La menace d’une guerre plane sur la Conférence de sécurité de Munich

« L’une des caractéristiques les plus curieuses » des deux dernières années avant la Première Guerre mondiale, écrit Christopher Clark dans son livre The Sleepwalkers (Les somnambules), était qu’« alors même que l’accumulation des stocks d’armes continuait à prendre de l’ampleur et les attitudes de certains dirigeants militaires et civils devenaient de plus en plus agressives, le système international européen dans son ensemble a fait preuve d’une surprenante capacité de gestion de crise et de détente. »

On se souvient de ces lignes à l’instant qu’on se penche sur la Conférence sur la sécurité de Munich (MSC), qui commence aujourd’hui en Allemagne.

La réunion annuelle rassemble des centaines de représentants politiques et militaires de haut rang, qui participent aux débats du programme principal, à des centaines d’événements en marge et à de nombreuses réunions secrètes. Les deux parties de plusieurs zones de conflit à travers le monde sont représentées.

Le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov et le président ukrainien Petro Pooroshenko sont tous deux à Munich. Binali Yildirim (Turquie), Benjamin Netanyahu (Israël), Haider al-Abadi (Irak) et Tamim bin Hamad Al Thani (Qatar), ainsi que les ministres des affaires étrangères Mohammed Javad Zarif (Iran) et Adel al-Jubeir (Arabie saoudite).

Les États-Unis sont représentés par le secrétaire de la Défense, général James Mattis, le conseiller à la sécurité nationale, HR McMaster, le chef de la CIA, Mike Pompeo, et le chef de l’Agence de sécurité nationale, Dan Coats. Bien que l’Allemagne n’ait actuellement qu’un gouvernement par intérim, elle est représentée par quatre ministres : Ursula Von der Leyen (défense), Sigmar Gabriel (affaires étrangères), Thomas de Maizière (intérieur) et Gerd Müller (développement).

Les autres pays et institutions européens sont également fortement représentés : la Grande-Bretagne par la Première ministre Theresa May et le chef du renseignement Alex Younger, la Pologne par le Premier ministre Mateusz Morawiecki, et le ministre de la défense Mariusz Blaszczak, et Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et Federica Mogherini, haute représentante de la politique étrangère de l’UE.

Parmi d’autres participants figurent le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, des personnalités militaires de haut rang et des représentants d’organisations internationales telles que le Fonds monétaire international, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, la Cour pénale internationale et l’Union africaine, la Croix-Rouge et, en guise de feuille de vigne, Human Rights Watch.

La conférence se déroule sur fond de signes de conflits internationaux croissants et d’un grave danger de guerre. Le diplomate allemand Wolfgang Ischinger, président du MSC, a écrit dans l’introduction du Rapport du MSC, qui servira de base à la conférence : « L’année dernière, le monde s’est approché – beaucoup trop près ! – d’un conflit important. »

Parmi les exemples cités par Ischinger, il y avait les tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis, les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les tensions entre l’OTAN et la Russie, le démantèlement d’importants traités de contrôle des armements, tel le Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire.

Cependant, quiconque s’attendait à ce que la conférence de haut niveau s’efforce de calmer les tensions et de désamorcer la situation aurait été déçu. Au contraire, au cœur des discussions se trouve la question de savoir comment les grandes puissances assemblées, et les Européens en particulier, peuvent se réarmer en vue de futures guerres.

Le rapport de la MSC, qui décrit un scénario d’effondrement de l’ordre international, a un titre apocalyptique : « Au bord du gouffre – et de retour ? » En réponse à cette question, la conférence ne fait pas marche arrière, mais se prépare à sauter dans l’abîme. Avec le rapport de sécurité de 90 pages, Ischinger a présenté un rapport de 50 pages sur la défense européenne intitulé « Plus européen, plus connecté et plus capable. Construire les Forces Armées Européennes de l’Avenir ». Il contient un programme de réarmement fou pour l’Europe, dont l’équivalent n’a pas été vu depuis qu’Hitler, dans une démonstration de force sans précédent, a préparé la Wehrmacht pour la Seconde Guerre mondiale.

Ischinger a engagé les consultants d’entreprise McKinsey pour déterminer en détail quels systèmes d’armes pourraient être achetés et quelles guerres pourraient être menées si les puissances européennes augmentaient leurs dépenses de défense à 2 pourcents du PIB et coordonnaient leurs programmes d’armement et leurs armées.

Si cet objectif est atteint par les 28 membres de l’UE et la Norvège d’ici 2024, selon le document, « environ 114 milliards de dollars supplémentaires seraient disponibles chaque année pour la défense, soit l’équivalent de deux fois le budget britannique de la défense pour 2017 ». Le total des dépenses militaires européennes s’élèverait alors à 378 milliards de dollars, soit une augmentation de 50 pourcents. La moitié de cette augmentation « devrait provenir de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, car ces pays ont des PIB élevés et un budget de la défense relativement faible en termes de pourcentage du PIB ».

À peine capable de dissimuler leur satisfaction, Ischinger et McKinsey calculent combien de chars, de missiles et de systèmes d’armes l’Europe pourrait acheter pour cette somme. « La hausse des budgets de la défense pourrait ouvrir une fenêtre d’opportunité unique pour façonner les forces armées européennes du futur », écrivent-ils. « Les États-Unis ont lancé une augmentation analogue des dépenses en réponse aux attentats du 11 septembre ».

À un moment, ils reconnaissent qu’il y a un manque de chars en Europe : « Par exemple, les États-Unis ont plus de 2800 chars de combat principaux, tandis que les armées du Royaume-Uni, de France, d’Allemagne, d’Espagne et d’Italie en ont chacune entre 200 et 350. »

Ou ils posent la question : « Combien de temps cela prendrait-il pour acheter, à partir de rien, tout l’équipement nécessaire pour une mission de type Opération Unified Protector [la campagne aérienne sur la Libye en 2011] ? » La réponse, « L’Europe aurait besoin d’investir 1,3 année de ses dépenses totales d’équipement en 2024 (pourcentage du PIB tel quel) pour acheter les 670 systèmes d’armement requis. Cela montre que l’achat de l’équipement complet pour une seule grande mission est en soi un défi de taille en termes d’investissement requis. »

La réunion des ministres de la défense de l’OTAN, qui s’est tenue à Bruxelles un jour avant le début de la Conférence sur la sécurité de Munich, a souligné qu’il ne s’agissait pas simplement de questions hypothétiques. « Le partage du fardeau était un sujet de discussion clé », a rapporté l’OTAN. « Les ministres ont fait le point sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de l’engagement de l’OTAN en matière d’investissement de défense. En 2024, 15 alliés devraient consacrer 2 pourcents de leur PIB ou plus à la défense. « Nous allons dans la bonne direction, et j’attends encore plus de progrès dans les années à venir », a déclaré le secrétaire général Jens Stoltenberg. »

L’accord de coalition entre les partis conservateurs et les sociaux-démocrates allemands, qui doit servir de base aux nouvelles politiques du gouvernement, prône un renforcement militaire majeur et une coopération plus étroite en matière de défense en Europe. Ischinger, un diplomate de carrière à la retraite, s’est concerté intimement avec les ministères allemands de la défense et des affaires étrangères.

Le rapport de sécurité de Munich a clairement indiqué qui est la cible de ce programme de réarmement fou. Aux côtés de la Chine et de la Russie, il a identifié les États-Unis comme un adversaire potentiel. Les attaques les plus importantes contre « l’ordre international soi-disant libéral, un ensemble d’institutions et de normes conçues à la suite de la Seconde Guerre mondiale », « viennent de là où on ne les attendait pas », indique le rapport. « Comme le note G. John Ikenberry,"l’État le plus puissant du monde a commencé à saboter l’ordre qu’il a créé. Un pouvoir révisionniste hostile est en effet arrivé en place, mais il se trouve dans le bureau ovale, le cœur battant du monde libre." »

Les zones de conflit futures sont identifiées comme étant l’Europe centrale et orientale, l’Afrique et le Moyen-Orient. Mais l’effondrement de l’Union européenne, les cyberattaques et les troubles internes sont également considérés comme des causes potentielles de guerre.

Un chapitre est consacré au réarmement nucléaire. « Les puissances qui possèdent des armes nucléaires modernisent leurs arsenaux, les petits États dotés d’armes nucléaires renforcent leurs capacités et les accords de contrôle des armes sont violés », indique le document. « Un second âge nucléaire, avec plus d’acteurs et moins de stabilité, prend forme. »

Les documents et les projets de réarmement qui ont préparé le terrain pour la Conférence sur la sécurité de Munich ne laissent aucun doute sur le fait que les plans de guerre des puissances impérialistes sont très avancés. Le risque de mourir dans un conflit nucléaire est beaucoup plus élevé pour la génération d’aujourd’hui que la mort par une crise cardiaque ou un cancer. Malgré cela, aucun mouvement anti-guerre n’existe.

La raison en est que tous les partis qui ont protesté dans le passé contre le réarmement et la guerre ont fait la paix avec l’ordre capitaliste. Submergé par l’inégalité sociale, les tensions nationales et l’instabilité financière, le capitalisme est la cause fondamentale du danger de guerre. Seul un mouvement socialiste de masse de la classe ouvrière, qui relie la lutte contre la guerre à la lutte contre le capitalisme, peut en effet s’opposer à la menace de guerre. (Article paru en anglais le 16 février 2018)

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