à travers le monde», a-t-elle déclaré.

Son hymne à l'avenir radieux de la Grande-Bretagne après le Brexit tranchait fortement avec sa présentation du capitalisme mondial en péril grave:

«Partout dans le monde, nous assistons à une montée du populisme, du nationalisme et du protectionnisme. Nous voyons que les grandes forces positives du libre-échange et du libéralisme économique, basées sur un système de règles, sont menacées.»

Il n'y avait aucune référence à la principale source de cette instabilité dans l'éclatement de «système de règles» – l'impérialisme américain – ni à la «menace terroriste» qui, depuis près de deux décennies, a été présentée comme le défi le plus sérieux à la sécurité britannique et internationale.

Au lieu de cela, près de 40 ans après que Thatcher eut promis de «faire reculer la marée du socialisme», et plus de 25 ans après la liquidation de l'Union soviétique qui a été présentée comme preuve définitive du triomphe du capitalisme, May a déclaré que la tâche à accomplir était une «mission renouvelée [...] à vaincre le socialisme aujourd'hui comme nous l'avons déjà vaincu».

Qu'est-ce qui explique cette déclaration extraordinaire?

Les propos de May ont été formulés à l’égard du dirigeant du Parti travailliste Jeremy Corbyn, à qui elle s’en est prise pour «la pratique de la politique populiste». En posant la question rhétorique à savoir ce que le Parti travailliste «propose» comme politique au Royaume-Uni, elle a répondu: «la renationalisation massive. La fuite du capital. Une baisse de la livre. Tout cela conduit à une Grande-Bretagne en faillite.»

En vérité, ce sont les politiques néolibérales défendues par Thatcher et approfondies par ses admirateurs dans le New Labour (du Parti travailliste) de Tony Blair qui ont ruiné la Grande-Bretagne. Après les activités criminelles et antisociales des spéculateurs financiers ont amené l'économie au bord de l'effondrement en 2008, la crise qui en a résulté a été saisie par l’élite dirigeante au pouvoir pour approfondir leur contre-révolution sociale contre les travailleurs.

L’aide sociale, les soins de santé, l'éducation et les autres services vitaux ont été détruits ou privatisés, de sorte que des millions de personnes peuvent se retrouver sans emploi et sans soutien social du jour au lendemain. Rien que ces dernières semaines, on a vu l'effondrement de Carillion, un important sous-traitant du gouvernement, compromettant les emplois et les services essentiels. Mais le pire est à suivre. Chaque jour, la menace d'une Troisième Guerre mondiale se profile.

En revanche, selon le magazine conservateur Spectator, «Depuis le krach, le montant de la richesse en Grande-Bretagne a augmenté de plus de 4000 milliards de livres, dont près de la moitié a profité aux 10 % des ménages les plus riches. Les prix des actifs typiquement détenus par les ultra-riches ont augmenté encore plus vite. Le prix des Ferrari de collection a quadruplé, tout comme les objets de collection similaires. C'est la magie de l'assouplissement quantitatif: les chiffres de la Banque d'Angleterre suggèrent qu'il a augmenté la valeur des actifs des ménages les plus riches de 125.000 £ tout en réduisant celle des plus pauvres de 300 £.»

La conséquence criminelle de ce pillage social est horriblement affichée à moins de 5 km du lieu du bal du Parti conservateur. Grenfell Tower, où au moins 71 personnes sont mortes en juin dernier, se trouve dans le même arrondissement royal de Kensington et de Chelsea – le plus riche d'Angleterre – que le Natural History Museum. Pourtant, les deux lieux peuvent aussi bien être des mondes à part. La carcasse calcinée de la tour est un terrible symbole de l'inégalité sociale et du mépris et de l'indifférence de l'élite dirigeante pour les travailleurs dont la vie ne vaut rien.

La semaine dernière, Anh Nhu Nguyen, d'origine vietnamienne, a été condamné à 21 mois d’incarcération pour avoir prétendu faussement que sa femme et son fils étaient morts dans la tour et réclamé 12.500 livres d'aide. Nguyen a des antécédents de maladie mentale et une série de condamnations. Pourtant, aucun des responsables du fait que la tour était enveloppée dans des matériaux hautement combustibles pour économiser de l'argent n'a même été interrogé, et encore moins traduit en justice. Huit mois plus tard, beaucoup des personnes touchées et rendues sans-abri par l’incendie restent dans des logements temporaires.

La bourgeoisie est consciente de la colère massive et grandissante quant à ces conditions. May a mentionné Corbyn comme représentant de cette explosion sociale en développement. Mais le chef travailliste n'est qu'un symptôme – et pour tout dire un exemple particulièrement insipide – pas la cause.

Un rapport du groupe de réflexion conservateur de droite, l'Institut Legatum, a conclu en septembre que les électeurs voulaient que «le gouvernement adopte une approche plus socialiste dans la politique économique en nationalisant à nouveau les chemins de fer et les services publics tout en créant un plafond salarial pour les mieux rémunérés […]».

Quelque 83 % des électeurs britanniques préféreraient la propriété publique des sociétés des eaux plutôt que la privatisation, 77 % voulaient la renationalisation des compagnies d'électricité et de gaz et 76 % étaient favorables à la renationalisation des chemins de fer, a indiqué le rapport. De tels sentiments de gauche ne trouvent qu'un léger reflet dans l'appel prudent de Corbyn, en réponse à la crise massive des services publics, à créer une «économie mixte» adaptée aux besoins du «21e siècle».

Comme le Spectator lui-même a commenté en ce qui concerne les fortunes contrastées des personnes super-riches et travailleuses, «La folie explique pourquoi le socialisme de style des années 1970 fait un retour. C'est une forme parfaitement logique de protestation contre une économie qui a été effectivement truquée en faveur de ceux qui sont au sommet.»

Quelles sont les implications de cette situation? Cette année est le bicentenaire de la naissance de Karl Marx. Comme David North l'a écrit dans la déclaration marquant l'anniversaire, «Les élites dirigeantes capitalistes modernes sont elles-mêmes devenues un obstacle absolu au progrès de la société humaine. La croissance de leur richesse personnelle a acquis un caractère terriblement métastasé, ce qui provoque une répulsion populaire et laisse présager la chute du système.»

Le message antisocialiste de May visait à exciter son public d’ultra-riches, mais ce sont des gens qui se sentent assiégés. Ils savent que le vent tourne et craignent avant tout que l'hostilité au capitalisme et la sympathie croissante pour le socialisme ne présagent une «intensification immense des tensions sociales et une escalade des conflits de classe dans le monde», et avec elles leur chute.

(Article paru en anglais le 15 février 2018)

À voir aussi:

Le bicentenaire de la naissance de Marx, le socialisme et la résurgence de la lutte des classes internationale

[10 janvier 2018]

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