Perspectives

Le Nouveau parti anticapitaliste cherche à étrangler les grèves contre Macron

Samedi, sur fond d'une vague de grèves en France, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) a tenu une réunion à Paris pour marquer le 50e anniversaire de la grève générale de mai-juin 1968. Le leader étudiant de 1968, Alain Krivine et un responsable syndical prénommé Mathieu ont évoqué Mai 68 et de la lutte contre la tentative du président Emmanuel Macron de privatiser la SNCF.

La réunion a fourni un cas d’école de la faillite de la politique petite-bourgeoise du NPA. Ce n'était pas une réunion de masse pour préparer les ouvriers et les jeunes à la lutte en tirant des leçons de la mobilisation révolutionnaire il y a 50 ans. Le NPA n'a même pas mobilisé les centaines de membres qu'il a dans les universités et les syndicats à Paris. Quelques dizaines de personnes à peine se sont présentées à une réunion cachée au fond d’un restaurant dans une petite rue de la banlieue parisienne, où Krivine et Mathieu ont fait des remarques superficielles et démoralisées.

L’assistance semblait bien plus intéressée par les chips, le vin en boîte et les cocktails servis après la réunion que par ces interventions. A en juger de la réunion, on n'aurait jamais su que les travailleurs entrent en lutte contre un gouvernement qui sabre les droits sociaux établis au cours de générations de lutte, afin de trouver des centaines de milliards d'euros pour financer la guerre et les cadeaux fiscaux pour les riches. Les petit-bourgeois aisés qui se sont affrontés avec la police en tant qu'étudiants il y a 50 ans sont devenus indifférents, voire hostiles aux intérêts des travailleurs.

Les intervenants ont présenté une perspective réactionnaire et absurde, selon laquelle il n’y a pas eu de situation révolutionnaire ni en 1968 ni aujourd'hui, et exigé que les travailleurs se subordonnent à des organisations qui, selon l’aveu du NPA lui-même, travaillent à étrangler les grèves.

La réunion a commencé par la projection d’une vidéo évoquant les souvenirs des membres du NPA de leurs combats avec la police et des question de genre, dont les problèmes liés à l’achat des préservatifs, en 1968. On voyait que deux forces sociales distinctes se sont mobilisées en 1968: le milieu étudiant petit-bourgeois dont est issu le NPA, et les millions de travailleurs mobilisés dans la grève générale. Les questions sociétales et de genre qui motivaient la petite-bourgeoisie étaient distinctes des questions démocratiques et salariales qui ont poussé les travailleurs à se mobiliser.

Krivine a commencé en niant le potentiel révolutionnaire de la grève générale et la nécessité de lutter pour construire une direction révolutionnaire dans la classe ouvrière. Selon son argument sophistique, puisque le Parti communiste français (PCF) stalinien et la Confédération générale du travail (CGT) ne voulaient pas prendre le pouvoir en 1968, il n'y avait donc pas de situation révolutionnaire, et la classe ouvrière n'avait donc pas besoin d'un parti révolutionnaire.

Il a dit, «On a crié “Le pouvoir aux travailleurs,” mais le drame, c’est que personne n’en voulait. Parce que Geismar, Cohn-Bendit, Sauvageot, les plus connus étaient d’abord tous des mecs, des étudiants, des profs, c’étaient pas des ouvriers. La classe ouvrière leur faisait confiance … dans les manifs mais pas pour prendre le pouvoir. Qui était capable à l’époque de prendre le pouvoir, c’était le PCF et la CGT notamment, mais ils n’en voulaient pas.»

«Pour moi ce n’est pas une révolution», a-t-il dit, avant d’ajouter: «On peut avoir une explosion populaire qui n’est pas révolutionnaire, populaire, spontanée. Il n’y a pas besoin de parti pour cela.»

L'analyse contre-révolutionnaire de 1968 par Krivine est absurde et fausse. Cette année-là, la colère sociale contre la répression des manifestations étudiantes a débouché sur la plus grande grève générale de l'histoire européenne. Plus de 10 millions de travailleurs se sont mis en grève et ont hissé des drapeaux rouges sur des usines à travers la France. Lorsque de Gaulle s'enfuit à Baden-Baden en Allemagne pour voir s’il pourrait faire marcher les armées stationnées en Allemagne sur Paris, ses généraux ont indiqué qu'ils ne pouvaient garantir la loyauté de leurs troupes.

Le caractère révolutionnaire de cette situation saute aux yeux. Seule la crise de direction révolutionnaire de la classe ouvrière a sauvé le capitalisme français: le PCF et la CGT ont bloqué la prise du pouvoir. Après des semaines de crise, ils ont organisé la reprise du travail sur la base des concessions salariales, et soutenu des élections convoquées par le gouvernement. Utilisant les ressources économiques du capitalisme européen au plus fort des Trente Glorieuses, ainsi que les services politiques du stalinisme, la bourgeoisie a réussi à garder le pouvoir.

25 ans après la dissolution stalinienne de l'URSS et l’effondrement du PCF, l'impérialisme français n'a plus les moyens pour faire de telles concessions. Sur fond de la crise économique la plus profonde depuis les années 1930, alors que l'OTAN menace la Russie, la Chine et le Moyen-Orient de guerre, Paris restructure brutalement les relations de classe pour dépenser des centaines de milliards d'euros réductions d'impôt pour les riches et participer à la lutte pour rediviser le monde. Il n'y aura pas d’issue «réformiste» en 2018 à la lutte des classes.

Le dédain de Krivine sur la grève générale de 1968 est lié au rôle politique réactionnaire du NPA aujourd'hui. Hostile à une lutte révolutionnaire contre Macron, ils promeuvent une stratégie qui étrangle les luttes ouvrières contre lui.

Les syndicats organisent des grèves perlées, deux jours par semaine jusqu'en juin, ce qui permet à Macron d’attendre la fin des grèves pour ensuite imposer son diktat. Krivine a avoué que cette politique est impuissante, mais pour ensuite déclarer que la situation n’est toujours pas révolutionnaire et que les travailleurs n’ont toujours pas besoin d’une direction révolutionnaire. Ils peuvent selon lui compter sur les syndicats et leurs alliés de pseudo gauche, comme le NPA, pour virer à 180 degrés, s’opposer soudainement à Macron, et obtenir des concessions de lui.

Krivine a dit, «Il peut y avoir une insurrection populaire et elle peut venir, elle est en train de naître dans des facs partout. Mais il manque effectivement une ou plusieurs organisations politiques qui aident – aident seulement – à coordonner, à lancer un mot d’ordre de grève générale. Parce qu’on ne les fera pas reculer avec des grèves à saute-mouton comme ça tous les 15 jours, les manifs tralala tous les 15 jours.»

Mathieu a repris ces conceptions énoncées par Krivine. Il a dit, «Il y a toute une série de difficultés, et ça vient notamment du calendrier qui nous a été proposé par la CGT, par la CFDT qui est de deux jours sur trois, qui est aujourd’hui respectée par la majorité des cheminots, mais qui peut être modifié en fonction de la température dans l’entreprise mais aussi dans le pays. … Sur le calendrier, je vais t’avouer que quand je l’ai vu tomber sur le téléphone, je me suis dit, ‘C’est une trahison, quoi.’ Enfin, c’est une évidence.»

Mathieu a souligné que les syndicats savent très bien que leur stratégie mènera à la défaite et ils ne veulent pas passer à une autre stratégie. Au sein des syndicats, a-t-il dit, «pour l’heure le sentiment c’est que tout le monde se regarde un peu, ‘Qui est-ce qui donne le coup d’envoi?’ Personne n’a trop envie d’y aller en premier. … Beaucoup de camarades de la CGT, ils ont le cul entre deux chaises en réalité, parce qu’ils ont très bien compris que si on voulait gagner, ça ne suffirait pas deux sur cinq, mais voilà. Tout le monde se regarde en attendant le bon signal.»

Un journaliste du WSWS qui participait à la réunion a demandé quelles leçons le NPA tirait de 1968 pour les luttes aujourd'hui. Krivine a prétendu que le seul moyen d'aller de l'avant était de soutenir une alliance de forces politiques qui, comme Mathieu et lui venaient d'avouer, étranglent les luttes aujourd'hui comme elles l’avaient fait en 1968.

Krivine a approuvé l'appel de l'ancien candidat présidentiel NPA Olivier Besancenot à l'unité avec le PS, le PCF et la bureaucratie syndicale: «Olivier, ben il n’est pas seul, il le fait avec l’accord du NPA, il essaie de rassembler un maximum d’organisations contre Macron. Je crois que c’est le rassemblement et l’unité qui est demandé par tout le monde, et c’est pas évident qu’on y arrive. En plus il ne faut pas qu’il y ait uniquement les partis politiques, il faut aussi qu’il y ait les syndicats.»

Krivine a refusé de dire quelle perspective une pareille alliance avancerait: «Là-dessus il y a un débat fraternel non seulement avec le PCF, qui est complètement divisé aujourd’hui … On a à peu près la même chose mais sous des formes différentes chez les Verts, on a à peu près la même chose dans ce qui reste du PS. Donc c’est compliqué, très compliqué à intervenir là-dedans.»

En fait, il n'est pas difficile de voir que les forces vers lesquelles Krivine s’oriente sont des défenseurs du capitalisme et de l'austérité, qui sont hostiles à la classe ouvrière.

Un gouffre de classe sépare sépare le Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial, du NPA. Dans leur jeunesse, les étudiants radicaux ont rejoint le parti pabliste, qui avait rompu avec le trotskisme avec le CIQI en 1953, s'adaptant à la stabilisation du capitalisme européen après la Seconde Guerre mondiale. Un élément fondamental de la politique pabliste en France était l'idée que le mouvement trotskyste devait se dissoudre dans le stalinisme, auquel les pablistes attribuaient un rôle révolutionnaire, tout en méprisant le rôle de la classe ouvrière et du mouvement trotskyste.

La grève générale de 1968 elle-même a démontré la faillite de cette perspective: le PCF n'a pas été la locomotive de la révolution, mais un obstacle aux luttes des travailleurs. L'affirmation de Krivine selon laquelle il n'y a pas de situation révolutionnaire en 1968 ou aujourd'hui parce que les ouvriers n'ont pas de direction révolutionnaire laisse de côté une question centrale: le rôle du mouvement pabliste lui-même pour bloquer la construction d’une direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

Au cours des décennies suivantes durant lesquelles les pablistes ont défendu le PCF ou le PS, la classe politico-médiatique a encouragé les masses en France à identifier le trotskysme avec les pitreries réactionnaires de Krivine and Cie, sous diverses formes – dont celles de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) fondée en 1974 comme la section française du mouvement pabliste, et de son successeur, le NPA, fondé en 2009.

50 ans plus tard, la mobilisation ouvrière fait éclater les fondements politiques pourris de la pseudo-gauche pabliste. Ce ne sont pas des révolutionnaires qui défendent la continuité avec le trotskisme et la Révolution d'Octobre, mais des adversaires féroces du trotskisme, travaillant à étrangler l'opposition de la classe ouvrière e à l'austérité et à la guerre. La voie à suivre pour les travailleurs dans la lutte contre Macron, comme l'a souligné le CIQI, est une lutte révolutionnaire non seulement contre Macron, mais aussi contre les partis réactionnaires de pseudo gauche.

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