L’intersyndicale négocie avec Matignon pour étouffer la grève des cheminots

Dans la grève qui oppose les cheminots à l’État, l’intersyndicale compte négocier directement avec le premier ministre Edouard Philippe. Voulant mettre fin à la grève avant que celle-ci n’agrège autour d’elle les autres grèves et mobilisations d’étudiants en une lutte politique contre Macron, comme il y a 50 ans pendant la grève générale de Mai 68, les syndicats se préparent à trahir ouvertement la grève. Car Philippe pose en tant que précondition de cette négociation leur acceptation publique des principaux éléments de sa réforme.

Le premier ministre a annoncé jeudi que dans ces négociations, l’ouverture à la concurrence, la transformation de la SNCF en société anonyme et la fin du statut des cheminots ne feront «pas l’objet de discussions.» Il a ajouté qu’avec l’ouverture de ces négociations, il ne s’agissait «pas du tout d’un recul» pour le gouvernement.

La négociation portera sur la reprise de la dette de la SNCF par l’État, qui semble vouloir créer les conditions d’une crise financière à la SNCF après sa privatisation et menacer une impopulaire augmentation des impôts.

Le gouvernement compte prendre en charge progressivement la dette de la SNCF à partir de 2020; les syndicats proposent une reprise complète de la dette. Le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin a assuré qu’il n’y aura pas d’augmentation des impôts où de nouvel impôt, mais Philippe dans une lettre adressée aux syndicats suppose «un effort supplémentaire des contribuables, qui apportent déjà plusieurs milliards d’euros au financement du système ferroviaire afin de couvrir ses coûts de fonctionnement et d’investir dans son entretien et dans son développement.»

De la part de l’intersyndicale, l’ouverture n’est qu’une opération visant à masquer leur collaboration avec le gouvernement et mettre plus de pression sur les grévistes, alors que ceux-ci ressentent la pression du manque à gagner lié à la grève. Le 19 avril, lors de sa journée d’action, l’intersyndicale avait annoncé la rupture de leur concertation avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne. La bureaucratie syndicale n’a pas rompu pour autant avec le gouvernement, car elle a envoyé une lettre à Philippe afin de négocier directement avec lui.

Après avoir refusé dans un premier temps de rencontrer l’intersyndicale, Philippe a accepté de lancer des négociations le 7 mai, à condition que la ministre des Transports soit présente. Laurent Brun, secrétaire générale CGT ferroviaire, veut faire croire malgré tout que Philippe sera plus souple que la ministre des Transports: «Nous n’imaginons pas que le premier ministre nous convoque pour nous dire que rien ne changera et que les négociations sont closes.»

Le secrétaire fédéral de SUD-rail, Erik Meyer est sur la même ligne que Brun: «On a été bien reçu par la ministre lors de la réunion d’information. On veut avoir à faire à celui qui a le dossier en main pour enfin commencer des négociations sur la base d’un projet viable».

Mercredi 25 avril, l’intersyndicale a appelé à «un rassemblement le 3 mai à Paris et en territoires» ainsi qu’une «journée sans cheminot» le 14 mai, «si les revendications unitaires n’étaient pas entendues par le chef de l’état». Elle a laissé entendre que ceci impressionnerait le premier ministre.

Alors que les grèves perlées commençaient, la bureaucratie syndicale faisait déjà signe au gouvernement qu’elle soutien les réformes et qu’elle mettrait fin au mouvement avec plaisir. Sur RTL, Thierry Nier, l’adjoint de Brun à la CGT-cheminots avait prévenu que la grève à la SNCF «peut très vite s’arrêter. Nous ne voulons pas de statut quo. La SNCF ne fonctionne pas correctement, il y a des améliorations à faire, nous en sommes demandeurs.».

L’intersyndicale va tenter d’utiliser le prétexte de négociation avec Philippe pour mettre fin à la grève ou pour éviter si possible qu’elle ne dure au-delà de juin.

50 ans après Mai 68, l’intersyndicale ne lutte pas pour défendre ce qui reste des acquis des travailleurs, y compris des cheminots, obtenus après la révolution d’octobre et la lutte contre le fascisme pendant la Deuxième Guerre Mondiale, car ceci nécessiterait une lutte politique pour faire chuter Macron. Elle cherche avec le gouvernement à étouffer la grève. La CGT l’a fait en 1968 en contrepartie des accords de Grenelle; en 2018, les syndicats négocieraient la fin de la lutte au dépens des salaires et des conditions de travail.

Cette politique est indissolublement liée à la la réaction des bureaucrates syndicaux à la montée des luttes de cheminots, de métallos et d’enseignants et d’étudiants aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe, et aux menaces de guerre de l’OTAN contre l’Iran et la Russie. Etroitement liés aux gouvernements, pétris de nationalisme ils n’organisent de lutte ni contre les guerres ni contre les points centraux de la politique d’austérité en Europe. Leurs négociations avec Philippe constituent un avertissement pour les travailleurs.

Si les appareils syndicaux maintiennent le contrôle des luttes, ils les étrangleront. Il est essentiel que les travailleurs prennent leurs propres luttes en main, qu’ils rompent avec la bureaucratie syndicale et créent leurs propres organisations de lutte. Les comités d’action, indépendants des syndicats permettront de coordonner une lutte politique contre Macron et l’Union européenne avec les luttes des travailleurs des autres branches et des autres pays contre l’austérité et la guerre.

Les travailleurs devront aussi lutter contre les forces petite-bourgeoises de pseudo gauche, telles que Jean-Luc Mélenchon et le NPA. Ces organisations bloquent l’émergence d’une lutte politique contre l’austérité et la guerre. Ils subordonnent les luttes aux intérêts anti-ouvriers de la bureaucratie syndicale, financée par l’Etat et les entreprises, et qui essaie de rendre le capital français plus compétitif face à ses rivaux.

La pseudo gauche est consciente de la trahison des syndicats, et elle la soutient. Lors d’une réunion publique du NPA, Mathieu, un syndicaliste à la SNCF, a avoué que la stratégie des syndicats mène à la défaite: «Il y a toute une série de difficultés et ça vient notamment du calendrier qui nous a été proposé par la CGT, par la CFDT qui est de deux jours sur trois, qui est aujourd’hui respectée par la majorité des cheminots, mais qui peut être modifié en fonction de la température dans l’entreprise, mais aussi dans le pays. Sur le calendrier je vais t’avouer que quand je l’ai vu tomber sur le téléphone, je me suis dit, ‘C’est une trahison, quoi’. Enfin c’est une évidence.»

Malgré cet aveu dévastateur, le NPA continue à apporter son soutien à la bureaucratie syndicale. Et Mathieu a ajouté, «Pour l’heure, le sentiment c’est que tout le monde se regarde un peu, ‘qui est ce qui donne le coup d’envoi?’, personne n’a trop envie d’y aller en premier.»

L’expérience de Syriza en Grèce illustre parfaitement le rôle réactionnaire de la pseudo gauche. Le NPA et Mélenchon avaient applaudi la victoire de Syriza, qui avait été élu en mobilisant contre l’austérité de l’UE. Mais Syriza a refusé de faire appel à l’opposition dans la classe ouvrière européenne et imposé le mémorandum de l’UE malgré le non à l’austérité qui l’avait emporté par un large vote des travailleurs dans un référendum organisé par Syriza lui-même. Et en janvier, Syriza a fait voter une loi qui attaque le droit de grève.

Les travailleurs ne pourront aller de l’avant sans la création de nouvelles organisations de lutte et la construction par le Comité international de la Quatrième Internationale d’une nouvelle avant-garde politique du prolétariat en France et à l’international. La pseudo gauche et la bureaucratie syndicale ne représentent pas les intérêts de la classe ouvrière; elles les attaquent de manière de plus en plus ouverte et éhontée.

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