Les enseignants de l'Arizona se préparent à une grève à travers l'État

Des milliers d'enseignants, de parents, et d'étudiants de l'Arizona tiennent leur première manifestation devant les écoles en préparation à la grève à travers l'État prévue jeudi (aujourd’hui). La manifestation organisée par près de 60.000 enseignants dans l'État américain du sud-ouest fait partie d'une rébellion des éducateurs à l'échelle nationale et internationale.

La semaine dernière, le groupe Facebook «Enseignants unis de l'Arizona» a annoncé que 78% de ses 57.000 enseignants sondés avaient voté pour la grève. Les enseignants demandent une augmentation de 20%, des augmentations salariales substantielles pour le personnel de soutien et la restitution du financement qui a été coupé, privant les écoles publiques de 1 milliard de dollars au cours de la dernière décennie.

«On sent la détermination», a rapporté un enseignant de Tucson au World Socialist Web Site. «Nous sentons le besoin de lutter pour les droits de l'ensemble de nos étudiants et l'éducation. Nous croyons en nos étudiants et à leur avenir et savons que l'éducation doit pouvoir fournir un appui à ces avenirs. Nous sommes dans des bâtiments au toit qui fuit, et nous avons des manuels de 25 ans qui tiennent par du scotch et des pupitres brisés. Nous devons lutter pour nos collègues: les conducteurs de bus, les travailleurs de la cafétéria, les gardiens et autre personnel de soutien.»

Des enseignants de l'Arizona manifestent à Phoenix la semaine dernière (Source :Arizona Educators United)

 

«Le gouverneur [Doug] Ducey a refusé de rencontrer les enseignants et a présenté des demi-mesures pour détourner des fonds désespérément requis des hôpitaux, des arts, des universités et de programmes qui servent aux handicapés. Ce n'est pas comme ça qu'on veut voir nos écoles financées, à travers l'austérité dans d'autres programmes sociaux. Depuis l'annonce d'une grève dans tout l'État, les enseignants et parents se préparent pour une bataille qui n'a pas à faire de victimes, comme parmi ces programmes qu'il veut couper. L'État et ses citoyens méritent mieux.»

«On nous dit qu'on devra rattraper le temps consacré à la grève pour nos étudiants. À ce point-ci, nous ne sommes pas certains si c'est vrai ou seulement une tactique pour effrayer les enseignants. Nous prévoyons la grève de toute façon. Quelques écoles auront des manifestations jusqu'à jeudi et feront grève jeudi. Nous appuyons nos collègues enseignants dans tous les États, et certains espèrent qu'une grève nationale se prépare. Nous devons lutter pour l'éducation avant qu'il soit trop tard.»

Tout comme en Virginie-Occidentale et en Oklahoma, la lutte en Arizona a été initiée par les enseignants de la base, et non pas les syndicats, qui collaborent avec l'État et les autorités fédérales pour systématiquement sabrer le financement de l'éducation publique et transférer les ressources vers des écoles privées et d'autres plans d'éducation pour le profit.

Les enseignants en Arizona ont tenu des manifestations «#RedForEd», des protestations de maladie et des manifestations dans les écoles, les quartiers, et à la capitale de l'État à Phoenix pendant un mois. Le groupe Facebook, Arizona Educators United, cependant n'est pas indépendant de l’Arizona Education Association et fait la promotion des mêmes illusions fatales selon lesquelles les revendications des enseignants peuvent être gagnées par la pression et des appels lancés au gouverneur et à l'Assemblée législative de l'État.

Mais l'expérience des enseignants de la Virginie-Occidentale et de l'Oklahoma a démontré la futilité d'une telle perspective. «On nous a dit d'aller dans les bureaux des législateurs et de raconter notre histoire, mais ils s'en fichaient», a raconté Jane, une enseignante d’Oklahoma City au World Socialist Web Site. «J’espérais que le gouvernement financerait l'éducation. Mais ils ont dit, “Nous devons financer nos prisons.” Nous avons répondu que plus les gens étaient éduqués, mois d'enfants iraient en prison. Mais ils veulent acheter deux à trois nouvelles prisons, qui sont des entreprises ici en Oklahoma.»

«Nous sommes supposés vivre dans une démocratie où il y a des mécanismes de contrôle, où le gouvernement doit diriger avec le consentement du peuple. Mais quand tu fais partie de la classe dirigeante, tu ne fais pas ce que veut le peuple, mais ce que veulent les entreprises de gaz et de pétrole. Les législateurs mettent fin à la session d'avance, pour qu'ils puissent aller recueillir des fonds pour les élections.»

«Ce sont des enseignants de la base qui ont commencé ça. On n’a pas écouté l’OEA (Oklahoma Education Association). Beaucoup de personnes ont été éduquées sur la politique de l'État par cette grève, incluant les enseignants. On connaissait les lois mieux que ceux qui les écrivent. Mais ils n'écoutaient pas, et maintenant un représentant de l'État veut introduire un référendum pour annuler nos augmentations de salaire. Même si le gouverneur nous a promis une augmentation de salaire, on nous rappelle constamment que ce ne sera pas financé l'année prochaine.»

Faisant référence à la nécessité d'unir les enseignants à travers le pays, Jane a conclu, «je veux que ça devienne national. Si on y va tous ensemble, et si on va à Washington, ils ne peuvent pas tous se sauver.»

Alors que des enseignants de l'Arizona préparent la grève, les enseignants du Kentucky, du Colorado, de la Floride et d'autres États font pression pour des grèves dans leurs États. Des enseignants à Puebla, au Colorado ont voté pour faire grève, ont rejeté une offre d'augmentation de 2% de la commission scolaire locale, qui propose également une semaine d'école de quatre jours l'année prochaine à cause de réductions budgétaires.

Des centaines d'enseignants du Colorado prévoient des manifestations devant le capitole de l'État vendredi pour revendiquer des salaires plus élevés et défendre leurs pensions dans un État démocrate. Les républicains de l'État ont introduit une loi pour autoriser les commissions scolaires à obtenir des injonctions contre les enseignants en grève, qui en plus de recevoir des amendes, pourraient faire face à jusqu'à six mois de prison s'ils défient une ordonnance de retour au travail de la cour.

La National Education Association (NEA) et l’American Federation of Teachers (AFT) ont trahi les grèves de Virginie-Occidentale et d'Oklahoma, et tentent d'empêcher des grèves dans plus d'un État à la fois, craignant le développement rapide d'une grève nationale. Plutôt, la NEA et l'AFT tentent de limiter la grève d'Arizona à une journée pour détourner la colère des enseignants derrière une campagne pour élire des démocrates pour les élections de 2018.

Cependant, la crise scolaire est le résultat des politiques conscientes des deux partis de la grande entreprise, qui ont été aidés et défendus par les syndicats des enseignants. Au cours des trois dernières décennies, les réductions d'impôts pour les entreprises et les riches appliqués par Ducey, son prédécesseur républicain Jan Brewer, et l'ancienne gouverneure démocrate Janet Napolitano, ont privé le budget d'État de l'Arizona de presque 4 milliards de dollars.

Il en va de même à l'échelle nationale. Au début des années 1990, les Clinton avaient entièrement adopté les préceptes du «choix d'école» qui jusque là avaient été principalement défendus par les plus virulents promoteurs du libre marché et adversaires de l'éducation publique. Ceci fut accéléré sous la politique «No Child Left Behind», de Bush, rédigée avec le sénateur libéral Edward Kennedy, qui a utilisé des tests pour jeter le blâme sur les enseignants pour les problèmes dans le milieu de l'éducation, causés par des décennies de coupes budgétaires et de croissance de la pauvreté.

La NEA et l’AFT ont ensuite promu Obama en tant que champion de l'éducation publique. Alors que le président démocrate sauvait Wall Street de la faillite et détournait des ressources quasi infinies pour financer la guerre, il a choisi de priver les États et les commissions scolaires de ressources cruciales et a utilisé la crise de financement résultante pour superviser le démantèlement des emplois et des conditions de vie de centaines de milliers d'éducateurs. Le programme Race to the Top d'Obama a financé des circonscriptions pauvres pour qu'elles ferment des écoles «qui échouaient» et encouragent le vaste développement des écoles à charte.

Lors des deux mandats du président démocrate, l’AFT et la NEA ont essentiellement interdit les grèves. Lorsqu'elles eurent lieu, comme à Chicago en 2012, les syndicats les ont rapidement trahies. Avec l'affaire Janus présentement en Cour suprême – qui menace de mettre fin aux «frais d'agence» – les syndicats redoublent d’ardeur pour prouver qu’ils peuvent étouffer la résistance des enseignants face à une nouvelle vague d'attaques contre l'éducation publique.

Menés par de riches hommes et femmes d'affaires – la présidente de l'AFT Randi Weingarten (salaire de 490.000 $) et la présidente de la NEA Lily Garcia (salaire de 348.000 $) – les syndicats réclament, comme l'affirme le slogan, «la réforme scolaire avec nous, pas sans nous».

Pour faire avancer la lutte, les enseignants doivent rompre tous les liens avec les syndicats en formant des comités démocratiques de la base dans toutes les écoles et communautés pour prendre en leurs propres mains la direction de la lutte. Au lieu de «lobbying» futile dirigé vers les politiciens contrôlés par le patronat, les enseignants devraient envoyer des délégations dans les lieux de travail publics et privés à travers l'État pour mobiliser le plus grand appui pour cette lutte.

En même temps, ces comités doivent établir des lignes de communication avec les enseignants et d'autres travailleurs à travers les États-Unis et à l'international pour préparer une grève générale en défense de l'éducation publique et des autres services vitaux.

La lutte pour défendre le droit de tous les enfants à l'éducation publique de haute qualité est avant tout une lutte politique. Cela nécessite la construction d'un puissant mouvement politique de la classe ouvrière, indépendant des partis patronaux, pour prendre le pouvoir politique et redistribuer la richesse de la société pour financer pleinement l'éducation publique, éradiquer la pauvreté et élever les conditions culturelles et matérielles de l'ensemble de la population.

(Article paru en anglais le 23 avril 2018)

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