Gouvernement le plus à droite depuis Mussolini en Italie

L’Italie attend la formation du gouvernement le plus à droite depuis le renversement de Mussolini il y a 73 ans. Dimanche, le Mouvement Cinq étoiles (M5S), un mouvement de protestation, et la Ligue, parti d’extrême droite, ont convenu d’un programme gouvernemental conjoint et d’un premier ministre, le professeur de droit Giuseppe Conte, proche de M5S. Le président Sergio Mattarella doit maintenant décider s’il convient d’accorder à la coalition un mandat de gouvernement.

Le programme de gouvernement porte la marque xénophobe de la Ligue. Des centaines de milliers de réfugiés doivent être expulsés vers leurs pays d’origine en Afrique et au Moyen-Orient, et détenus dans des centres de détention jusqu’à 18 mois à cette fin. Le patron de la Ligue, Matteo Salvini, veut prendre personnellement la responsabilité de ces déportations de masse en tant que nouveau ministre de l’Intérieur.

Comme les autres partis d’extrême droite avec lesquels elle coopère au niveau européen, la Ligue utilise la rhétorique anti-immigrée et la persécution des réfugiés pour inciter à l’hystérie chauvine, justifier les pouvoirs croissants de l’État et attaquer les droits démocratiques et sociaux de toute la classe ouvrière.

Les médias européens et les politiciens de tous bords ont fait tout un plat de l’intention de la coalition d’introduire un prétendu revenu de base et de la levée partielle des précédentes réformes des retraites qui ont drastiquement augmenté l’âge de la retraite. Ils voient cela comme une attaque contre les critères de stabilité de la zone euro, qui servent à justifier toujours plus d’attaques contre la classe ouvrière.

Le ministre français des Finances et du Commerce, Bruno Le Maire, a averti que « si le nouveau gouvernement risque de ne pas respecter ses obligations en matière de dette publique, de déficit et de restructuration bancaire, la stabilité financière de la zone euro est menacée ». Le Vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, a exhorté à respecter la discipline budgétaire.

Il n’y a aucun doute que dans le conflit entre la classe ouvrière et le capital, la Ligue et le M5S se rangent résolument du côté de ce dernier. Ils ne font que suivre une voie nationaliste plus agressive que les gouvernements italiens précédents, toujours fidèles à l’Union européenne. Inspiré par Donald Trump, la devise du nouveau gouvernement est « l’Italie d’abord ».

Un point central du nouveau programme gouvernemental est l’introduction d’une taxe uniforme. L’impôt sur le revenu, qui se situe actuellement entre 23 et 43 pour cent, selon les revenus, et le taux d’imposition des sociétés doivent être ramenés à 15 pour cent. Seul le revenu familial supérieur à 80.000 euros serait taxé à 20 pour cent.

Jusqu’à présent, seuls les gouvernements néo-libéraux, à l’époque de la restauration capitaliste en Europe de l’Est, ont osé mettre en œuvre une réduction d’impôt aussi radicale. C’est une somme d’argent massive pour les riches et les entreprises. L’imposition progressive des revenus, qui exige que les salariés les plus aisés aient un taux d’imposition plus élevé que les salariés les plus pauvres, a longtemps été considérée comme un instrument important pour assurer l’équité sociale afin de réduire les antagonismes de classe.

Le projet d’impôt forfaitaire, en plus de la chasse aux sorcières contre les réfugiés, est symptomatique du caractère de classe du nouveau gouvernement. Si la Ligue et le M5S, en particulier, ont été capables de mobiliser à leur avantage la colère de groupes sociaux défavorisés en utilisant des slogans populistes, ils se tiennent fermement dans le camp du capital et des couches aisées de la classe moyenne, qui considèrent les revendications de la classe ouvrière comme une menace pour leurs biens.

La Ligue a émergé du parti séparatiste Lega Nord qui préconisait à l’origine la séparation du nord de l’Italie, plus riche, pour arrêter les transferts financiers vers le sud, la partie plus pauvre du pays. Le M5S a longtemps caché son refus de toucher à la propriété privée capitaliste en disant qu’il n’était « ni de gauche ni de droite ». Mais maintenant, il montre ses vraies couleurs. Il y a deux ans, lorsque Virginia Raggi, candidate du M5S, remporta la mairie de Rome, elle se révéla bientôt aussi corrompue et liée aux milieux criminels que les vieux partis qu’elle avait dénigrés auparavant.

Le nouveau gouvernement a l’intention de financer les baisses d’impôts par une réduction radicale de la fonction publique, sous la devise de la « débureaucratisation ». Cela coûtera des dizaines de milliers d’emplois. Le chef du gouvernement nommé, Giuseppe Conte, décrit par les médias comme un professeur de droit politiquement immaculé, est considéré comme un expert de la « réduction de la bureaucratie ». Il devait d’abord être ministre de l’Administration publique et ne fut envisagé comme premier ministre que quand Luigi Di Maio le patron de M5S et Matteo Salvini, celui de la Ligue, ne purent s’accorder sur qui occuperait le poste.

Si on y regarde de plus près, les réformes sociales promises, qui ont indigné les capitales européennes, s’avèrent être une imposture. Par exemple, le « revenu de base » prévu est tout sauf « inconditionnel ». Il ne serait versé qu’aux demandeurs d’emploi titulaires d’un passeport italien et serait immédiatement retiré s’ils refusaient d’accepter un travail peu rémunéré. Il remplit donc une fonction similaire à celle des « réformes » Hartz, introduites en Allemagne en 2003. Elles aussi ont été présentées comme un remplacement de l’aumône sociale humiliante par un revenu de base fixe, mais servent en fait de levier pour créer un énorme secteur à bas salaires.

Quant à l’abaissement de l’âge de la retraite, il est fort douteux que cette promesse soit réellement appliquée et, si elle l’était, elle ne pourrait l’être qu’à travers une réduction massive des pensions. De nombreux commentateurs soulignent que les marchés financiers auront beaucoup de poids face à la Ligue et au M5S, contre lequel ils ne pourront ni ne voudront rien faire. Une hausse des primes de risque sur les obligations d’État italiennes, des taux d’intérêt et de l’inflation par exemple, frapperaient particulièrement la clientèle petite-bourgeoise de la Ligue et du M5S.

Durant les négociations pour une coalition, Di Maio et Salvini avaient déjà abandonné deux de leurs revendications les plus radicales – allègement de la dette de 230 milliards d’euros et possible sortie de l’euro – alors que l’euro commençait à décliner sous la pression des marchés financiers. Ce n’est qu’une question de temps avant que le nouveau gouvernement, s’il se concrétise, entre en conflit avec la classe ouvrière.

L’avènement d’un gouvernement aussi droitier à la tête de la troisième économie du continent fait partie du virage à droite de la classe dirigeante dans toute l’Europe. La responsabilité en incombe à l’Union européenne. Elle génère les forces nationalistes et centrifuges qu’elle prétend combattre. Les diktats d’austérité de Bruxelles ont ouvert la voie aux populistes de droite. À la suite de mesures drastiques d’austérité, l’économie italienne, accablée par une dette de 2.300 milliards d’euros, stagne depuis 20 ans. Un adulte sur dix et un jeune sur trois sont sans emploi.

Ces mesures d'austérité ont été mises en œuvre par les partis dits « de gauche » : les Démocrates (PD), leurs appendices pseudo de gauche et les syndicats. Le président du PD, l’ancien premier ministre Matteo Renzi, a attaqué la nouvelle coalition gouvernementale à partir de la droite, se moquant de son programme qu’il qualifia de « pop-corn pour tous ».

Avec l’arrivée au pouvoir d’un tel gouvernement en Italie, les contradictions s’aggraveront plus encore en Europe. Après la Hongrie, la Pologne et l’Autriche, c’est un des membres fondateurs de ce qui deviendra plus tard l’UE qui prend un cours nationaliste. Cela confirme qu’il est impossible d’unir le continent dans l’intérêt de ses habitants sur une base capitaliste. La classe ouvrière ne peut défendre ses droits sociaux et démocratiques et empêcher la rechute du continent dans le nationalisme, la dictature et la guerre qu’en unissant ses forces sur le plan international et en luttant pour un programme socialiste, pour les États-Unis socialistes d’Europe.

(Article paru d’abord en anglais le 23 mai 2018)

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