Facebook intensifie la censure avant le témoignage de Zuckerberg au Congrès

En prévision du témoignage au Congrès du PDG de Facebook Mark Zuckerberg, l’entreprise a annoncé une série de mesures de censure qui assènent un coup contre l’anonymat en ligne et resserrent l’emprise de l’entreprise sur ce que les utilisateurs peuvent dire sur sa plateforme.

Zuckerberg a annoncé vendredi que l’entreprise « exigera que les personnes qui gèrent de grandes pages soient vérifiées », ce qui veut dire qu’elles devront fournir à l’entreprise, et par extension au gouvernement américain, leurs vrais noms et adresses. Zuckerberg a déclaré que la mesure « rendra beaucoup plus difficile développer des pages en utilisant de faux comptes, ou croître de manière virale et répandre la désinformation ou du contenu clivant ». En outre, l’entreprise interdira les achats de publicité par des personnes dont l’identité n’a pas été « vérifiée ».

Cette mesure est un pas important vers la satisfaction de la demande des agences de renseignement américaines que les sociétés de médias sociaux mettent fin à l’anonymat sur Internet, facilitant ainsi le suivi, mais aussi l’arrestation de personnes pour avoir exprimé des opinions politiques oppositionnelles.

Zuckerberg a ajouté que cette évolution impliquerait l’embauche de milliers de censeurs supplémentaires et de personnel « de sécurité ». « Afin d’exiger une vérification pour toutes ces pages et annonceurs de publicités, nous engagerons des milliers de personnes supplémentaires », a-t-il écrit.

Dans les heures qui ont suivi l’annonce de Facebook vendredi, l’entreprise a bloqué une publicité pour une réunion publique organisée par le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste), affilié au World Socialist Web Site, intitulée « Non à la guerre, aux inégalités et à la censure ». Les autres annonces relatives à la grève des enseignants de l’Oklahoma ont été bloquées hier.

Cette annonce de Zuckerberg est survenue au cours d’une campagne menée par les médias pour diaboliser l’entreprise pour avoir minimisé le danger des « fausses nouvelles » et de la « propagande » sur sa plateforme. Cette campagne, présentée comme une défense de la « vie privée » des utilisateurs, a fait baisser le cours des actions de l’entreprise de plus de 15 % pendant les trois dernières semaines. Il a également alimenté la spéculation que Zuckerberg, qui détient 28 % des actions de Facebook, pourrait être évincé au cours d’un coup au conseil d’administration.

En l’espace de quelques semaines, Zuckerberg est passé d’un héro médiatique à un quasi paria, avec une satire sarcastique sur l’émission Saturday Night Live. Chaque reportage sur la société comprend maintenant une image du PDG « assiégé » les sourcils froncés – le type de traitement habituellement réservé aux politiciens impliqués dans des scandales sexuels.

La raison affichée de ce changement est le scandale médiatique autour de la société de données électorales Cambridge Analytica, liée à l’ancien stratège en chef de Trump, Steve Bannon. Le mois dernier, le New York Times et le Guardian ont simultanément révélé que la société avait utilisé une application pour récolter des données sur des dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook, qui ont ensuite été remises au comité de campagne présidentielle de Trump. Ce qui est passé sous silence dans tous les médias, c’est le fait, acclamé par les médias à l’époque, que la campagne d’Obama a effectivement fait la même chose en 2012.

Par exemple, l’émission de débat de CBS, Face the Nation, a consacré environ un tiers du temps d’antenne au débat sur Facebook – au milieu d’une guerre commerciale avec la Chine, d’une campagne pour une guerre contre la Syrie et du déploiement de l’armée américaine à la frontière mexicaine.

La campagne médiatique contre Facebook n’a rien à voir avec la protection de la vie privée des utilisateurs, mais vise plutôt à créer les meilleures conditions possibles pour imposer de nouvelles restrictions massives à la liberté d’expression sur le plus grand réseau de médias sociaux au monde.

Les commentaires du sénateur démocrate Mark Warner (Virginie), interrogé par un journaliste d’une radio du district fédéral de Colombia sur le scandale de Cambridge Analytica et le rôle du Congrès dans la protection des « données personnelles », a répondu en dénonçant la résistance de la compagnie à son affirmation selon laquelle Facebook était utilisé pour diffuser de « fausses nouvelles ».

Warner a déclaré au journaliste : « J’ai d’abord critiqué Facebook et certaines plateformes de médias sociaux en décembre 2016. Pendant les six premiers mois, les entreprises ont en quelque sorte rejeté ces allégations, mais celles-ci se sont révélées vraies ; que la Russie a utilisé ses plateformes de médias sociaux avec de faux comptes pour diffuser de fausses informations, ils ont payé pour de la publicité politique sur leurs plates-formes. » Il a ajouté que la société allait devoir donner « beaucoup d’explications ».

Commentant dans Face the Nation le ton des auditions prévues, Nick Thompson, le rédacteur en chef de Wired, qui a été un des principaux défenseurs de la censure, a déclaré que « le Congrès va réclamer du sang » quand Zuckerberg témoignera. Il a déclaré que l’entreprise paierait pour les « péchés » d’avoir « mis la tête dans le sable » en réponse à des demandes de mise en œuvre de mesures de censure.

Thompson a ajouté que les dernières mesures de Facebook visaient à « adoucir le coup » avant le témoignage de Zuckerberg. Il est clair, cependant, que les mesures qui ont déjà été annoncées ne sont qu’un acompte sur la répression de la liberté d’expression qui est en préparation.

Le témoignage de Zuckerberg intervient au milieu d’une vague montante de grèves des travailleurs à travers les États-Unis, y compris des grèves d’enseignants en Oklahoma et en Arizona. De nombreux médias ont souligné le rôle vital joué par Facebook dans l’organisation de la résistance par des travailleurs indépendants des syndicats.

Dans des conditions de montée de la lutte des classes, de divisions de plus en plus amères au sein de l’élite dirigeante et du danger croissant de la guerre, l’élite dirigeante accélère radicalement son effort pour censurer Internet. L’objectif est d’empêcher l’organisation de l’opposition sociale et la diffusion d’informations qui remettent en cause le récit officiel des événements.

Le témoignage de Zuckerberg aura lieu un jour après une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies, au cours de laquelle les États-Unis réclameront une intervention encore plus grande contre la Syrie et la Russie, en réponse à une prétendue attaque aux armes chimiques attribuée par les médias américains, sans aucune preuve, au gouvernement syrien.

Cette fièvre guerrière vise non seulement à atteindre les buts de guerre prédatrice de l’impérialisme américain au Moyen-Orient, mais peut-être plus important encore, à créer les conditions d’une répression et d’une censure politique aux États-Unis.

(Article paru en anglais le 9 avril 2018)

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