Les conflits commerciaux s’intensifient

L’administration Trump devait annoncer hier comment elle appliquera les tarifs sur l’acier et l’aluminium décrits la semaine dernière. Alors qu’une guerre commerciale mondiale à grande échelle doit encore éclater, les grandes puissances se préparent à un conflit imminent.

Mercredi, la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, a déclaré que l’UE porterait l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce et travaillerait avec d’autres si Trump allait de l’avant. L’UE, a-t-elle confirmé, a dressé une liste de produits qui seraient soumis à des droits de douane à hauteur de 2,83 milliards d’euros si les États-Unis agissaient de la sorte. Les cibles pourraient inclure certains types de bourbon, et des produits alimentaires tels que le beurre d’arachide, les canneberges et le jus d’orange, ainsi que les motos Harley Davidson.

Mme Malmström a déclaré qu’elle hésitait à utiliser le terme «guerre commerciale» et que l’UE ne «voulait pas que cela devienne disproportionné». Mais elle a ajouté: «Nous devons prendre certaines mesures si cela se produit. Cela risque de porter un coup sérieux à l’économie européenne et à nos travailleurs.»

Les puissances européennes espèrent être exclues du fait qu’elles sont des alliées stratégiques des États-Unis, de sorte que les motifs de «sécurité nationale» sur lesquels Trump a annoncé les mesures ne leur seraient pas applicables.

Cependant, cet argument, qui a été avancé par l’ancien chef du Conseil économique national de Trump, Gary Cohn, qui a démissionné mardi, n’a pas fait grand effet alors que les nationalistes économiques de «l’Amérique d’abord» assument un plus grand rôle dirigeant à la Maison-Blanche.

Trump a profité d’une conférence de presse avec le premier ministre suédois Stefan Löfven mardi pour s’en prendre à l’UE. «L’Union européenne a été particulièrement dure vis-à-vis les États-Unis», a-t-il déclaré. «Leur attitude fait en sorte qu’il est presque impossible pour les États-Unis de faire des affaires avec eux. Et pourtant ils envoient leurs voitures et tout le reste...»

C’était une menace évidente que si l’UE réagissait aux tarifs de l’acier et de l’aluminium, les États-Unis riposteraient contre les voitures.

Le Canada – le plus grand exportateur d’acier vers les États-Unis – et le Mexique ont également demandé des exemptions au plan tarifaire. L’administration Trump a déclaré que toute exclusion de ce type dépendait de la soumission des deux pays aux exigences américaines dans le cadre de la renégociation en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a déclaré mercredi à la CNBC qu’il existait un mécanisme pour «exclure» des pays des tarifs douaniers. Mais cela ne s’appliquerait que dans la mesure où les États-Unis «réussiraient» à renégocier l’ALÉNA.

Dans une interview télévisée mercredi, le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a tenté de se montrer conciliant. «Nous n’essayons pas de détruire le monde», a-t-il dit en ajoutant «Ce n’est pas ça le but.»

Pourtant, les actions de l’administration ont des conséquences mondiales bien définies, comme l’a noté la Chambre de commerce des États-Unis, l’un des plus grands groupes de lobbying d’affaires du pays.

«La Chambre de commerce des États-Unis est très préoccupée par les perspectives croissantes de guerre commerciale qui mettrait en péril la dynamique économique à travers les réformes fiscales et réglementaires de l’administration», a déclaré un communiqué. «Nous exhortons l’administration à prendre ce risque au sérieux et à s’abstenir d’imposer de nouveaux tarifs mondiaux pour l’acier et l’aluminium.»

Les actions américaines ont provoqué la consternation dans les milieux politiques et financiers du monde entier. Le gouverneur de la Banque de réserve d’Australie, Philip Lowe, a attaqué les mesures de Trump et a averti que l’escalade et les représailles produiraient un «très grand choc pour l’économie mondiale».

Lowe a déclaré que les démarches étaient «très regrettables et une mauvaise politique», mais gérable pour l’économie mondiale, à condition qu’elles soient limitées à deux industries. Il a exprimé l’espoir que d’autres pays «resteraient immobiles et ne feraient rien», disant: «C’est la chose la plus difficile à faire dans certains cas, parce qu’il y a un impératif politique dans certains pays de réagir à une action injuste.»

Un thème émergent de l’opposition aux États-Unis n’est pas une répudiation de la guerre commerciale en tant que telle, mais la crainte que l’administration Trump utilise un instrument inefficace qui touche les alliés stratégiques des États-Unis plutôt que le véritable opposant, la Chine.

Dans le Wall Street Journal, Greg Ip a noté que les États-Unis n’étaient pas le seul pays à avoir une dent contre le commerce. Il y avait «d’innombrables pays» qui vivaient la même chose par rapport à la Chine.

«Pour le président Donald Trump, cela pourrait être l’occasion de mener une coalition contre le comportement commercial prédateur de la Chine. Au lieu de cela, il menace la guerre commerciale avec les pays qui formeraient une telle coalition, pour des produits moins essentiels à l’économie et à la sécurité nationale des États-Unis que les secteurs menacés par l’expropriation de la propriété intellectuelle par la Chine.»

Cette approche a été reflétée dans une lettre de 107 républicains de la Chambre envoyés à Trump mercredi, exprimant «une profonde préoccupation» au sujet de la perspective de larges tarifs mondiaux sur l’acier et l’aluminium.

Mettant en garde contre les «conséquences négatives non souhaitées» pour l’économie américaine, la lettre disait: «Nous soutenons votre résolution à traiter les distorsions causées par les pratiques déloyales de la Chine et nous nous engageons à agir avec vous et nos partenaires commerciaux pour une action significative et efficace.»

En août dernier, le bureau du représentant américain au commerce a ouvert une enquête en vertu de l’article 301 de la Loi de Commerce des États-Unis de 1974 pour déterminer si les actions chinoises en matière de transfert de technologie, de propriété intellectuelle et d’innovation étaient déraisonnables et préjudiciables aux intérêts américains.

Le rapport d’enquête est attendu dans quelques semaines. En vertu de la loi, le président a le pouvoir de riposter à ce qui est considéré comme des pratiques commerciales déloyales. Une enquête américaine menée l’année dernière a déclaré que la perte annuelle de biens contrefaits, de logiciels piratés et de vols de secrets commerciaux à l’économie américaine s’élevait à au moins 225 milliards de dollars et pouvait atteindre 600 milliards de dollars. Il a désigné la Chine comme le principal coupable.

Bloomberg a rapporté que: «dans le scénario le plus sévère parmi ceux considérés, les États-Unis pourraient imposer des tarifs sur un large éventail d’importations chinoises allant de chaussures et vêtements jusqu’à l’électronique grand public». Il a cité deux personnes «connaissant bien la question» qui ont parlé sous anonymat.

La Chine a jusqu’ici adopté une attitude discrète au sujet des tarifs de l’acier et de l’aluminium, en grande partie parce qu’elle figure en bonne place dans la liste des pays qui exportent ces métaux vers les États-Unis. Mais il est presque certain qu’elle réagir aux mesures prévues à l’article 301.

Signalant que son administration se prépare à l’action, Trump a déclaré mercredi dans un message Twitter: «Les États-Unis agissent rapidement sur le vol de la propriété intellectuelle. Nous ne pouvons pas permettre que cela se produise comme ça a été le cas depuis de nombreuses années!»

Le chroniqueur économique du Financial Times Martin Wolf a noté cette semaine que l’action de Trump sur l’acier et l’aluminium n’allait sans doute pas être la dernière. Cela était «plus probable que ce soit le début de la fin pour l’ordre commercial multilatéral régi par des règles que les États-Unis ont eux-mêmes créé».
Cette évaluation est confirmée par la démission de Cohn après qu’il n’ait pas réussi à au moins assouplir les mesures. C’est un signe certain que, quelle que soit la forme finale des tarifs de l’acier et de l’aluminium, leur imposition signifie le début d’une guerre commerciale mondiale à une échelle inédite depuis les désastreux conflits des années 1930, qui ont joué un rôle majeur pour rendre possible la Seconde Guerre mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 8 mars 2018)

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