Allemagne : Kühnert, le chef des jeunes du SPD, cherche à sauver le parti – et l’État

La semaine dernière, les dirigeants des sociaux-démocrates (SPD) et des chrétiens-démocrates (CDU / CSU) ont accepté de renouveler leur gouvernement de grande coalition. Depuis lors, le président des Jusos (Jeunes socialistes) Kevin Kühnert a fait une tournée en Allemagne sous le slogan #NoGroKo (No Grand Coalition), appelant à ce que l’accord de coalition soit rejeté par les membres du SPD à la consultation qui commence aujourd’hui.

Son apparition mardi soir à Berlin-Kreuzberg a montré clairement quels intérêts sociaux et politiques, quelles peurs et quels calculs se cachent derrière la campagne des Jusos, et quels sont les développements sociaux auxquels ils réagissent.

Kühnert et les Jusos ne se préoccupent pas d’organiser une lutte politique contre la grande coalition, et encore moins de mobiliser les travailleurs et les jeunes pour de nouvelles élections basées sur un programme socialiste. Leur but est de prévenir l’effondrement du SPD dans une nouvelle édition de la grande coalition et d’empêcher l’opposition populaire croissante de sortir du spectre officiel du parti.

« Peut-être que je porte même plus de responsabilités politiques d’État, dont d’autres personnes parlent tout le temps », a déclaré Kühnert. « Plus préoccupants que [de faire] 14, 15 ou 16 pour cent pour le SPD », pour lui, « nous avons maintenant une situation où le SPD et la CDU/CSU ont ensemble moins de 50 pour cent dans les sondages. » Les gens « cherchent des nouvelles voies, réelles ou perçues, dans notre paysage politique », et cela ne s’appliquait « pas seulement à l’alternative pour l’Allemagne (AfD) [d’extrême droit] » cela a rendu la « politique non seulement confuse, mais dangereuse ».

Dès le début de son discours, qui a attiré plus de 200 personnes, un bon résultat pour une réunion des Jusos, Kühnert a précisé qu’il n’a pas de divergences fondamentales avec l’accord de coalition, bien que cela constitue la base pour le gouvernement allemand le plus à droite depuis la fin de la dictature nazie. « Je pense que nos négociateurs ont obtenu le meilleur possible dans les circonstances », a-t-il déclaré. On pourrait aussi « voir clairement que notre parti était celui qui a participé à ces négociations avec des objectifs politiques en premier lieu ».

Kühnert n’a pas non plus exclu une coopération plus poussée avec la CDU/CSU. « Les Jusos n’ont jamais été contre les discussions avec la CDU/CSU », a-t-il assuré à son auditoire. « Dès le début – puisque les négociations de coalition avec le FDP (Parti libéral démocrate) et les Verts ont échoué en novembre –, nous avons dit que nous aimerions leur parler, nous pouvons parler d’un modèle de tolérance » (c’est-à-dire un gouvernement minoritaire CDU « toléré » par le SPD). Et ce train « n’avait toujours pas quitté la gare ». On pourrait dire « sur la base de ce document [l’accord de coalition], d’accord, ces sujets pouvaient être mis en œuvre sous la forme d’un gouvernement minoritaire ». Il croyait que « la CDU et le SPD au Bundestag [Parlement] pourraient rapidement se mettre d’accord sur de nombreuses questions de politique européenne. Également d’un sens partagé des responsabilités. »

Dans la discussion qui a suivi, un représentant du Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste) s’est prononcé contre l’accord de coalition réactionnaire et a appelé les membres du SPD présents à le rejeter. Il a adressé la question à Kühnert : en tant que membre de l’exécutif du SPD, pourrait-il donner un aperçu des plans de réarmement secrets discutés et savait-il comment l’objectif de dépenses de l’OTAN de 2 pour cent du PIB ; exigeant une augmentation du budget militaire d’environ 35 milliards d’euros d’ici 2024, comment spécifiquement l’objectif serait-il atteint ?

La réponse évasive de Kühnert montre qu’il ne s’oppose pas vraiment à la politique du militarisme, à l’augmentation des pouvoirs de l’État et aux coupes sociales. « Malheureusement », on ne pouvait « pas présenter la discussion sur le comité exécutif du parti SPD […] comme dans un plénum de gauche », a-t-il déclaré cyniquement. Ce qui se trouve dans l’accord de coalition n’était « pas un engagement clair envers l’objectif de deux pour cent de l’OTAN », mais signifiait « plus d’argent pour les armements ».

Cependant, les milliards envisagés n’étaient pour lui « pas pour le réarmement », mais « pour la défense ». Cette différenciation était importante pour lui. « Si vous maintenez une Bundeswehr [Forces armées], que vous le vouliez ou non, « quelque part vous êtes aussi un employeur » et devez prendre soin de cela, « que les gens ont des conditions de travail décentes, qu’ils n’ont souvent pas pour le moment. » Le réarmement serait « autre chose ».

Kühnert peut appeler les plans pour l’augmentation massive des dépenses militaires comme il veut, mais il précise lui-même que les sociaux-démocrates sont la force motrice derrière eux. Dans ce domaine de négociation, le SPD a réussi à assurer un « lien de : un à un » entre les dépenses de défense et ceux de l’aide au développement au cours des prochaines années, se vantait-il. Cela signifiait : « Pour chaque euro consacré aux dépenses de défense, le même montant est consacré à l’aide au développement ». Cela est pour lui « un succès pour le SPD » et un « bon point ».

Le plaidoyer de Kühnert pour l’armée suivit sa défense des coupes et des pouvoirs accrus de l’État de police figurant dans le contrat de coalition comme de véritables politiques sociales démocratiques. « En substance », il n’y aurait « toujours aucun moyen de se détourner, en particulier du régime d’austérité et de sanctions de ces dernières années », a-t-il admis. Cela s’appliquerait « aux autres demandes », comme les « 15 000 nouveaux policiers et autres ». Mais il faut « rester honnête » et dire : « Notre programme électoral n’était pas vraiment une rupture avec cette politique européenne et les 15 000. » À cet égard, il était erroné de critiquer l’accord de coalition « dans les endroits où nos revendications se trouvent ».

Cela en dit long sur le caractère de droite des Jusos qu’aucun des membres présents n’a critiqué « notre Kevin » depuis la gauche. La discussion tournait autour de la question de savoir si le SPD était condamné plus rapidement à l’intérieur ou à l’extérieur d’une grande coalition. Au début, un ancien membre du SPD a pris la parole et a déclaré : « Le SPD est foutu. Qu’est-ce qu’il y a comme autre solution ? S’il y avait de nouvelles élections, pourrions-nous nous retrouver avec 12 ou 15 pour cent ? » Bien entendu, « une grande coalition est toujours chargée des compromis », mais « si vous n’en faites pas partie, vous ne pouvez rien changer. »

La majorité des participants semblait opposée à la poursuite de la grande coalition, mais en même temps s’opposait avec véhémence à de nouvelles élections. Kerstin, membre du SPD de Kreutzer depuis 17 ans, a déclaré sous de chaleureux applaudissements : « Pourquoi sommes-nous constamment persuadés que si nous disons non à la grande coalition, il y aura de nouvelles élections ? Je ne peux toujours pas croire cela. » Merkel avait déclaré dimanche à la télévision qu’elle était « prête pour un gouvernement minoritaire. » Après tout, elle a exactement la même « peur des nouvelles élections que nous. » Et le président Steinmeier « ferait tout son possible pour empêcher ces élections. Parce que personne ne veut nous voir à 15 pour cent pour le moment. »

Les nouveaux membres présents ont apparemment rejoint le SPD pour des raisons similaires. Deux des quatre qui se sont exprimés se sont révélés être des responsables de l’Association berlinoise du Partito Democratico (Parti démocrate) de Berlin, qui est également profondément haïe parmi les travailleurs et les jeunes en Italie pour ses politiques d’austérité. Un autre a dit qu’il était « encore indécis » comment il allait voter dans le sondage des membres. Mais il croyait que « l’Europe et l’Allemagne méritent une meilleure politique ».

En fin de compte, Kühnert a promis aux membres du SPD présents qu’il se battrait pour le « renouvellement » du parti, indépendamment du résultat du scrutin.

Le président des Jusos peut déjà rêver de tenir le haut bureau de parti ; il changerait aussi peu la politique droite et anti-ouvrière du SPD que ses prédécesseurs à la tête des Jusos, y compris l’ancien chancelier Gerhard Schröder et le président désigné du SPD, Andrea Nahles. « Je ne veux pas mourir en beauté et ne faire aucun compromis », a-t-il lancé. Le SPD avait « prouvé » qu’il pouvait « faire des compromis difficiles et douloureux ». Après tout, « personne n’a gouverné aussi souvent au cours des 20 dernières années que nous l’avons fait ».

(Article paru d’abord en anglais le 20 février 2018)

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