La frappe des États-Unis contre la Syrie enflamme les tensions à propos de la Corée

La décision de Washington, Londres et Paris de bombarder la Syrie avec des missiles le 9 avril, risquant un affrontement militaire direct avec les forces russes dans le pays, a des répercussions internationales. Alors que l’Administration Trump se prépare à des pourparlers avec le président nord-coréen Kim Jong Un sur le programme nucléaire de son pays, elle enflamme les tensions militaires en Asie orientale.

En août dernier, lors de l’anniversaire des bombardements atomiques américains d’Hiroshima et de Nagasaki, Trump a menacé la Corée du Nord d’un« feu et d’une furie comme le monde n’en a jamais vu » si elle n’abandonnait pas son programme nucléaire. À l’époque, le ministère chinois des Affaires étrangères avait fait savoir que de telles actions pourraient provoquer une intervention chinoise dans une guerre américaine contre la Corée du Nord. Son porte-parole, Geng Shuang, avait refusé de répondre oui ou non à la question si la Chine interviendrait militairement en Corée du Nord en cas d’attaque américaine ; c’était là « une question hypothétique à laquelle il était difficile de répondre ».

C’est-à-dire que Beijing n’avait pas exclu la possibilité, comme en 1950 pendant la guerre de Corée, d’attaquer les troupes américaines en Corée pour les empêcher de traverser la Corée du Nord et pour attaquer la Chine ou la Russie.

Aujourd’hui, les fabriques d’idées américaines saluent de façon irresponsable la frappe du 9 avril comme la preuve que Washington peut ignorer de tels avertissements de ses rivaux nucléaires et menacer de bombarder la Corée du Nord si elle ne conclut pas d’accord acceptable avec Trump. Dakota Wood, de la Heritage Foundation a déclaré à CNBC : « Si les États-Unis disent maintenant qu’ils ne toléreront pas les capacités militaires offensives de la Corée du Nord, le gouvernement de Kim devra prendre cette déclaration au sérieux et envisager des conséquences militaires potentielles ».

Bombarder la Syrie « donne aux États-Unis plus de poids dans les discussions nucléaires avec la Corée du Nord », a déclaré Andrea Taylor, du Conseil de l’Atlantique, plus proche des démocrates. Elle a affirmé que cela augmentait « la crédibilité des États-Unis aux yeux des pays du monde entier, que ce soit à Moscou, à Téhéran ou à Pyongyang ».

De plus en plus inquiets de se voir mis sur la touche dans les pourparlers entre Trump et Kim, des sections de l’establishment politique japonais ont également salué les attaques contre la Syrie comme une occasion pour intimider la Corée du Nord. Le journal Asahi Shimbun écrit : « Les responsables du gouvernement espèrent que le dernier bombardement de la Syrie peut être utilisé pour démontrer à Pyongyang que Washington n’hésiterait pas à employer la force si nécessaire. Un haut responsable du ministère de la Défense a déclaré que les frappes aériennes enverraient un message fort à la Corée du Nord que les États-Unis prendraient des mesures militaires ».

Le Japan Times a écrit que la frappe du 9 avril « servira de rappel brutal à la Corée du Nord de l’intervention de 2011 menée par les États-Unis en Libye qui s’est terminée par l’horrible exécution de son chef ». La guerre de l’OTAN en Libye – qui a précédé directement sa guerre par procuration en Syrie – a noté le journal, s’est terminée avec Kadhafi « sodomisé à la baïonnette avant d’être abattu immédiatement après sa capture en 2011 ».

Le Japan Times a également fait remarquer que le régime nord-coréen suivait très attentivement les événements du Moyen-Orient afin de formuler ses propres politiques et en particulier afin d’expliquer la nécessité, de son point de vue, d’obtenir des armes nucléaires. En 2013, après le meurtre de Kadhafi par l’OTAN, le régime nord-coréen avait justifié son argument qu’un arsenal nucléaire était essentiel à sa sécurité nationale en faisant allusion à la Libye, parlant de « conséquences tragiques dans les pays qui ont abandonné leurs programmes nucléaires ».

À Washington et à Tokyo, une partie de l’élite dirigeante est hostile au plan de Trump de rencontrer Kim. Leurs appels pour que Trump exploite un sommet pour forcer, par des menaces militaires, la Corée du Nord à se soumettre, ne font qu’exacerber les tensions qui, tout comme les frappes des puissances de l’OTAN en Syrie, pourraient exploser en un conflit entre grandes puissances nucléaires. Le régime chinois, en particulier, a clairement indiqué qu’il considérait les menaces contre la Corée du Nord comme un défi à sa sécurité nationale, pour laquelle la Chine est partie en guerre dans le passé et pourrait le faire à nouveau.

Le journal d’Etat chinois Global Times a répondu aux frappes du 9 avril contre la Syrie par un éditorial titré : « Après les frappes contre la Syrie, le tour à la Corée du Nord? » Notant l’envoi du porte-avion USS Carl Vincent en Asie pacifique, il a mis en garde qu’une frappe des États-Unis contre la Corée du Nord, comme celle contre la Syrie, pourrait rapidement dégénérer en guerre.

Le journal écrit : « Compte tenu des milliers de pièces d’artillerie de Pyongyang et d’un grand nombre de missiles à courte portée destinés à Séoul, une frappe symbolique contre la Corée du Nord par les États-Unis entraînerait un désastre pour la population de Séoul... Si Washington a recours à une attaque militaire contre Pyongyang, il est peu probable qu’elle soit limitée aux installations nucléaires et aux infrastructures militaires connexes. Une « attaque de décapitation » conjointe des États-Unis et de la Corée du Sud contre le Nord est très possible. Ainsi, une frappe militaire contre le Nord évoluera très probablement vers une guerre sanglante à grande échelle sur la péninsule ».

Bien que le Global Times ne l’ait pas précisé, un acte d’agression américain dans ce sens, comme l’a clairement indiqué le ministère chinois des Affaires étrangères l’année dernière, pourrait rapidement dégénérer en guerre régionale, voire mondiale. Le Global Times a averti le régime nord-coréen de ne prendre aucune mesure, comme un nouveau test nucléaire, susceptible de provoquer une réaction militaire américaine.

Comme en Syrie, les élites dirigeantes des grandes puissances capitalistes ne voient pas d’autre solution que d’intensifier la menace de vastes conflits militaires. Si son sommet avec Kim a lieu, Trump utilisera très certainement tous les moyens à sa disposition, y compris la menace militaire, pour montrer que Pyongyang n’a que deux options : parvenir à un accord de soumission aux exigences américaines sur son arsenal nucléaire et entrer dans l’orbite politique de l’impérialisme américain, ou bien subir une attaque militaire et risquer l’anéantissement nucléaire.

Si la Corée du Nord tente de parvenir à un accord, il est de plus en plus évident que cela ne ferait qu’accentuer les intrigues américaines contre ses voisins, la Russie et la Chine, cibles non déclarées des menaces américaines contre la Syrie et la Corée du Nord. En bombardant la Syrie malgré la présence des troupes russes et en menaçant la Corée du Nord malgré les avertissements de la Chine, Washington fait clairement savoir qu’il ne se laissera pas arrêter par le danger d’une guerre totale contre des États dotés d’armes nucléaires.

(Article paru d’abord en anglais le 21 avril 2018)

Loading