«Je veux être riche et je ne m’en excuse pas»

Une chroniqueuse du New York Times fait la promotion des «femmes en quête agressive d’argent et de pouvoir»

Le 28 avril, un article d’opinion est paru dans le New York Times intitulé «I Want to Be Rich and I’m Not Sorry» (Je veux être riche et je ne m’en excuse pas) signé par Jessica Knoll, une romancière qui vit à Los Angeles. Knoll est l’auteur de deux romans, American Girl (titre original: Luckiest Girl Alive (2015) et The Favourite Sister qui sera publié sous peu.

Dans sa chronique, Knoll écrit qu’elle a été agressée sexuellement par des camarades de classe à l’âge de 15 ans. Elle poursuit: «J’ai décidé que je ne pourrais jamais me considérer comme quelqu’un ayant réussi à moins que je ne devienne puissante, quelqu’un à qui personne ne pourrait faire de mal. Le succès est devenu pour moi un moyen de reprendre le contrôle, littéralement d’augmenter ce que je vaux. Il y a une métonymie pour cela: l’argent.»

La romancière décrit son raisonnement: «Le succès, pour moi, c’est synonyme de gagner de l’argent. Oui, je veux écrire des livres, mais ce que je veux vraiment, c’est de vendre des livres. Je veux des avances qui coupent le souffle à mon mari, et des grosses redevances deux fois par année. Je veux que les studios de cinéma me payent pour des droits d’auteur et je veux me lancer dans l’écriture de scénario... Maintenant, je travaille à produire, diriger ou réaliser ma propre émission télévisée. La télévision, c’est là où se trouve l’argent, et pour être parfaitement franche à ce sujet, je veux être riche.»

Knoll note que «moins de 12% des milliardaires dans le monde sont des femmes, et que près des trois quarts de celles-ci ont à son grand chagrin hérité de leur fortune», affirmant que «pour combler l’écart des richesses, nous devons y parvenir sous tous les angles».

Knoll ne comprend pas que l’expression «écart entre les riches et les pauvres» a été introduite – et continue essentiellement d’avoir cette signification – pour décrire la division entre les classes sociales, entre les riches et tous les autres. L’écrivaine est tellement égocentrique et obsédée par la richesse qu’elle ne peut concevoir cet «écart» que comme quelque chose qui existe entre elle et ceux qui ont (temporairement) mieux réussi financièrement qu’elle!

Knoll semble voir sa contribution à travers son écriture essentiellement comme une façon d’aider les femmes à surmonter toute gêne au sujet de la poursuite de la richesse. «Ce n’est que dans la fiction où j’ai été capable de créer des femmes qui sont en quête agressive d’argent et de pouvoir de la même façon que les hommes cherchent l’argent et le pouvoir. Des femmes prêtes à tuer pour protéger leur mince part du gâteau.»

Elle conclut ainsi: «Je veux faire suffisamment d’argent pour me permettre d’aller au Mexique un mardi, de contribuer de façon significative à la caisse électorale de politiciens pourris, et de me payer un requin d’avocat si jamais un homme ose même me toucher seulement d’un doigt à nouveau. Si quelqu’un trouve ça répugnant, je vais faire la même chose que les hommes font: hausser les épaules.»

Le New York Times a un motif bien évident pour publier un article aussi misérable. L’article va en effet dans le sens de son soutien acharné au mouvement #MeToo et à toutes les autres poussées égoïstes provenant de femmes de la classe moyenne supérieure avides de monter dans la société. L’article de Knoll correspond tout à fait à la notion de ce que le New York Times conçoit lorsqu’il parle de «rendre les femmes indépendantes».

La campagne en faveur des femmes millionnaires et milliardaires est un effort continu du Times. Le 10 mars, le journal présentait une chronique de Susan Chira, sa correspondante et rédactrice en chef pour les questions de genres, et intitulée «Money Is Power. And Women Need More of Both» (L’argent c’est le pouvoir. Et les femmes ont besoin encore plus des deux). Chira déplore elle aussi le petit nombre de femmes milliardaires, qui ne sont que 227.

Comme nous l’avons déjà mentionné auparavant, le fait que le Times lance un tel appel pour inciter les femmes à devenir avides et assoiffées de pouvoir et qu’il identifie un tel programme au féminisme contemporain et au mouvement #MeToo est des plus révélateur. C’est en fait rafraîchissant par rapport aux innombrables tentatives des divers commentateurs et organisations de la pseudo-gauche de présenter la campagne contre l’inconduite sexuelle comme quelque chose de progressiste. Knoll va encore plus loin en affirmant que la réponse appropriée à l’agression sexuelle, c’est de devenir riche, puissante et égoïste.

La romancière veut inculquer cette vision répugnante à ses lectrices, mais celle-ci n’est pas tombée du ciel à l’improviste. Cette vision est le produit de décennies de dégénérescence intellectuelle aux États-Unis, avec la création d’une anti-culture qui s’aplatit devant l’argent et la renommée. En fait, l’argent est considéré comme l’antidote à tous les problèmes, «la force vraiment créatrice», comme disait Karl Marx en 1844, «la confusion à la permutation universelles de toutes choses, donc le monde à l’envers, la confusion et la permutation de toutes les qualités naturelles et humaines.»

Ici Knoll s’imagine qu’en devenant quelqu’un de «puissante, quelqu’un à qui personne ne pourrait faire de mal», elle exerce dans une certaine mesure une vengeance, ou du moins qu’elle acquiert une autoprotection. En fait, elle renforce les valeurs d’un système dont la brutalité et l’aliénation sociale ont mené à son agression en premier lieu.

Si Knoll dit la vérité au sujet de son agression sexuelle, cela ne fait que rendre son opinion actuelle d’autant plus répugnante. Il faut qu’il règne une atmosphère sociale vraiment maligne pour persuader une victime que la cruelle indifférence à la souffrance qu’elle a subie doit entrainer comme réponse une indifférence encore plus cruelle à la souffrance des autres.

Pour une artiste potentielle, une telle perspective est fatale. Personne en effet n’a jamais créé d’œuvre importante ou durable en partant du point de vue borné d’un vengeur qui se fait justice à la Death Wish ou de quelque film de Clint Eastwood. C’est une approche trop superficielle, trop égoïste et intéressée, qui ne peut rien apporter de solide pour mener à quelque examen sérieux du comportement et de la psychologie de l’être humain.

Il est tragique que Knoll semble ne voir que sa propre douleur, mais aucunement celle des autres.

Les grands artistes du passé, hommes et femmes, n’ont pas procédé de cette façon. De la pauvreté, des humiliations et de la détresse, des créateurs tels que Charles Dickens, Charlotte Brontë et Vincent Van Gogh ont développé une énorme compassion pour leurs semblables et les ont dépeints sous cet angle. Leur compassion augmentait proportionnellement à leurs difficultés. La souffrance n’est peut-être pas «l’unique origine de la conscience», comme disait le romancier russe Fiodor Dostoïevski, mais c’est très certainement l’une d’entre elles.

La peintre et lithographe allemande Käthe Kollwitz (1867-1945), qui a perdu un fils pendant la Première Guerre mondiale, écrivait dans son journal: «Il est de mon devoir d’exprimer les souffrances de l’humanité, les souffrances sans fin accumulées jusqu’au sommet des montagnes. C’est ma tâche certes, mais ce n’est pas facile à accomplir.»

Le romancier anglais George Eliot (1819-1880) pour sa part commentait dans une lettre: «Ma propre expérience et mon développement approfondissent chaque jour ma conviction selon laquelle notre progrès moral peut être mesuré par le degré de sympathie que nous éprouvons tant pour la souffrance que la joie individuelles.»

Le New York Times prône maintenant la vertu de la richesse et de l’égoïsme et l’indifférence sociale. Nous dénonçons un tel état de fait comme répugnant, que Knoll et le comité de rédaction du Times haussent les épaules ou non.

(Article paru en anglais le 30 avril 2018)

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